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Non respect de la parole donnée: "Aujourd’hui, on a une parole à midi, une à 15h et une autre à 20h" (Pr Lamane Mbaye)


Rédigé par leral.net le Lundi 16 Octobre 2017 à 15:03 | | 0 commentaire(s)|


Dans nos sociétés anciennes, une parole donnée valait de l’or. Hélas, tel n’est plus le cas avec la société actuelle. Qu’est ce qui a pu changer entre-temps ? L’enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta DIOP de Dakar (UCAD), professeur Lamane Mbaye, est d’avis que l’évolution de la parole d’hier à aujourd’hui, peut être analysée de façon plurielle. Des changements, dit-il, liés aux transformations socio-économiques, avec l’implication de la colonisation et aujourd’hui, de la mondialisation.

« La parole signifiait fidélité, honneur, valeur dans le temps anciens. Ce qu’on ne retrouve pas aujourd’hui. Dans la tradition, lorsque quelqu’un donnait sa parole, c’était une question de vie ou de mort. Dans l’épopée wolof du Kadior qui a duré quatre siècles, nous avons un Damel du nom de Birima Fatma Thioub et qu’on appelait Birima ‘’ma thia ben batba’’. Il avait une seule parole et cette parole ne transigeait jamais. Ce qu’il disait en 2017, c’est la même chose qu’il répétait en 2018 », explique le Pr Lamane Mbaye.

« Aujourd’hui, nous ne sommes plus nous-mêmes »

D’après ce spécialiste de la littérature orale africaine, « tout change avec l’implication de l’argent, de la politique, beaucoup de choses qui, aujourd’hui font qu'effectivement, il y a des transformations en ce qui concerne l’application des valeurs cardinales de notre société ». « Aujourd’hui, on a une parole à midi, une à 15h et une autre à 20h », regrette l’enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).

Il donne l’exemple du père Banfa dans ‘’Sous l’orage’’ de Seydou Badian. « Lorsqu’on a voulu accorder la main de sa fille Kami à Famagan qui a 70 ans, lorsqu’à la fin du roman on est venu lui dire que Banfa, nous ne sommes pas venus pour corriger une erreur, mais pour que tu nous aides à ne pas en commettre, Famagan s’est rétracté, nous voudrions que vous reveniez sur votre parole, il a dit : « mon seul problème, c’est la parole donnée. Donc, dans la tradition, en réalité, la parole équivaut à une mort suspendue. Celui qui revient sur sa parole donnée, est un homme mort », éclaire-t-il.

Expliquant ce changement, le Pr renseigne que c’est parce que « nous ne sommes plus les mêmes ». Djéliba Moribo Kouyaté, le personnage de Ahmadou Kourouma dans ‘’Moné Outrages et défis’’, publié en 2000, disait ceci : « lorsque les mots changent de sens et les choses de symbole, je retourne à la terre qui m’a vu naitre, pour réapprendre les dons des rois, des animaux et des choses. En réalité, c’est notre contact avec d’autres civilisations, car toute civilisation véhicule une culture. Et la culture, c’est ce qui reste, disait Edouard, quand on a tout oublié. Donc, nous avons d’autres façons de voir, d’autres références et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, tout change », souligne le Pr Mbaye.

« Notre radio ne nous écoute pas, notre télévision ne nous regarde pas »

Toutefois, pour remonter la pente, le Pr Mbaye appelle à un sursaut collectif. « Au plan théorique, je parle souvent de recours et non de retour au passé. Car on peut recourir aux valeurs du passé, mais on ne peut plus retourner au 20e siècle. Je crois que c’est essayer de reprendre notre façon d’éduquer dans la tradition, le conte, le mythe, la légende, l’épopée, dans nos écoles et instituts. Avec la télévision sans frontière, avec les radios, il y a problème. Notre radio ne nous écoute pas, notre télévision ne nous regarde pas », se désole l’enseignant.

A en croire Lamane, rien n’est tradition aujourd’hui et tout se résume à l‘argent. « Nous avons des communicateurs traditionnels qui ne le sont que de nom. Dans la tradition, c’est des gens qui jouent le rôle de régulateur, de conseiller, de philosophe. Aujourd’hui, avec l’argent, le profit, le gain, tout change. On ne dit plus la vérité, on transige sur toutes les questions. Et lorsque les grandes personnes disent des choses contraires à la parole donnée, les enfants ne peuvent que suivre. Et c’est la scène macabre à laquelle nous assistons aujourd’hui », a déploré le Pr Mbaye.



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