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Mexique : l'incroyable évasion du grand parrain «El Chapo»

L'empereur mexicain de la drogue a fui d'une prison de «sécurité maximale», en empruntant un tunnel de 1 500 mètres, ventilé et éclairé, débouchant dans un immeuble en construction.


Rédigé par leral.net le Dimanche 12 Juillet 2015 à 19:44 | | 0 commentaire(s)|

Le prisonnier le plus surveillé du Mexique s’est évadé. Un tunnel de 1 500 mètres, partant des douches de la prison, a permis à Joaquin «El Chapo» Guzman, le narcotrafiquant le plus puissant qu’ait connu le pays, de retrouver la liberté. L’impensable s’est produit samedi soir, dans la prison dite «de sécurité maximale» de l’Altiplano, à l’ouest de Mexico.

Le chef du cartel de Sinaloa (Etat du nord-ouest) était le trophée du gouvernement d’Enrique Peña Nieto, qui avait réussi à le capturer en février 2014, au terme d’une cavale de treize ans, alors que son organisation était considérée comme la principale responsable du trafic de drogues vers les Etats-Unis et de la violence extrême qui régnait au Mexique. «El Chapo» (le nabot) est le roi de l’évasion. Le 19 janvier 2001, il s’était déjà échappé de la prison de Puente Grande, près de Guadalajara, dissimulé dans une charrette de linge. C’était le début de son ascension fulgurante dans le narcotrafic.

Des complices

Cette fois-ci, à nouveau, sa fuite semble avoir été parfaitement planifiée et organisée. Le tunnel que Guzman a emprunté samedi soir, vers 21 heures, disposait de systèmes d’éclairage et de ventilation. Mais aussi de rails destinés à l’évacuation des décombres lors de la construction du passage… Autant de détails qui font rougir de honte les autorités mexicaines. 18 membres du personnel de surveillance, qui étaient de service dans ce secteur de la prison au moment des faits, ont été transférés à Mexico afin d’être interrogés. Que le narcotrafiquant ait bénéficié d’aide et de complicités à l’intérieur de la prison, réputée la plus sûre du pays, était évoqué ce dimanche comme une évidence par la presse mexicaine.

«El Chapo» a été aperçu pour la dernière fois sur les images des caméras de sécurité de la prison à 20h52, sur son chemin vers les douches. C’est là qu’a été découverte la bouche d’entrée du tunnel, une ouverture de cinquante centimètres sur cinquante, dissimulée sous une grille. En un saut, Guzman atteignait le tunnel proprement dit, haut de 1,70 mètre, une hauteur suffisante pour que le «capo» puisse s’évader la tête haute. Le passage débouchait dans un immeuble en chantier, situé dans un quartier résidentiel proche de la prison. Quand les gardes de l’Altiplano ont constaté que la star des prisonniers n’apparaissait plus sur les vidéos de sécurité, l’alerte a été donnée.

Les détails de l’évasion ont été livrés dimanche matin par Monte Alejandro Rubido, commissaire national de sécurité, dépendant du ministère de l’Intérieur. Le haut fonctionnaire, visiblement penaud, a expliqué qu’un important dispositif de recherche avait été déployé dans la région, au sol comme dans les airs. L’aéroport le plus proche, de la ville de Toluca, a été fermé.

Le ministre de l’Intérieur Miguel Angel Osorio Chong a immédiatement rebroussé chemin vers le Mexique après avoir atterri en France, dimanche en milieu de journée. Il accompagnait le président Peña Nieto lors de la visite d’Etat, qui inclut la participation de militaires mexicains au défilé du 14 juillet. «Pas de quoi se pavaner pourtant…» raille déjà la presse nationale. La fuite de l’ennemi public nº1 met les forces de sécurité en déroute et constitue un rude revers pour le gouvernement d’Enrique Peña Nieto, qui devra gérer le fiasco depuis Paris.

Femmes, alcool et viagra

En 2001, 72 personnes, des membres du personnel de la prison de Puente Grande, dont la cuisinière du narcotrafiquant, avaient été arrêtées, suspectées d’être impliquées dans l’évasion. Au terme d’une longue enquête, les autorités avaient été forcées de reconnaître une part de responsabilité dans les faits. Entre 1995 et 2001, alors qu’il était censé purger une peine pour trafic de drogue, l’homme avait pratiquement pris le pouvoir au sein de la prison.

En 2011, les comptes rendus d’une enquête menée par le Parquet général de la République – l’équivalent du ministère de la Justice – et divulgués dans la presse, montraient que le narcotrafiquant «jouissait de tous les privilèges, après avoir transformé les fonctionnaires de la prison en ses employés». Le «Chapo» commandait tout ce qu’il désirait : des femmes, de l’alcool, du Viagra, des téléphones portables…

Dans les dernières années de la présidence de Felipe Calderón (2006-2012), alors que les forces de sécurité se montraient incapables de retrouver le narcotrafiquant, la presse et les spécialistes évoquaient avec insistance l’existence d’un éventuel «pacte d’impunité» entre le gouvernement fédéral et le chef du cartel de Sinaloa. Ce dernier avait déclenché une guerre entre cartels en 2008, dominant les organisations rivales dans les années qui suivirent. Ses connexions, qui s’étendaient dans plusieurs pays d’Amérique du Sud et en Europe, lui avaient permis de dominer, notamment, le juteux trafic de cocaïne vers les Etats-Unis.

L’homme, dont la petite stature qui lui a valu son surnom est inversement proportionnelle à son pouvoir, figurait sur la liste des hommes les plus riches du monde élaborée par la revue américaine Forbes. Joaquin Guzman avait finalement été capturé un peu plus d’un an après l’arrivée à la présidence d’Enrique Peña Nieto. Il a passé dix-sept mois derrière les barreaux, sans jamais lâcher les rênes du cartel.

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