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Marième Faye Sall : «Au début, les femmes se moquaient de moi quand je portais mes «ndokettes» et chaussais de simples ballerines à talon plat»

Rédigé par leral.net le Samedi 3 Décembre 2016 à 13:04 | | 0 commentaire(s)|



Votre père est chef comptable et votre mère infirmière. Après un Bac technique vous avez fréquenté l’université. Vous n’avez jamais regretté d’être allée si loin et de ne pas avoir eu une vie professionnelle ?
 
Non, je n’ai aucun regret. J’ai fait deux années préparatoires de mathématiques après mon Bac F2 pour intégrer le département de Génie électrique. Mais j’étais une jeune mariée avec un nouveau-né dans les bras, dont je devais m’occuper, et je ne pouvais pas me consacrer totalement à mes études. J’aimais me consacrer à mon bébé, à mon foyer et j’étais parfaitement épanouie ainsi. J’ai décidé de privilégier ma famille avec d’autant plus aisance que je suis une vraie mère poule. Je n’ai jamais regretté ce choix. Dans mes documents officiels, j’inscris toujours la mention « femme au foyer ».Certes, à un moment, j’aurais aimé reprendre une activité, mais mon mari était réticent. Elever trois enfants est aussi un travail à plein-temps.
 
Vous n’auriez pas aimé exercer une activité qui exprime tout ce que vous êtes en dehors du fait d’être une mère ?
 
C’est ce que je fais actuellement avec ma fondation, mes actions caritatives et en m’occupant de mes enfants ; ce qui n’est pas une mince affaire. Je vous assure que cela remplit amplement mes journées. Je n’ai pas le temps pour l’oisiveté ni pour l’ennui.
 
Il faut avoir un sacré tempérament pour supporter cette pression, induite par toutes ces femmes qui rivalisent ouvertement avec vous et ne vous jugent que sur votre apparence ?
 
Certaines femmes qui me rendent visite sont décontenancées par mes vêtements simples, puis en rigolent, parce qu’elles m’avouent qu’elles ont sorti leur apparat pour, finalement, me trouver quasiment pieds nus. Du coup, elles se détendent. Elles sont si surprises de me voir si naturelle et les choses se passent très bien. Même quand je vais dans les baptêmes, dans nos fêtes, je fais tout pour ne pas être sophistiquée. Il m’arrive parfois de me préparer pour sortir et mon mari me dit : « Tu n’oses pas sortir comme ça ? » Quand je lui demande pourquoi, il me rétorque que je suis trop simplement habillée. Quand les gens viennent dans une assemblée ou une rencontre officielle, ils ne peuvent pas désigner de prime abord la Première dame. Du coup, ils la cherchent activement, et c’est très drôle.
 
Comment conciliez-vous vos activités, votre statut de Première dame du Sénégal, avec vos occupations quotidiennes ?
 
Aujourd’hui, par exemple, si vous n’étiez pas là, je serais partie chez ma mère passer la journée avec elle et mes belles-sœurs. Hier encore j’y étais. Je mène vraiment une vie normale. Tout récemment, j’étais à proximité de la devanture d’une boutique et une journaliste m’a interpellée en ces termes : « Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi sortez-vous seule, Pourquoi vous faites comme nous ? » Je lui ai alors posé cette question : «Parce que je ne suis pas comme vous ? »
J’ai compris ce qu’elle voulait dire, mais je voulais la confondre, et lui ai répondu que rien ne me différenciait d’elle, même si je suis Première dame. Mon titre n’est écrit nulle part sur moi. Je vaque tranquillement à mes occupations, je fais mes courses à pied, je marche en ville pour faire mes courses ou juste avec une voiture et le chauffeur, car je n’aime pas être suivie.
 
Cette normalité qui vous rapproche de la population, la partagez-vous aussi avec votre mari ?
 
