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Me Abdoulaye Tine : L’interdiction de plaider "pour" ou "contre" l’Etat vise également les avocats investis d’un mandat parlementaire

Après la polémique sur la constitution du pool d’avocats de Karim Wade, composé entre autres d’anciens ministres de la république dont Me Souleymane Ndéné Ndiaye, Me El Hadji Amadou Sall, Me Alioune Badara Cissé, nous avons interrogé Me Abdoulaye Tine, Avocat au Barreau de Paris et Professeur de droit pénal international à l’Institut des Droits de l’Homme de la Paix de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour lui solliciter un éclairage sur cette question.
Me Tine nous a confirmé l’existence d’une telle interdiction par une Loi n° 2009-25 du 8 juillet 2009 portant modification de la loi n° 84-09 du 4 janvier 1984 complétée par la loi n° 87-30 du 28 décembre 1987 relative à l’Ordre des Avocats, J.O. N° 6494 du Samedi 17 Octobre 2009.
Selon lui, cette loi s’applique également aux avocats qui sont investis d’un mandat parlementaire comme c’est le cas actuellement de Me El Hadji Diouf qui a lui-même soulevé cette interdiction contre ses confrères ex ministres.


Rédigé par leral.net le Vendredi 1 Août 2014 à 19:22 | | 0 commentaire(s)|

Me Abdoulaye Tine : L’interdiction de plaider "pour" ou "contre" l’Etat vise également les avocats investis d’un mandat parlementaire
Pourquoi une telle loi ?

Il s’agit d’une loi visant à moraliser la vie publique par la prévention du risque de Conflit d’intérêt.

La question est donc celle de la définition du Conflit d’Intérêt. Il convient d’indiquer d’abord que l’’article 11 de cette loi ne distingue pas comme c’est le cas avec la loi française, selon que l’avocat intervient en matière juridique ou en matière judiciaire.

En effet, cette loi vise à s’appliquer à tous les actes de la profession d’avocat, c’est-à-dire aussi bien dans sa fonction de conseil (matière juridique) que celle de représentation et de défense (matière judiciaire).

S’agissant de l’avocat dans sa fonction de conseil, il y a conflit d’intérêts lorsque l’avocat, qui a l’obligation de donner une information complète, loyale et sans réserve à ses clients, ne peut mener sa mission sans compromettre, soit par l’analyse de la situation présentée, soit par l’utilisation des moyens juridiques préconisés, soit par la concrétisation du résultat recherché, les intérêts d’une ou plusieurs parties.

S’agissant à présent de l’avocat dans sa fonction de représentation, il y a conflit d’intérêts lorsque, au jour de sa saisine, l’assistance de plusieurs parties conduirait l’avocat à présenter une défense différente, notamment dans son développement, son argumentation et sa finalité, de celle qu’il aurait choisie si lui avaient été confiés les intérêts d’une seule partie.

En un mot, cette loi cherche à éviter que des avocats puissent profiter de leur position antérieure (d’ex agent de l’Etat) ou actuelle (élu local ou parlementaire…) pour faire usage d’éléments dont ils n’auraient pas pu avoir accès s’ils n’avaient pas occupé de tels postes de responsabilités au sein de l’appareil l’Etat ou au sein de la représentation nationale.

Leur position antérieure ou actuelle leur confèrerait donc un avantage immédiat soit dans préparation de la stratégie judiciaire à mettre en œuvre ou soit dans l’élaboration de leur argumentaire dans une l’affaire mettant en jeu les intérêts de l’Etat ou d’un de ses démembrements.

Cette interdiction qui est ainsi posée à l’article 11 vise donc « les avocats, anciens fonctionnaires ou agents quelconques de l’Etat ou d’une collectivité publique ou territoriale décentralisée ».

En effet, cet article dispose clairement que « ces derniers, ne peuvent accomplir contre (c’est-à-dire être adversaire) ou pour l’Etat (être défenseur), les administrations relevant de l’Etat et les collectivités publiques ou territoriales décentralisées aucun acte de la profession pendant un délai de trois ans à dater de la cessation légale et effective de leurs fonctions ».

Certains pensent également que Me El Hadji Diouf qui soulève cette interdiction contre les avocats de Karim Wade serait également sous le coup de cette loi en raison du fait qu’il est parlementaire, qu’en pensez-vous ?

L’article 11 précise que la même interdiction s’applique :

- « Aux avocats investis d’un mandat territorial pour les affaires des établissements communaux, des communes et des collectivités locales dont ils sont élus ou d’un mandat parlementaire pour les affaires de l’Etat et de ses démembrements ;

- Aux avocats, anciens magistrats, pour les affaires dont ils ont connu à un titre quelconque en qualité de magistrats.

C’est dire qu’un député en cours de mandat reste évidemment assujetti à l’interdiction posée par l’article 11.

Ce problème peut-il paralyser la tenue voire la poursuite du procès de Karim Wade ?

Il peut certes retarder la bonne marche du procès mais ne pourra en aucun cas le paralyser puisque qu’il s’agit plus d’un problème déontologique, qui en tant que tel, devra être tranché par les instances ordinales ou par le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats.

Cependant compte-tenu du fait que le procès en question est un procès à forts enjeux et surtout d’intérêt public, je crois que la sagesse recommanderait aux concernés de se décharger eux même purement et simplement de leur mission.

Qu’est ce qui pourrait se passer si ces avocats refusent tout de même de se décharger de leur mission ?

L’article 11 prévoit qu’en cas d’infraction aux dispositions du présent article, « seront appliquées les règles disciplinaires prévues dans la présente loi ».

En clair, les avocats qui décideront de plaider malgré tout pourraient se voir reprocher le non respect d’une telle interdiction ce qui les exposeraient ainsi à des sanctions disciplinaires.

Théoriquement, ils pourraient écoper d’un avertissement, d’un blâme ou bien d’une suspension temporaire d’exercer le métier d’avocat voire même la radiation.

Dans ce cas qui pourra saisir le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats ?

Chacune des parties au procès pourra alléguer cette interdiction et la porter devant le Bâtonnier.

Le Procureur de la République pourra également prendre l’initiative de demander au Bâtonnier de se prononcer sur cette interdiction.

Enfin, par mesure de précaution et pour éviter d’en arriver là, les avocats concernés peuvent aussi de leur propre initiative, solliciter l’avis de leur Bâtonnier en lui demandant de se prononcer dans les meilleurs délais sur cette difficulté.

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