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Ma réponse à la question du Député-Serigne Ndakarou - Par Abdou Khadre Gaye

Rédigé par leral.net le Mardi 2 Septembre 2014 à 22:10 | | 0 commentaire(s)|

« Samba Diallo avait été fasciné par ce visage, qui était comme une page vivante de l’histoire du pays des Diallobé. Tout ce que le pays compte de tradition épique s’y lisait. »
Cheikh Hamidou Kane, l’Aventure Ambigüe


Ma réponse à la question du Député-Serigne Ndakarou - Par Abdou Khadre Gaye
Dans une interview avec le journaliste Demba Ramata du quotidien Direct Infos, en date du 23 juin 2014, j’ai abordé la fameuse question de la démission du Député-Serigne Ndakarou de l’Assemblée Nationale. « Pourquoi doit-il démissionner ? » ont répliqué d’aucuns, tandis que d’autres acquiesçaient. À l’émission « Faram Facce » de la TFM du 17 Juillet 2014, le Député-Serigne Ndakarou a servi la même réponse : « Qu’on me dise pourquoi je dois démissionner de mon poste de député…? » Depuis lors, cependant que me poursuit sa colère, la question enfle ; il en survient même de nouvelles. Loin de moi la polémique inutile et les foudres du « roi », mais je suis concerné par cette interpellation, pour au moins deux raisons : d’abord parce que je fais parti de ceux qui ont agité la question, ensuite parce que ce débat est un débat de fond que la Collectivité Lebou, ouverte au dialogue et à la liberté d’expression, doit poser sur sa table et trancher. Je voudrais donc dire, en toute objectivité, pourquoi le Député-Serigne Ndakarou doit démissionner de l’Assemblée Nationale, mais surtout renoncer à la pratique politique, et travailler à la réconciliation de la grande famille lebou. Je dirais aussi « ma libre opinion » sur « sa libre opinion » concernant le mandat présidentiel, question sur laquelle il s’est particulièrement appesanti.

Politique et coutume aujourd’hui, ou le serpent et sa vieille peau

La politique divise, appelle à la compétition, excite les passions, suscite des conflits alors que la coutume ramène à la source, apaise et réconcilie. La politique fait penser à la ruse, la coutume à la sagesse. L’homme politique cherche des militants et des partisans pour conquérir ou conserver le pouvoir, l’homme d’état gouverne ; tous deux passent le plus clair de leur temps à surveiller des adversaires supposés ou réels. L’autorité coutumière, quant à elle, préserve des valeurs en tant que gardien d’un temple. Elle gère surtout un patrimoine spirituel, moral et culturel. Elle incarne une vision du monde. Elle constitue une perspective, un point de vue. Elle représente une communauté dont elle est l’incarnation.

Hélas, comme l’a affirmé El H. Malick Sarr dans son livre « Les lebous parlent d’eux-mêmes » : « La politique n’a pas épargné la coutume ». Car, précise-t-il, à un certain moment de l’histoire, la stabilité de l’organisation politique des Lebou a été perturbée, et des familles naguère très unies se sont retrouvées dans l’adversité du fait de la division de la population en groupes d’opinions politiques. Le Pr Assane Sylla de confirmer dans son livre « Le peuple lebou de la Presqu’île du Cap Vert » : « Désormais tout chef élu voit se dresser contre lui le clan d’un candidat au poste qu’il occupe ». Et, effectivement, à cause de la politique, on a assisté, tout au long de ce dernier centenaire (1914/2014), à ce que d’aucuns ont appelé « la guerre des Serigne Ndakarou » ou « la guerre des Jaraf » ; à cause d’elle, la communauté lébou a vécu ses pires crises, des déchirements mémorables qui l’ont complètement défigurée. On peut citer, entre autres exemples, la création par les Français, en 1924, sur proposition de Blaise Diagne, du titre de « Chef supérieur de la Collectivité Lebou », qui devint alors, au dessus de la mêlée, l’interlocuteur du Gouvernement français, nous apprend le Pr Assane Sylla.

Aujourd’hui, le constat est fait que les fonctions coutumières ont perdu de leur lustre, et que le patrimoine immatériel qui est le fondement de l’identité lébou se dilue chaque jour un peu plus ; que des contradictions profondes déchirent les villages et pénc. Des contradictions qui risquent à terme d’asphyxier la communauté qui, il faut le reconnaître, est gravement atteinte. En effet, le titre de Dignitaire est presque partout revendiqué par des camps antagoniques, le droit d'ainesse est tous les jours bafoué, la solidarité tend à disparaître, l’histoire est oubliée ainsi que les traditions sacerdotales, la langue, les contes, les proverbes et les légendes. Toutes ces belles vertus qui caractérisaient nos pères et mères que sont, entre autres, le jom, le ngor, le kaddu, le fula et la fayda n’existent presque plus. On ne sait plus le sens véritable du pénc, de l’eutteu et du wanag, on ne sait plus le sens des fonctions traditionnelles.

