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Ousmane Sow vend ses statues pour créer son musée

« Mes sculptures ont fait leur vie. Il faut les laisser s'en aller. » Ousmane Sow, ici dans sa maison de Dakar, se résigne à vendre des statues pour réaliser, avec son musée des grands hommes, un projet qui lui est cher.


Rédigé par leral.net le Mardi 8 Décembre 2009 à 13:15 | | 0 commentaire(s)|

Ousmane Sow vend ses statues pour créer son musée
Ousmane Sow, sculpteur sénégalais mondialement reconnu, vend, aujourd'hui, onze de ses sculptures aux enchères chez Christie's à Paris. Dont la série des Nouba, exposée en 1999 au Pont des Arts. Une première pour l'artiste qui a toujours refusé de céder ses originaux. Avec l'argent récolté, il souhaite réalise run musée des grands hommes.



Sa maison est posée face à l'océan Atlantique, dans le village de pêcheur de Yoff, devenu un quartier de Dakar. Il l'a appelée Le Sphinx. On comprend pourquoi une fois sur le toit, où se profile, en un bloc, la tête de la créature. Le jardin lui sert aussi d'atelier. C'est là, une fois la saison des pluies terminée, qu'Ousmane Sow façonne ses sculptures géantes. Pour que les gens « puissent les voir de n'importe quel point où ils se trouvent ». Il n'est pas possible d'y accéder : « Le sol est mouillé. Il y a trop de moustiques », explique-t-il.

L'artiste travaille à partir « d'une concentration de produits qui macèrent un certain temps. Je parle très peu. La sculpture est ma manière de m'exprimer ». On n'en saura pas plus sur la composition du matériau qu'il utilise pour exercer son art. Pour définir la puissance des regards de ses sculptures, Béatrice Soulé, sa compagne et agent depuis quinze ans, s'appuie sur des propos de l'écrivain Jean Giono : « Je ne peux plus comprendre une oeuvre d'art si elle ne sert pas l'homme. Et je reconnais les plus hautes à ce qu'elles expriment, en même temps, l'étrange malheur de l'humanité, en même temps que les raisons de l'espérance. »

Assis dans un canapé, vêtement traditionnel bleu et pieds nus, l'artiste sénégalais de 74 ans est comme ses statues : impressionnant. « Il a cette force, cette solidité. Physiquement, il est même presque l'une de ses sculptures », souligne Jean-Christophe Rufin. L'écrivain et ambassadeur de France à Dakar est son ami. C'est d'ailleurs le sculpteur qui a fabriqué son épée d'académicien.

Les mains d'Ousmane Sow sont immenses. Son corps est imposant. Il ne se lève pas du fauteuil, il se déroule. Avec lenteur. Même agacé, - ce jour-là, « une journaliste a mal interprétée mes propos » -, il émane de lui une tranquillité patiente. Que l'on craint de briser. Peut-être est-il las de raconter encore et toujours sa vie, atypique pourtant.

Un peu de droit à Paris et puis, « un jour que je descendais la rue Soufflot, j'ai vu une école de massage. J'y suis entré ». Il devient donc kinésithérapeute. Une profession qu'il « s'est mis à aimer ». Il lui fallait bien « un travail à côté, pour ne pas dépendre du métier d'artiste », instable financièrement.

« Il peut recommencer mille fois »

Cette situation lui offre l'avantage de « travailler sans avoir de modèles » grâce à ses connaissances en anatomie. À 50 ans, sa décision est prise. Il se consacrera uniquement à la sculpture.

Aujourd'hui, chez Christie's, la série des Nouba, des Masaï et une pièce double de la série Zoulou, exposées sur le Pont des Arts à Paris, en 1999, sont mises aux enchères. L'ensemble des onze pièces est estimé entre 750 000 et un million d'euros. C'est la première fois qu'il vend des originaux. Un choc pour Béatrice Soulé. « Ça a d'abord été un tremblement de terre car j'ai toujours travaillé à les préserver. » Un pincement au coeur pour Ousmane Sow. « Mes sculptures ont fait leur vie. Il faut les laisser s'en aller », relativise-t-il.

L'argent récolté servira à la construction, au Sénégal, d'un musée des grands hommes. Un « temple », où la sculpture de son père, Moctar Sow, en sera la « gardienne », aux côtés de celles de Victor Hugo (2,30 m), du général de Gaulle et de Nelson Mandela qu'il a réalisées. Pas de sculptures d'hommes politiques sénégalais : « Aucun n'en est digne. »

Son père, en revanche, « concentrait tout ce que j'attendais d'un homme ». Ousmane Sow l'a façonné dans la douleur. Marie-José Crespin, amie de vingt ans, artiste et première femme magistrate du Sénégal, l'a beaucoup vu travailler. « La sculpture de son père a été un accouchement. Il n'arrivait pas à retrouver la forme de son crâne. Il peut recommencer mille fois une tête ou un corps. »

Cette rigueur, on la retrouve dans les lutteurs Nouba, exposés pour la première fois à Dakar, en 1987, au centre culturel français. « Cette série, c'était pour évacuer la rancoeur que j'avais en moi. Une sorte de protestation de la vie que nous menons. » Six ans plus tard, Ousmane Sow expose à la Documenta de Kassel, en Allemagne, puis au Palazzo Grassi, à l'occasion du centenaire de la Biennale de Venise. À Paris, trois millions de personnes sont venues observer ses statues géantes.

Dans une pièce de la maison, dépouillée et ouverte au vent, Ousmane Sow explique que ses larges mains ne façonnent pas seulement des oeuvres monumentales. Le cinéma d'animation fait partie de ses projets. En ce moment, il a sculpté pour les filmer de petites figurines, aux regards aussi puissant que ceux de leurs grandes soeurs.

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