Oui, bien sûr ; lui aussi est simple. Il sait d’où il vient, il n’a pas la grosse tête, il sait pourquoi il est là. Il y a des gens qui adhèrent à sa cause juste parce qu’il est normal. Notre mode de vie n’a pas varié, on mange comme les Sénégalais. Il en rit d’ailleurs, parce que quand je viens lui demander en wolof s’il veut du « khogne » (fond de marmite), il me dit : M Et pour cela, je rends grâce à Dieu, car ce n’était pas évident. J’ai fermé les yeux parce que ce sont les gens qui prennent un malin plaisir à rendre la vie difficile et complexe, mais nous avons réussi à surmonter cela. Certaines personnes se gaussaient du fait que je n’allais pas résister, avec mon mari au sommet de l’Etat. Cela fait quatre ans déjà qu’il tient les rênes du pays et je me sens une force immense. Certains savent que les futilités ne m’intéressent pas et ne grandissent pas avec moi. Mon mari est Président, pour un temps, et comme je n’ai aucune envie de souffrir après, la seule solution, c’est de rester moi-même.
 
Vous pensez déjà à l’après présidence ?
 
Bien sûr, et c’est pour cette raison que je ne change pas de vie. Le public oublie souvent que mon mari a eu à occuper des postes importants dans ce pays et pourtant, c’est lorsqu’il est devenu Président que mon existence a été remarquée. Ou étais-je donc durant sa longue carrière qui a débuté en 2001 comme ministre des Mines, de l’Energie et de l’Hydraulique, puis ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, comme Premier ministre puis président de l’Assemblée nationale ? Les gens ne se posent pas cette question, mais j’étais à ses côtés et à ma place, sans en faire un monde, car c’est lui qui est élu, pas moi.
 
Que voudriez-vous apporter durant la mandature du Président Macky Sall ?
 
La conscience de la simplicité et l’importance de l’authenticité. Nous sommes dans un pays où le paraître est roi, vous comprenez ce que je veux dire… Par exemple, quand j’avais des audiences autrefois, mes gens arrivaient en tenue d’apparat ; maintenant, ils comprennent que rien ne vaut le naturel. J’aimerais vraiment laisser cette habitude de privilégier la simplicité, l’exigence d’être soi et non le travestissement pour des futiles raisons… Au début, les femmes se moquaient quand je portais mes « ndokettes » (grandes robes) et chaussais de simples ballerines à talon plat ; maintenant, les femmes ont adopté ce style. Les gens approuvent finalement ma démarche. Quelques-uns pensaient que c’était un jeu, néanmoins ils ont compris, car on ne peut pas jouer en permanence pendant quatre ans. Maintenant, je marche tranquillement dans les rues de Dakar et les gens me saluent et chahutent parfois.
 
Enfin, ne pas perdre de temps avec ces histoires d’apparence me permet de me consacrer aux autres, aux plus nécessiteux, à ceux qui souffrent. Je ne veux pas énumérer tout ce que je fais au sein de la fondation Servir le Sénégal que j’ai initiée, mais j’essaie, tant que faire se peut, d’aider les gens. Et il y a tant à bâtir, construire, réaliser. Que ce soit des installations sanitaires dans la banlieue de Dakar, des visites à des malades, de la distribution de repas au moment des fêtes religieuses, l’aide à la construction d’un centre cardio-pédiatrique, de maternités. Les besoins sont immenses et les moyens souvent insuffisants. Beaucoup de choses sont cependant réalisées, mais sans avoir les projecteurs et les médias braqués derrière chaque opération. Je vais très souvent dans les hôpitaux pour rendre visite aux malades, aux personnes âgées, afin de leur donner un peu de compagnie et de soutien.
 
Vous sentez-vous en phase ou plutôt en retrait vis-à-vis des autres Premières dames d’Afrique et d’ailleurs ?
 
Tout récemment, il y a une Première dame qui m’a interpellée : «Tu nous boudes ou quoi ? » Pourtant non. Mais c’est juste que ce n’est pas moi. J’aime bien les Premières dames ; certaines sont mêmes très drôles et nous nous sentons bien ensemble. Mais en voyage officiel, c’est comme si on nous exposait dans un zoo. Je pense qu’une Première dame mérite mieux que d’être juste ainsi exposée.
Avez-vous le temps d’avoir une passion en dehors de ça ?
 
La lecture. Hier après-midi, je me suis rendue à la librairie les Quatre vents où j’ai acheté plusieurs romans à l’eau de rose. Eh oui, je sais que ce n’est pas de la grande littérature, mais c’est un tel dérivatif pour moi, que je dévore ces livres dès que je les ai en main. Et ensuite je suis fin prête à reprendre mes responsabilités et à assumer tous mes devoirs.
 
Source Brune Magazine