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Patrimoine culturel immatériel : Le Sénégal dévoile la richesse de ses identités nationales

Rédigé par leral.net le Mercredi 7 Juillet 2021 à 20:30 | | 0 commentaire(s)|

Avec l’appui de l’Unesco, l’État du Sénégal, à travers la Direction du Patrimoine culturel, a produit un inventaire pilote de 59 éléments du patrimoine culturel immatériel. Mené par un pool d’experts, de chercheurs et d’acteurs culturels, ce document et le projet qui le porte ont l’ambition de pouvoir présenter le Sénégal dans son authenticité.   […]

Avec l’appui de l’Unesco, l’État du Sénégal, à travers la Direction du Patrimoine culturel, a produit un inventaire pilote de 59 éléments du patrimoine culturel immatériel. Mené par un pool d’experts, de chercheurs et d’acteurs culturels, ce document et le projet qui le porte ont l’ambition de pouvoir présenter le Sénégal dans son authenticité.

 

«Lël», «Bàkk», «Ndawràbbin», «Taaxuraan», «Laabaan», «Fiifiiré»… Voilà des mots dont les résonances, l’imaginaire ou les saveurs sont familiers aux Sénégalais. Seulement, la majorité d’entre eux ne saisissent pas toute leur symbolique et les histoires qui leur ont donné sens et signification. C’est ainsi que l’État du Sénégal a entrepris, depuis 2016, à travers la Direction du Patrimoine culturel, de répertorier des éléments du patrimoine culturel immatériel dans toutes les 14 régions administratives du pays. L’inventaire pilote a permis de lister 59 rites, des expressions culturelles spirituelles propres au Sénégal.

Ce travail d’inventaire du patrimoine culturel immatériel a notamment permis une évaluation de la richesse et de la diversité du patrimoine vivant des groupes ethnolinguistiques du Sénégal. Fatick, Diourbel et Sédhiou ont chacune livré cinq éléments, là où toutes les autres régions en ont donné quatre. Dans cette diversité, chaque région détient un patrimoine. Le «Ceebu jën» (riz au poisson), sans doute l’élément le plus célèbre et le plus commun de la liste, est servi par la région de Saint-Louis. Dans le catalogue de présentation de ce patrimoine, il est défini comme un art culinaire et son invention est attribuée à la dame Penda Mbaye. Cette dernière, qui gagnait sa vie en faisant la cuisine au marché, aurait eu de façon inédite l’idée de malaxer de la tomate cerise au riz pour sa cuisson. Ainsi naquit «notre» plat national. Il y a aussi le «Laabaan», dont on dit qu’il vient de Diourbel, un rituel qui fait souvent objet de controverse sous l’instigation de moralistes. Il s’agit de la célébration de la nuit nuptiale chez les Wolofs, pour signifier la virginité de la femme avant la consommation du mariage. La cérémonie est faite de chants, de battements de tam-tam et de danses dans la cour de la maison, au petit matin. Le «Ndawràbbin» figure aussi en bonne place sur la liste faisant l’identité de la région de Dakar. C’est un chœur de danseuses léboues, vêtues de grands boubous et de pagnes de qualité, qui chantent les valeurs positives et condamnent les contre-valeurs qui concourent à l’effritement du tissu social.

Un patrimoine aussi divers qu’allégorique

Fatick a son «Xoy». Lequel est une cérémonie divinatoire en pays sérère, tenue à la veille de la saison des pluies, qui permet au saltigué (prêtre) de prédire l’avenir et les évènements qui peuvent compromettre la stabilité sociale. Dans ces éléments reflétant la richesse culturelle nationale, «Campug Bëllëb», traduit en français, signifie l’intronisation du roi du Ndoukoumaan (région naturelle de Kaffrine). C’est une cérémonie codifiée dans ses moindres détails et qui se déroule en plusieurs étapes, secrètes ou publiques, selon les instants et les signes. Dans cette liste éminemment nationale, Kaolack a «cotisé», entre autres, le «Pirim». Composante du «Ngoyaan», c’est une danse des lutteurs accompagnée d’un rythme tout particulier, pour introduire les combattants expérimentés et honorables à la suite des «petits combats».

