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Moussa Sow, Sénégalais et propriétaire d’hôtels en Guinée: "Si Ébola se propage en guinée, il entrera au Sénégal"

Etabli en Guinée depuis pratiquement 28 ans, Moussa Sow fait partie de ces riches Sénégalais qui ont fait fortune ailleurs. Homme d’affaires propriétaire de deux grands hôtels à Conakry (Sacha et Hotel du roi) il ne reçoit plus de client à cause de la crise dû au virus Ébola. Ce natif de Kaolack qui vit entre le Sénégal, la France et la Guinée réclame une solidarité africaine et se pose des questions sur l’implication de l’Occident dans la gestion de cette crise.


Rédigé par leral.net le Samedi 6 Septembre 2014 à 15:31 | | 0 commentaire(s)|

Moussa Sow, Sénégalais et propriétaire d’hôtels en Guinée: "Si Ébola se propage en guinée, il entrera au Sénégal"
Comment vivez-vous la propagation du virus Ébola en Guinée et dans la sous-région ?

Depuis que la maladie est là, je suis en train de crier sur tous les toits qu’il y a un problème, mais personne ne m’écoute. Je suis milliardaire. Je parle, non pas parce que mes affaires ne marchent plus, mais parce que je suis Africain et je ne dors plus. Ce qui se passe en Afrique fait peur. Les Africains ont tendance à croire tout ce qu’on leur dit. On nous embarque et personne n’a le droit de douter. Les informations viennent de l’Occident et on les avale sans se poser des questions. Et bizarrement, on note des problèmes partout où il y a des richesses. Et on doit se poser des questions : Qui a amené la maladie dans ce pays, pourquoi on ne la retrouve que là où il y a une fortune ?

Qu’est-ce que vous insinuez ?

Je vous dis que dans cette affaire ; ce qui est grave, c’est que les Occidentaux sont en train de régler beaucoup de problèmes. Les Chinois qui les emm... en Afrique sont en train de fuir. La religion aussi, elle est en train de partir. Les gens ne se saluent même plus à la mosquée. Si quelqu’un perd la vie, on ne peut plus effectuer la prière mortuaire. Il faut se poser des questions.

Donc, vous voulez dire qu’il y a la main de l’Occident quelque part et qu’il y est pour quelque chose...

Oui, (il insiste), c’est l’Occident, il ne faut pas rêver (...) Si certaines populations ont attaqué MSF, c’est parce qu’ils ont leur raison. Quelqu’un qui vient te soigner, tu ne l’attaques pas. Ce qui se passe, c’est que même si tu transpires, on te met à l’isolement. Je ne dis pas qu’ils n’ont pas raison. Mais on doit se poser des questions. Il faudrait qu’on écoute les populations qui sont concernées (...) Ils ne nous aident pas. L’Europe n’a jamais aidé l’Afrique.

Mais quand même, ce ne sont pas les Européens qui mangent les viandes de brousse...

Mais ce n’est pas ça le problème. Depuis que le monde est monde, les gens mangent de la viande de brousse. Les pays qui consomment le plus ces viandes de brousse sont le Gabon et le Cameroun et pourtant, il n’y a pas d’Ébola là-bas. Il faut avoir le courage de se regarder en face. En Guinée, les Peulhs ne mangent pas de viande de brousse, pourtant, ce sont les plus nombreux. Et la plupart d’entre eux ne mangent que Halal.

Qu’est ce que vous pensez de la fermeture des frontières ?

Personne n’a le droit de fermer les frontières. D’ailleurs, on ne peut même pas les fermer. A Diaobé, tu paies 10 000 francs CFA, on t’emmène en moto. C’est du baratin que les hommes politiques font pour apaiser les populations. La frontière du Mali n’est pas fermée, et les gens passent par Siguiri et entrent au Sénégal. Le Sénégal n’a pas les moyens de fermer les frontières. Cela coute très cher. Regardez ce qui se passe entre les Etats-Unis et le Mexique. Malgré tous les moyens déployés par les Américains, les gens passent la frontière. Ce n’est pas un pays pauvre comme le Sénégal qui va fermer ses frontières.