A une pareille heure où l’on parle d’exhumation des valeurs traditionnelles positives, de revitalisation des pénc, de réhabilitation des fonctions coutumières, bref à l’heure où l’on parle de revalorisation du patrimoine lebou, il est dommage, en effet, à une pareille heure crépusculaire, que soient posés ou perpétués par quiconque des actes propre à effacer d’avantage la mémoire des pénc et villages de Dakar et à dévaloriser les institutions de la Communauté lebou. Or, en voulant conserver son poste de Député et se présenter aux séances de l’Assemblée Nationale avec ses attributs de Serigne Ndakarou et ainsi entretenir la rancœur des responsables et militants du parti qui a porté sa candidature à la députation, en voulant rester véritablement le patron effectif de son parti politique et s’impliquer ouvertement dans des élections, la plus haute autorité de la Communauté lebou sape les fondements de son propre pouvoir. A savoir : l’ascendance, la neutralité et l’ouverture.

Le Serigne Ndakarou est, en effet, l’incarnation du peuple lebou. Et, au même titre que tous les chefs de communautés coutumières ou religieuses, il doit être au-dessus et au-delà des contingences politiques. Car il est un repère que rien ne doit déplacer ou brouiller, un recours qui doit rester accessible, un parchemin suffisamment lisible, une page vivante de l’histoire du peuple lebou. Et c’est pourquoi, disent les anciens, on naît à la fonction de Serigne Ndakarou, à travers le rituel de la retraite initiatique du boofal, tel un poussin qui sort de sa coquille, un papillon qui quitte sa chrysalide ou bien un serpent qui abandonne sa vieille peau. Or le poussin ne sort pas de sa coquille pour y revenir, mais pour devenir ; le papillon ne quitte pas la chrysalide pour ramper avec les chenilles, mais pour voler ; le serpent ne revêt pas sa vieille peau, mais des écailles toutes neuves.

Un règne qui doit avoir la fraîcheur et la douceur de l’eau du melon

Le Serigne Ndakarou est comme une épingle qui peut piquer et faire mal, mais qui, en vérité, est faite pour coudre. Il est comme une ceinture qui peut servir à frapper, mais qui, en vérité, sert à ceindre. Car en tant que représentant de la tradition, il doit sauvegarder tous ces liens qui se distendent et se rompent. Il doit ceindre et sauver cette partie de nous même sans laquelle nous ne serons plus tout à fait nous même et perdrons notre identité. Il doit par conséquent avoir la poitrine et le dos larges, la main droite prompte. Alors il doit réconcilier la collectivité avec elle-même et, de Toubab Dialaw à Ngor, recoudre le lien unissant les villages et pénc de Ndakarou, éteindre les conflits et dissiper les malentendus. Il doit travailler essentiellement à la réunification de la grande famille lebou, à sa cohésion. C’est cela l’urgence. Il doit tenir haut le flambeau à l’instar des anciens, toujours privilégier le dialogue, la concertation et le consensus, s’élever au dessus des camps et faire preuve d’impartialité et d’esprit de dépassement dans l’exercice de sa mission. Car, comme on le dit lors du rituel du boofal, son règne doit avoir la fraicheur et la douceur de l’eau du melon. Et confirme le Pr Assane Sylla dans son ouvrage précité : « Si nous sapons la crédibilité de nos institutions traditionnelles par des querelles de bas niveau, les jeunes générations, qui en supporteront les retombées néfastes, tourneront ailleurs leurs regards ».

Il doit aussi travailler à la paix et à la cohésion nationale par le renforcement des liens de solidarité entre les différentes communautés qui composent notre jeune nation. Car, comme dit le Professeur : « La nation sénégalaise a elle aussi besoin de voir les différentes communautés qui la composent, demeurer cohérentes en elles mêmes, et solidaires les unes vis-à-vis des autres. » Et de poursuivre, prophétique : « Lorsque la crise sera résolue, la première urgence qui s’imposera, sera d’élaborer une charte culturelle de la collectivité lebou qui dissipera toute les ambiguïtés des institutions traditionnelles et nous permettra ainsi d’éviter le retour d’une crise similaire. » Et elle est plus qu’importante, la charte culturelle. Car beaucoup de questions interpellent la Communauté - dont celles qui font l’objet de cette réflexion - qui exigent des réponses urgentes ; des questions relatives à son histoire, son organisation sociale et politique, etc. qui doivent être recensées, classées et abordées en toute objectivité ; sans quoi l’insignifiant risque de prendre le dessus et alors rien d’important, de grand, à la mesure du peuple lebou, ne saurait se faire ni même se concevoir.