Il a lieu durant la fête des moissons et annonce ainsi le duel des titans. On trouve également «le Ndaga», dans le même registre du Saalum (Kaolack). Dans ce rendez-vous culturel, Kolda se présente notamment avec le «Dimba Tulung». Ce rite est pratiqué dans le Fouladou par les femmes qui font des invocations en faveur de celles qui ont des difficultés pour enfanter ou pour sauver les victimes de maladies infantiles complexes. Les officiantes sont assistées par des hommes dotés de dons mystiques et qui sont les paravents de la cérémonie. La région de Kédougou, elle, vient mettre son «Ayël» qui est une cérémonie de masque traditionnel dénommé «Lukuta». Ce masque est le protecteur de la communauté bassari et le maître des initiés qui incarne le génie protecteur des grottes où se réfugient les populations pour échapper aux envahisseurs et aux razzieurs d’esclaves. Aujourd’hui, il est porté dans les cérémonies de sortie du bois sacré ou des évènements tels les rites agraires. Pour Louga, nous retrouvons le «Gaajo». Ce dernier est une danse de réjouissance et de glorification qui s’organisait quand le roi du Djolof et ses guerriers s’apprêtaient pour la guerre. Le «Gaajo» était aussi organisé au retour des combats et au moment de la remobilisation des troupes. Aujourd’hui, à Kébémer, cette danse est exécutée par des Baye Fall en signe d’allégeance à leur guide spirituel.

Déchiffrer les valeurs et beautés

Le Fouta, par la région de Matam, contribue avec le «Fiifiiré», un rituel de chasse aux caïmans afin de protéger la pêche traditionnelle. Ce sont des veillées autour du feu jadis organisées par les notables subalbé, en présence de toute la communauté. Elles sont rythmées des airs de «pekaan», des chants d’exaltation et d’illustrations des valeurs du groupe social des cuballo (pêcheurs peuls). Le «Kankourang», une (re)présentation de la région de Sédhiou, est un masque mystique couvert de fibres rougeâtres et tirant sur le marron. Il marque les temps forts de la culture mandingue et se présente comme le masque de protection des initiés, tout en incarnant le symbole de la nativité chez les femmes. Il symbolise par ailleurs l’ancrage des adolescents dans les symboles, les codes et les valeurs des Mandingues, en même temps qu’il est un régulateur social.

Tambacounda se singularise par le «Marba Yaassa», c’est-à-dire le consolateur des peines, le dieu du rire et de la joie. C’est un rite lié au pacte qu’un Bambara peut nouer avec le djinn «Marba Yaassa». Il est généralement un rite de fécondité et un moyen de résolution de conflits sociaux. De la région de Thiès, il est répertorié le «Ëw Dàllu Ngaay». C’est la technique de fabrication des chaussures et autres accessoires en cuir propre aux artisans de Ngaye Mékhé (département de Tivaouane). Le label de Ngaye est d’ailleurs devenu une marque et un des poumons économiques de cette contrée. Enfin, avec Ziguinchor, dans ses quatre éléments, on retrouve «l’Itengan Puum Phula». Il s’agit d’un rite funéraire mankañ accompagné par le tambour «Bombolong», un instrument sacré qui exige des offrandes avant de pouvoir le toucher. Il émet des messages codés compris par les seuls initiés et qui évoquent souvent des noms de morts. Ce rite semble sonner la contre-mélodie de l’initiative de l’inventaire du patrimoine culturel immatériel. Ce projet veut justement mettre en lumière les identités propres au Sénégal, déchiffrer les valeurs et beautés qu’elles regorgent pour les présenter en dehors de leurs communautés et au monde entier.

Mamadou Oumar KAMARA



Source : http://lesoleil.sn/patrimoine-culturel-immateriel-...