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Maintenir et réformer la CREI : une obligation et une urgence de l’heure

La reddition des comptes est une obligation légale prévue par les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de la Constitution du Sénégal. C’est ainsi que les organismes publics au Sénégal ainsi que leurs dirigeants sont soumis à la vérification d’organes ou de corps de contrôle étatique tels la Cour des Comptes, l’Inspection générale d’Etat, l’Inspection générale des Finances, la CENTIF, etc.


Rédigé par leral.net le Lundi 2 Mars 2015 à 12:58 | | 0 commentaire(s)|

Maintenir et réformer la CREI : une obligation et une urgence de l’heure
Chacun de ces organes et corps de contrôle, dans la limite de ses prérogatives, missions et spécificités, a, de façon significative, contribué à l’amélioration de la gouvernance dans les structures publiques du Sénégal. Pour celles-ci, il est aisé de découvrir, à la suite d’un contrôle rigoureux, sur pièces et sur place, des cas de détournements de deniers publics, de faux et usages de faux en écritures publiques, de vols et d’escroquerie, ainsi que des cas de gaspillage, plus difficiles à cerner.

Cependant, les types de fraude ont relativement évolué et sont devenus plus organisés et structurés. Les auteurs de ces fraudes maîtrisent parfaitement les insuffisances de l’arsenal juridique de notre pays et les arcanes financiers internationaux et, par conséquent, trouvent les moyens de commettre leur forfait en usant d’artifices leur permettant de contourner la règlementation en vigueur. Ainsi, sur les pièces produites à l’endroit des contrôleurs, tout est vraisemblable et rien ne permet aux auditeurs, de façon légale, d’établir une quelconque faute de gestion imputable aux agents incriminés. Si tel était le cas rien ne pourrait être découvert. En réalité le contrôle sur pièces et a posteriori à cette faiblesse.

Le type de fraude le plus difficile à établir est, à cet effet, la corruption car le corrupteur et le corrompu sont largement solidaires et unis. Leur secret est, ainsi, difficilement perceptible. La corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personne dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages particuliers ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. Elle conduit, en général, à l’enrichissement personnel du corrompu et de l’organisation corruptrice, au détriment de la société…

A la lecture de divers rapports de la Cour des Comptes, plus précisément de la Commission de Vérification des Comptes et de Contrôle des Entreprises publiques (CVCCEP) devenue Chambre des Entreprises publiques, il est apparu, très souvent, que les vérificateurs dénoncent une certaine ingérence des tutelles sur la gestion courante des structures publiques. En effet, il n’est pas rare de voir un ministre imposer à une société nationale sous sa tutelle le choix d’un fournisseur pour effectuer certains travaux ou prestations. Même si les différents codes des marchés publics ont sensiblement réduit les possibilités de fraude, un agent peu scrupuleux, maîtrisant parfaitement les textes et en complicité avec des fournisseurs, peut aisément faire passer, de façon légale, son choix.

Le non-respect du code des marchés publics, jugé par la Chambre de Discipline financière (CDF), et qui n’est pas considérée comme ayant un caractère pénal, peut masquer la corruption des agents publics par des fournisseurs pour l’obtention d’un marché donné. Depuis un certain temps, les gestionnaires ne font plus de détournements flagrants de deniers publics mais usent de manœuvres et d’artifices très pointues pour s’enrichir, la législation en vigueur doit donc être corrigée pour tenir compte de l’ingéniosité d’agents peu délicats.

Sur un autre registre, peut-on aujourd’hui cerner, sur les centaines voire les milliers de milliards reçus des bailleurs de fonds sous un magistère donnée, ce qui est réellement allé à l’économie nationale et ce qui a servi à des intérêts privés, sur les sommes décaissées par le Trésor public, ce qui correspond à des fournitures ou prestations réelles et ce qui a juste transité par un fournisseur pour aller dans les comptes ou coffres d’un agent public ?

A la suite de ce qui précède, on peut affirmer qu’en 1981, bien avant la création de la Cour des Comptes, l’adoption d’une loi qui réprime l’enrichissement illicite était véritablement révolutionnaire. Ce qui est le plus spectaculaire pour cette loi, c’est le fait qu’elle ne s’intéresse pas, a priori, à la méthode utilisée pour s’enrichir ; le fonctionnaire ou agent public, mis en cause, pouvant utiliser tous les subterfuges pour amasser de l’argent mais, au final, il devra justifier l’origine de ses biens ou de son train de vie à partir des gains loyalement acquis. Aussi, pour casser la collusion entre le corrupteur et le corrompu, cette loi a innové en encourageant la dénonciation et en exemptant de toutes poursuites les présumés complices qui auront révélé aux autorités les faits de corruption. Cette loi casse également le cycle d’enrichissement issu de trafics d’influence des autorités gouvernementales.