On a fermé la frontière et il y a eu un clandestin qui est rentré. Moi je viens de la Guinée et je repars demain. Personne ne peut m’empêcher de mettre les pieds au Sénégal parce que je suis Sénégalais. Donc, il faut qu’on transcende la mort. Il faut qu’on transcende la peur en Afrique. Dans la peur on ne peut rien régler et la panique ne règle rien du tout. On se crée de la haine inutile. On se braque contre les Guinéens inutilement et la solidarité africaine en prend un sacré coup. On n’aime pas le Guinéen, peut-être ; mais il ne faut pas oublier que tous les chefs de l’indépendance se sont réfugiés en Guinée. Même les chefs de l’ANC se réfugiaient en Guinée.

Maintenant, si on ne ferme pas les frontières, quelle doit être la solution ?

Que tous les Africains soient solidaires et que les médecins africains aillent secourir les pays atteints, qu’ils aient le courage d’aller voir ce qui se passe.

Mais, il n’est pas sûr de laisser les gens transiter entre ces pays pour éviter la propagation du virus ?

C’est parce que t’es comme tous les Sénégalais. Tu as peur. Vu la gravité de la maladie, n’est-il pas normal que les gens aient peur ? Le piège, c’est ça. On dit que tout le monde meurt d’Ébola. Personne ne meurt plus en Guinée d’autres chose que d’Ébola. Une personne a la diarrhée, on l’emmène à l’hôpital, on le met à l’isolement. On ne meurt plus de palu, tout le monde meurt d’Ébola. Puis on dit qu’il y a plus de 500 morts. Ecoutez, en Guinée, chaque année, il y avait 200 personnes qui mouraient de choléra. Maintenant, même si tu as mal à la tête, on te met à l’isolement. Mais c’est grave.

Contestez-vous les chiffres de MSF ?

Non, je ne conteste pas. Mais j’en doute. On ne consomme que les informations des Occidentaux. Même les médias sénégalais se font embarquer. Aucun media sénégalais n’est allé là-bas pour en savoir plus. On doit se poser des questions.

La communauté guinéenne est légèrement stigmatisée au Sénégal. Qu’est-ce que cela vous fait ?

Mais cela fait très mal. Parce que c’est un peuple très hospitalier et même plus hospitalier que nous. Cela fait 28 ans que je suis là bas.je suis né à Kaolack en 1954. J’ai séjourné en France avant de partir en Guinée. Quand je vois un gars comme Ahmed Khalifa Niasse dire devant les médias qu’il faut aller mettre l’armée sur la frontière pour tirer sur les Guinéens qui traversent la frontière, c’est inquiétant. Ce gars a un contentieux juridique avec la Guinée, mais il y a les tribunaux qui sont là pour ça. Ce n’est pas en mettant le feu qu’il va réussir à récupérer son argent, si on le lui doit.

C’est grave d’oser dire de telles choses. Les Guinéens sont nos frères, il faut les accepter comme tels. C’est l’Arabie Saoudite qui a demandé au Sénégal et à la Côte-d’Ivoire de fermer les frontières. C’est de bonne guerre parce que les gens vont partir à La Mecque. Mais dès que les pèlerins seront de retour, ils vont les rouvrir. Sinon ce sera dur, car tous ceux qui sont aux frontières du côté de Diaobé et environs vont migrer vers le nord et l‘économie sénégalaise va en pâtir. Je pense que les intellectuels africains doivent monter au créneau car cette région africaine est en train de foutre le camp. Les relations d’amitié tout ce qu’on a travaillé depuis l’Indépendance est en train de foutre le camp.

Du point de vue économique, quelle est la situation, surtout pour vous qui évoluez dans l’hôtellerie ?

On est à zéro occupation pour le moment c'est-à-dire zéro client. L’économie a pris un grand coup. Toute l’économie bat de l’aile. Et si cela continue d’ici deux mois, tout sera paralysé et il n’y aura plus rien. Heureusement qu’il pleut beaucoup dans ce pays, sinon ce serait la famine.

Quel message délivrez-vous aux autorités sénégalaises et africaines en général ?

Je ne parle pas aux autorités sénégalaises. Je parle à tous les Africains. Il faudrait qu’ils transcendent la mort et la peur. Monsieur Yahya Jammeh ferme ses frontières alors qu’il dit qu’il soigne le sida, c’est ridicule. Il faut qu’on transcende la peur, qu’on montre au monde entier que devant la mort on est digne. Il faut que les Africains viennent en aide aux pays affectés : Sierra Leone, Guinée et Libéria. Etre solidaire avec la Guinée et envoyer des médecins au plus vite parce que si le virus se propage, c’est n’est pas la fermeture des frontières qui va empêcher le virus d’entrer au Sénégal.

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