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Massification, alliance ou transhumance - Par Dr. Chérif Diallo

Rédigé par leral.net le Jeudi 6 Novembre 2014 à 09:00 | | 0 commentaire(s)|

« Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins de monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer. » Sylvain Tesson.


Massification, alliance ou transhumance - Par Dr. Chérif Diallo
Après avoir consolidé son pouvoir en 2007, l’ancien Président Abdoulaye Wade s’employa pendant pratiquement toute l’année 2008 à mener un combat sans répit contre son ex-directeur de campagne à la présidentielle. Macky Sall, le président de l’assemblée nationale d’alors, devint alors la cible de la direction du PDS qui lui reprocha officiellement d’avoir cherché à humilier le fils du président Abdoulaye Wade en convoquant les responsables de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (ANOCI) à une séance d’explication devant la commission des finances de l’Assemblée nationale.

En effet, Macky Sall eu, pendant presque toute l’année 2008, à subir les assauts de la direction du PDS. Refusant de démissionner, ce que recherchait ouvertement Abdoulaye Wade, Macky SALL s’accrocha au perchoir de l’Assemblée nationale, poussant ainsi le PDS à reprendre son jeu favori de tripatouillage des institutions et notamment de la constitution. En conséquence, Macky Sall fut anticonstitutionnellement débarqué du perchoir de l’Assemblée nationale avant de démissionner de ses deux mandats de député et de maire de Fatick. Il créa alors sa propre formation politique, l’Alliance pour la République (APR/Yaakaar) avec laquelle il reconquit la mairie de Fatick en 2009, puis accéda à la magistrature suprême en 2012.

Les élections locales du 29 juin 2014 arrivent après l’officialisation de l’Acte 3 de la Décentralisation qui a conduit à une restructuration portant ainsi, le nombre des Collectivités locales de 488 à 602, après la suppression de 14 Conseils Régionaux, et la création de 42 Conseils Départementaux. Elles seront aussi marquées par le nombre inédit de listes électorales au nombre de 2700, parties à la conquête des 602 collectivités locales. Avec un taux de participation de 41%, le peuple Sénégalais a encore fait preuve d’une maturité électoraliste qui va sans doute contribuer à rehausser son prestige international.

Selon les résultats définitifs, la coalition BBY du Chef de l’Etat a conquis une dizaine de capitales régionales sur les 14 (soit 71%), et une trentaine de Conseils Départementaux sur les 42 (soit 71%). Elle a en outre remporté 475 collectivités locales sur les 602 (soit 79%).

D’un point de vue purement comptable, la victoire de la mouvance présidentielle est éclatante. En revanche, compte tenu d’un mode de communication assez timide, elle n’a pas su revendiquer ce succès autant qu’il le fallait, au point que les résultats du 29 juin 2014 apparaissent aux yeux de l’opinion publique sénégalaise comme une défaite de la coalition BBY.

Le cas de Dakar est différent des défaites enregistrées à Thiès et Ziguinchor. Pour Dakar, même s’il s’agit d’une défaite pour la jeune formation APR/Yaakaar, on peut parler, en revanche, de victoire pour la majorité présidentielle car le PS est un partenaire privilégié du Président dans la coalition BBY. Quant à Thiès et Ziguinchor, la multiplication des listes dissidentes au sein de la mouvance présidentielle a été fatale. Dès lors, la coalition BBY peut déplorer le fait que l’union qui est un corollaire naturel de la massification, n’ait pas été possible pour rassembler tout le monde autour de l’objectif essentiel qui était la victoire. Néanmoins, ces déceptions sont largement compensées par les victoires enregistrées à Pikine, Guédiawaye, Kaolack et Saint-Louis pour ne citer que celles-là.
Suite à ces élections, on parle beaucoup aujourd’hui, et avec insistance de faire rallier à l’APR certains maires actuels issus de l’opposition.

L’addition est certes un pilier fondamental de la politique. A ce jeu, et d’un point de vue locale, faire transhumer à l’APR des maires de l’opposition pourrait être perçue comme une bonne chose en vue d’augmenter les chances de la réélection du Président Macky SALL dès le premier tour en 2017. Dans cette logique, cela signifierait aussi qu’il faudra s’employer, dans la mesure du possible, à faire transhumer la majorité des maires actuels issus de l’opposition. Cependant, le transfèrement des voix d’un maire à un candidat d’une élection présidentielle n’est pas si mécanique qu’on puisse le penser. De ce fait, la question de de la transhumance vers l’APR pourrait aussi avoir une portée plus nationale que locale. En effet, il ne faut pas oublier le fait que les circonstances de son exclusion du perchoir de l’assemblée nationale en 2008, ont fait de Macky SALL une victime bénéficiant ainsi de la sympathie d’une partie de l’électorat qui le soutiendra dès les premières heures de sa jeune formation politique, l’APR/Yaakaar. Que penseraient donc ces électeurs, militants et sympathisants d’un éventuel ralliement des maires actuels issus de l’opposition ? Quelles seraient les conséquences d’un éventuel rapprochement avec le PDS ?