C’est peut être la conscience de cette œuvre immense qui a fait dire à l’Imam Ratibe, Alioune Moussa Samb, à la cérémonie d’intronisation de Santhiaba : « Être Serigne Ndakarou, ce n’est pas que porter des manteaux et des turbans ». Et Mbaye Diagne de Thieudeme d’apporter la précision suivante que beaucoup de fils de pénc partagent avec lui : « Le Serigne Ndakarou n’est pas le « Roi de Dakar » (Bourou Ndakarou), mais bien plutôt « L’envoyé de Dakar » (Ndawou Ndakarou) ; il a en face de lui non pas des « sujets » (dague), mais des « nawle » (égaux) auxquels il doit respect et écoute ».

Les vertus séculaires du peuple lebou ou l’obligation pour chacun d’être « le berger de sa parole »

Le peuple lebou s’est toujours distingué dans le passé par ses vertus. N’est-ce pas un baume au cœur que ce témoignage de Mgr Benoit Truffet, Chef de mission des côtes occidentales d’Afrique, qui disait, dans une correspondance en date du 30 novembre 1847 : « La droiture, la probité, le respect pour le mariage, la soumission des enfants aux parents, leur affection pour leur père, l’hospitalité patriarcale des wolof contrastent avec les mœurs des Européens. Le meurtre, le vol et la fraude sont choses inouïs dans la Presqu’île du Cap Vert...»

En Avril 1830, les autorités de la Presqu’île du Cap Vert ont répondu non au Commandant de Gorée qui leur demandait de lui livrer ou bien d’exiler le prédicateur musulman Ndiaga Isseu, un prince du Niambour qui s’était mis sous leur protection. Par une grande fusillade, nous apprend Claude Faure, dans son « Histoire de la Presqu’île du Cap Vert », les Lebou jurèrent de défendre leur protégé. Plutôt que de revenir sur leur parole, ils ont préféré perdre des avantages financiers. En effet, ils choisirent de renoncer à des taxes d’embarquement comme proposé par le rusé Charles Alexandre Hesse, à qui Matar Diop, le Serigne Ndakarou de l’époque, avait répliqué suite à sa requête : « Je ne peux chasser ni livrer un malheureux qui vient se mettre sous la protection du pays ; car cela est inhumain et contraire aux principes de notre religion ».

Tel était, tel doit rester, le peuple lebou : courageux, généreux, fier et respectueux de la parole donnée. Car le respect de la parole est le signe le plus élevé de la noblesse, pensaient les anciens qui ne comprenaient que trop que la crédibilité repose sur la valeur de la parole ; et qu’un « chef » qui se dédit perd le pouvoir réel : le respect de ses concitoyens. C’est pourquoi ils recommandaient à chaque homme d’être « le berger de sa parole ».

Comment donc ne pas déplorer que le gardien des valeurs traditionnelles lebou, qui doit aider ce peuple à se départir des mauvais comportements et à se réconcilier avec l’éthique, puisse appeler le Président de la République à se dédire, en ne ramenant pas son mandat de sept à cinq ans comme il a promis de le faire, sous prétexte qu’il n’aura pas le temps de terminer ses chantiers ; alors qu’il en a pris l’engagement en toute liberté devant le peuple sénégalais et l’opinion internationale. Comment le Serigne Ndakarou, héritier de Dial Diop, d’Elimane Diol et d’Ibrahima Diop, qui tient « entre ses mains périssables » l’héritage moral et spirituel du peuple lebou, peut-il se faire le chantre de la violation de la parole donnée ?...

Mais ne perdons pas espoir. Car affirment Mercier et Balandier dans « Les pêcheurs lebous du Sénégal » : « Il n'est pas présomptueux de penser que ce petit peuple assurera son évolution dans la vie moderne sans payer celle-ci de la perte de son âme » ; et disait Ngouda Souare de Thieudeme : « salgouf teudeuna, waye damoul » (le roseau est couché, mais n’est pas cassé) ; s’adressant au Député-Serigne Ndakarou, à la cérémonie de lancement du beau livre « Miroir Lebou », il avertissait ainsi : «Yaakar bi takh niou fal la, sa sou tasse rek yabeel dougeu » (Lorsque se dissipera l’espoir qui a motivé ton élection, se dissipera aussi le respect des électeurs).

ABDOU KHADRE GAYE
Pencum Thieudeme
Ecrivain, Président de l’EMAD
Coordonateur du FESPENC
Tel : 338426736, Mail : emadassociation1@gmail.com