Beaucoup d’observateurs sont contre cette Loi car pour eux les droits de la défense ou la présomption d’innocence ne sont pas respectés du fait du renversement de la charge de la preuve, mais, cela est à relativiser. La Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI), mise en place par cette loi n’affecte pas un patrimoine à un agent ayant occupé des fonctions publiques sans preuve, c’est à la suite des déclaration de ce dernier sur ce qu’il possédait avant la période en question, ce qu’il a gagné durant la période et son patrimoine à ce moment, qu’une enquête est menée pour confirmer les dires de l’agent soupçonné d’enrichissement illicite. L’enquête est menée avant son interpellation sur la justification de sa fortune. Après celle-ci le procureur spécial apprécie le caractère probant ou non des justifications avancées.

Avec le procédé de la circularisation, la CREI peut avoir les informations nécessaires pour établir une partie du patrimoine de l’agent soupçonné. En effet, sur la base des demandes de la CREI, toutes les banques vont produire les relevés bancaires de l’agent et de ses proches. Le cadastre va renseigner sur leur patrimoine foncier, l’APIX ou les services du Ministère des Finances peuvent donner toutes les informations relatives à l’existence d’entreprises, la géographie de leur capital et de la participation ou non de l’agent ou de ses proches à la création de ces entreprises.

A la suite de cette enquête effectuée et de la mise en demeure servie, la Commission d’instruction de la CREI reprend les mêmes diligences et délivre des commissions rogatoire pour assoir leurs preuves. C’est à la suite de tout ce travail d’investigations de fourmis que le dossier peut être renvoyé à la Cour en vue du jugement. Durant toute la procédure, des procès-verbaux d’audition sont signés par les agents incriminés et des confrontations entre eux sont faites. Après cette procédure, la CREI apporte toutes les preuves justifiant le patrimoine qui est attribué au présumé et charge à ce dernier de justifier, par tous les moyens, la provenance licite des biens en cause.

La création, en 2003, de la Commission nationale de Lutte contre la Corruption et la Concussion (CNLCC) et qui, malheureusement, n’a pas atteint les résultats escomptés, la création, en 2004, de la CENTIF, qui a eu beaucoup de résultats positifs en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et la création récente, de l’OFNAC, démontrent, à suffisance, la nécessité de maintenir et de renforcer la CREI. Les quelques point positifs que le Sénégal a gagnés sur le classement de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC), en 2014, de Transparency international, sont essentiellement dus à ces mesures.
Bien sûr, comme toute œuvre humaine, la loi créant la Cour de Répression de l’enrichissement illicite est perfectible. Un double degré tant au niveau de l’instruction que du jugement devrait être envisagé.

Ce qui permettrait de faire appel des actes posés par la Commission d’Instruction ou de la décision rendue par la Cour. Aussi, pour plus d’efficacité, faudrait-il songer à la formation en économie et en gestion des magistrats et autres intervenants de la CREI. Enfin, la CREI jugeant essentiellement en matière financière, un partenariat avec la Cour des Comptes, plus expérimentée dans ce domaine, devrait être noué, à défaut de revoir la composition des instances d’instruction et de jugement.

Le peuple sénégalais, imbu d’une justice sociale, d’une gouvernance économique vertueuse, a fait de la reddition des comptes une demande sociale forte et la CREI et l’OFNAC sont, à notre sens, les instruments les plus à même de répondre à cette demande. Les adeptes des droits de l’homme ont manifesté leur désaccord sur la CREI au nom de la présomption d’innocence. Est-ce qu’un citoyen sénégalais, accusé d’avoir dilapidé les maigres ressources de l’Etat, a plus de droit qu’un paysan du Saloum qui attend désespérément la subvention des semences et la fixation du prix de l’arachide pour espérer pouvoir faire face à une pénible sècheresse, d’un pauvre étudiant venant du sud qui attend de recevoir sa bourse de 36 000F pour envoyer les 15 000F à son père au village, et j’en passe.

S’il y a quelqu’un qui mérite d’être soutenu dans cette affaire, c’est bien le peuple sénégalais, victime de l’arrogance et du mépris des politiciens. . Dans ce domaine, il faudrait comprendre que ces dispositions exorbitantes du droit commun découlent du statut privilégié du patrimoine et des ressources publics qu’elles ont l’ambition de sécuriser et de sauvegarder. Sans elles, il est clair que toute l’économie du pays risque d’être pillée par une caste de dépravateurs n’ayant ni vergogne ni sens de l’intérêt national.

Aux dignitaires religieux qui seraient tenté de faire une médiation en faveur des accusés d’enrichissement illicite, je leur demanderais de méditer les paroles d’un Homme à qui on demandait d’intervenir en faveur d’une respectable dame accusée de vol, il répondit que si ma fille Fatima était coupable de ce vol, je lui aurais coupé la main. Souleymane BAAL de son côté ne disait-il pas que si un dirigeant élu affiche les signes d’un enrichissement disproportionné sans justificatifs probants, emparez-vous de sa fortune, s’il résiste, combattez-le et destituez-le.

Cette Cour sera jugée comme « politique » si la traque se limite seulement au Ministre Karim WADE et à ses co-prévenus. Une liste de plus de vingt personnalités du précédent régime devant être auditionnées par la CREI, le peuple attend et observe la suite qui sera donnée à cette affaire par cette CREI qui est sensée juger en son nom et pour son compte.


Ibrahima NDIONE, auditeur
iboundione@yahoo.fr