Le régime du PDS a laissé un souvenir très douloureux, encore présent dans tous les esprits, à nos concitoyens qui lui ont adressé le carton rouge au soir du 25 mars 2012. Les législatives et les locales qui ont suivi ont confirmé, à tel point, le fait que le PDS et ses cadres ont été vomis par le peuple sénégalais. La coalition BBY n’aurait certainement rien à gagner d’un rapprochement avec le PDS. En revanche, le PDS et ses cadres auraient tout à y gagner. Les faire revenir serait sans doute suicidaire pour le Président et sa majorité. En fait, de quoi le Président et sa majorité auraient-ils réellement peur ? Les portes de l’APR n’ont jamais été refermées, la massification est certes un plus. Celui qui souhaite l’intégrer, est certes le bienvenu, et sa démarche naturelle devrait consister à aller adhérer dans la structure de base de l’APR/Yaakaar sise dans sa localité. Pour la gestion des affaires, c’est à Macky SALL et à sa coalition que les électeurs ont accordé leur confiance en mars 2012. Ce serait donc trahir cette confiance si les anciens ténors du PDS revenaient tout de suite aux affaires, au moment même où la CREI n’en a pas encore fini avec eux.

Au-delà d’une éventuelle intégration dans les instances de base de l’APR/Yaakaar, ce que le Président de la République attend des maires nouvellement élus ou réélus, c’est qu’ils fassent pleinement leur travail. A savoir :
• assurer une gestion sécurisée des marchés de ville incluant des schémas de prévention et de lutte contre les incendies,
• revisiter les plans de circulation dans leurs communes de manière à maintenir un parfait équilibre entre sécurité routière et fluidité du trafic,
• rétablir l’éclairage public et faire régner la sécurité et la tranquillité publique,
• lutter contre l’insalubrité en améliorant les systèmes de ramassage d’ordures et de traitement des déchets,
• informatiser certaines procédures administratives liées à l’état civil (actes de naissance, de décès, etc.),
• renforcer les plans de lutte contre les inondations,
• aider l’Etat dans les compétences transversales.

En faisant ce travail, ils auront contribué à rendre visible le changement tant attendu par les populations et de ce fait, ces maires auront participé à la réélection de Macky SALL qui, pour sa part, aura déjà concrétisé les réalisations annoncées du plan Sénégal émergent. Il serait donc utile de rappeler que depuis le 29 juin 2014, La coalition BBY ne devrait plus avoir qu’un seul et unique objectif, c’est de travailler afin de faire réélire Macky SALL dès le premier tour en 2017. Dans cet objectif, les ministres et directeurs généraux devront, eux aussi, poursuivre leurs efforts et soutenir davantage le Président de la République. On pourrait citer, en exemple, le magnifique travail accompli par les Professeurs Eva Marie Coll SECK (dans la gestion de la crise Ebola) et Mary Teuw NIANE (dans les différents chantiers de l’enseignement supérieur et de la recherche). Quant à ce dernier, il faudra aussi lui reconnaitre l’héritage douloureux d’un champ en ruine dont il a pour mission de reconstituer les milliers de pièces du puzzle. Nul ne doute qu’avec sa compétence et sa rigueur, le Pr. Mary Teuw NIANE parviendra à remettre en ordre l’Université sénégalaise. Pour cela, il a néanmoins besoin du soutien et de la confiance de l’ensemble des acteurs aussi bien de l’espace universitaire que des autres démembrements du gouvernement.

Au final, le jeu de la massification, des alliances et de la transhumance ne pourrait être utile au Président Macky SALL que s’il parvient d’une part à limiter les conséquences des éventuelles frustrations, et d’autre part à éviter d’armer de potentiels adversaires pour la bataille de 2017. Ainsi, sa coalition a intérêt à adopter une démarche plutôt inclusive qui consiste à passer par les militants de base afin d’éviter de leur faire subir des décisions venues d’en haut qui seraient prises à la suite de négociations et de lobbying diverses sans prise en compte des spécificités liées à chaque candidat à la transhumance.

Dr. Chérif DIALLO
Enseignant chercheur
Université Gaston BERGER de Saint-Louis
cdiallo@yahoo.fr