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Monsieur le Président de la République, Mboro est prise en otage


Rédigé par leral.net le Lundi 29 Décembre 2014 à 18:29 | | 0 commentaire(s)|

Monsieur le Président de la République, Mboro est prise en otage
« Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. Ils ont nommé cela progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort… »

Tel est le cri du cœur de René BARJAVEL qui résume en termes clairs la situation vécue par les Mborois pris en otage paradoxalement par la richesse de leur terroir. En effet, située dans la région de la grande côte à quatre kilomètres de la mer, vingt kilomètres de Tivaouane, quarante kilomètres de Thiès, Mboro est dotée d’un merveilleux paysage marqué par une succession de dunes, de dépressions inter-dunaires isolant des sols hydro-morphes riches en humus appelés « niayes ».

Ces types de sols font du terroir une zone de prédilection pour le maraichage. En effet, Mboro fournit 30% de la production de pommes de terre et d’oignon du pays, produit aussi du concombre, du haricot vert, de la courgette, de la citrouille, du gombo, des pastèques, du persil, de l’ail, des choux ,du navet, de la carotte, de la patate, des aubergines, du piment, de la tomate, du navet etc…

Cette liste loin d’être exhaustive s’accompagne d’une fonction d’arboriculture fruitière. Selon un audit effectué en 2002 déjà, Mboro dispose de 9 vergers modernes contenant 3404 manguiers, 1260 agrumes (orangers-goyaviers-citroniers-mandariniers-bananiers-sapotilliers-papayiers-pommier- cannelle). De plus, sa situation côtière offre à cette belle zone des vocations de pêche et de tourisme malheureusement enrayées par d’intenses activités industrielles. Car, en raison de la richesse du sous-sol, la zone maraîchère est aujourd’hui investie par des entreprises extractives à l’instar des Industries chimiques du Sénégal présentes dans la zone depuis plusieurs décennies, de la société GCO opérant non sans complaintes et contestations villageoises dans le périmètre de Diogo et maintenant la centrale à charbon dans le secteur de Khondio.

Nous saisissons Monsieur le Président de la République l’opportunité qu’offre le lancement des travaux de la Centrale pour alerter.

En effet, étouffés à l’est et au nord-est par les ICS et la société GCO, notre seule voie de salut était jusque-là la mer qui nous gratifiait d’alizés repoussant entre novembre et juin un bon pourcentage de pollution industrielle. Mais voilà que la centrale qui devra être conçue en principe au début de 2015 sème le doute dans la conscience collective mboroise.
Nous ne doutons certes pas de son utilité pour le pays surtout dans un contexte de crise de la SENELEC : elle doit lui doter de 360 mégawatts annuels et partant une capacité supplémentaire de 25%. De même, la dynamique de « mix énergétique » semble être la panacée face à la « mort » prochaine du pétrole.

Toutefois, nous ne nous empêcherons pas de poser cette question : ce que nous gagnerons vaut-t-il ce que nous perdrons ?

En tout état de cause, au-delà des points positifs, la centrale à charbon devant occuper 700 ha priverait aux nombreux maraîchers répartis dans les cinquante villages riverains des possibilités de production et les installerait dans la précarité. De même, une fois concrétisée, elle nous exposerait à la silicose liée aux inhalations de poussières de charbon et de silice cristalline. Pire, cette maladie invalidante évolue, si on n’y prend garde, vers le cancer des poumons.

Il s’y ajoute qu’en cas d’incendie de la centrale, les populations riveraines courent le risque de dégagement de monoxyde de carbone inhibant le transport d’oxygène à l’organisme. Dans la même foulée, la centrale pourrait aggraver l’érosion des sols, amplifier la pollution des nappes phréatiques déjà fortement entamées par les ICS ; surtout si l’on sait que l’exploitation des mines s’étend sur des kilomètres carrés et à des dizaines de mètres de profondeur.

En raison de ces questions vitales, nous comptons Monsieur le Président sur votre sens des responsabilités mais surtout votre statut de gardien de la Constitution pour faire respecter le code de l’Environnement en son article L51 : « L’étude d’impact comporte au minimum une analyse de l’état initial du site et de son environnement, une description du projet, l’étude des modifications que le projet est susceptible d’engendrer et les mesures envisagées pour supprimer, réduire et compenser les impacts négatifs de l’activité ainsi que le coût de celles-ci avant pendant et après la réalisation du projet. Un décret pris sur rapport du Ministère chargé de l’Environnement précise le contenu de l’étude d’impact. »

En dépit de la présence massive d’entreprises, il n y a quasiment pas de retombées eu égard au seuil de spoliation et de pollution.

La pollution de l’air, des nappes phréatiques et l’érosion des sols entament dangereusement les potentialités agricoles, maraîchères, maritimes touristiques mentionnées plus haut et installent par ricochet une précarité à la fois financière et sanitaire dans une zone privée d’hôpital de référence.

Monsieur le Président de la République, Mboro est victime de sa notoriété ; pourtant jeune commune tout y est priorité:

-Dans le domaine de l’hydraulique, Mboro continue de souffrir d’un déficit quotidien en eau de 536000 litres. Pourtant, l’exposé des motifs du code de l’eau stipule « Le principe essentiel entre tous est celui de la domanialité publique des eaux qui fait de cette ressource un bien commun à tous. C’est sur cette base que repose une bonne planification des ressources ; leur bonne gestion et leur répartition équitable entre les différents usagers et chacun selon ses besoins dans le cadre du strict respect de l’intérêt général. ». Les entreprises ne respectent pas toujours cette disposition.

-Dans le domaine de l’Assainissement, Mboro ne dispose pas de plan d’assainissement, il n’y a pas de latrines publiques, pas de morgues fonctionnelles encore moins d’espaces verts. De plus, le système de collecte des ordures ménagères n’est pas continu faute de moyens. Dans la même veine, les camions déversant de l’acide silicique en mer, traversent le marché central et mettent ainsi en danger quotidiennement la vie des Mborois.

-Les infrastructures sont les parents pauvres d’une commune sablonneuse qui ne dispose que de deux axes routiers : la D 702 reliant Mboro et Tivaouane- la route des Niayes en voie de dégradation avancée. On le voit donc les 65905 ml de voirie ne représentent que 9%.

-L’éclairage public ne se porte pas mieux car la nuit à part les foyers lumineux de Mbaye-Mbaye, le reste de la ville ressemble à un enfer sans fin au grand dam des populations confrontées aux insécurités en tout genre. Pourtant, c’est une zone de trafic du chanvre, du sous-emploi et de repli surtout avec la réhabilitation de la route des Niayes qui nous rapprocherait de la Capitale.

-Dans le domaine éducatif, le seul CEM existant fonctionne à peine en raison d’effectifs pléthoriques. Il urge non seulement d’ouvrir un second Cem mais aussi un lycée agricole et un lycée technique pour accompagner la vocation agricole, maraîchère et industrielle d’une zone prise en otage et qui se meurt.


Cheikh Ahmed Tidiane SALL

Professeur au Lycée Taïba ICS de Mboro