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Pierrette Herzberger-Fofana, Députée européenne d’origine sénégalaise: Une femme de lettres qui réécrit l’histoire

Rédigé par leral.net le Mardi 10 Octobre 2023 à 20:53 | | 0 commentaire(s)|

Députée allemande au Parlement européen, Dr. Pierrette Herzberger-Fofana assume ses origines sénégalaises, africaines. Femme de lettres, elle arbore une casquette d’historienne qui interroge le passé, afin de susciter une lecture éclairée de l’avenir. En l’espèce, elle revisite les rapports entre l’Europe et l’Afrique, pour mieux corriger certains distorsions et dysfonctionnements. Portrait.  Ibrahima Khaliloullah NDIAYE […]

Députée allemande au Parlement européen, la Dr Pierrette Herzberger-Fofana assume ses origines sénégalaises, africaines. Femme de lettres, elle arbore une casquette d’historienne qui interroge le passé afin de susciter une lecture éclairée de l’avenir. En l’espèce, elle revisite les rapports entre l’Europe et l’Afrique pour mieux corriger certains distorsions et dysfonctionnements. Portrait. 

Ibrahima Khaliloullah NDIAYE

16 Juin 2020. Le parlement européen doit voter une résolution contre le racisme dans la capitale belge. Il faut dire que l’affaire George Floyd, du nom de cet afro-américain tué par la police alors qu’il suppliait ses bourreaux en leur disant qu’il ne respirait plus, bat son plein et charrie des vagues même Outre-Atlantique. Dr Pierrette Herzberger-Fofana, députée allemande au Parlement, est en première ligne et est toute heureuse du vote à venir. Elle s’achemine vers le siège du parlement quand elle assiste, malgré elle, à une prise à partie d’un jeune africain par la police belge alors qu’elle attendait son chauffeur. Elle se saisit de son téléphone pour prendre des photos et ainsi immortaliser la scène. C’est alors qu’un des policiers traverse la chaussée pour s’en prendre à elle. Elle décline son identité en exhibant ses quatre pièces d’identité (badge du Parlement, carte du parlement, carte d’identité allemande et passeport allemand). Sans convaincre. Et soudain, ce sont neuf policiers qui vont l’entourer pour prêter main forte à leur collègue. Elle sera même plaquée contre un mur. Sa plainte contre la police sera refusée alors que la leur a été acceptée.

Le temps passe, la parlementaire, d’origine sénégalaise, semble encore porter les stigmates de l’affaire. Elle en parle avec regret. Exacerbée et atteinte dans sa chair par le traitement des faits par la presse belge « dont aucun journaliste n’a essayé de me contacter et de prendre ma version ». Surtout qu’elle a été « taxée d’avoir été agressive à l’endroit de la police belge et d’avoir proféré des insanités ». Ce qu’elle réfute et rejette encore eu égard à son « éducation qui bannit les insultes ».

L’incident, loin d’avoir refroidi son engagement, l’a plutôt renforcé. Élue sous la bannière des Verts allemands (Écologistes), comme seule femme d’origine africaine, Dr Pierrette Herzberger-Fofana n’en porte pas moins la cause noire, africaine, qu’elle défend de toutes ses forces. Sénégalaise d’origine, elle pourrait revendiquer simplement son identité africaine. D’un père guinéen, Pierrette Fofana est d’une mère cap-verdienne. Elle est née à Bamako contrairement à tous ses frères et sœurs nés à Dakar. C’est dans la capitale sénégalaise qu’elle a grandi et fait ses humanités. Avec un wolof châtié qu’elle hésite souvent à parler, mais bien limpide et articulé appris à Dakar et pratiqué au Cours Sainte-Marie de Hann et à l’Institution Sainte Jeanne-d’Arc. Cette identité africaine l’a poussée à présenter une exposition sur la situation des Africains et des métis Allemands durant la période nazie au parlement de Strasbourg au mois d’avril 2023. Ces victimes africaines seraient au nombre de 3000, dont trois Sénégalais. Elle est dans une perspective de « demander au Président allemand de mentionner ces victimes noires de l’holocauste lors de son discours du 27 janvier prochain, date marquant la libération du premier camp de concentration d’Auschwitz. Dans une logique donc de « commémorer ces Africains », dit-elle d’une voix douce.

Déjà, en 2015, elle avait demandé à la chancelière de l’époque, Angela Merkel, de revenir sur la mémoire des trois victimes africaines de Dachau, lors de son allocution officielle. Ce que cette dernière avait consenti.

Le combat d’avant-garde en faveur de la cause noire se joue également dans des accords entre l’Union européenne et les Afrique-Caraïbes-Pacifique (UE-ACP.) Elle y apporte toute sa touche et sa sensibilité. Allant jusqu’à souhaiter un changement de dénomination de la « Charte de Maputo » portant sur la violence contre les femmes en Chartre UE-ACP contre la violence sur les Femmes.  De son mètre 55, elle est révulsée par ces violences. Elle se saisit également de la question de l’excision, interpellée qu’elle est par le nombre de 20 000 femmes d’origine africaine l’ayant subie en Allemagne. Ainsi, veut-elle, par un projet novateur, introduire une lettre de protection, comme un petit passeport, en vue de sauver des filles d’origine africaine de la diaspora de l’excision si d’aventure elles venaient en vacances en Afrique. Cet engagement pour la terre d’origine l’amène à s’y intéresser plus amplement. Des fouilles historiques qu’elle fait sur la participation d’Africains aux guerres mondiales à l’extermination des Hereros Namibiens à partir de 1904, considérée comme le premier génocide du XXème siècle, elle est sensible à toutes les questions. N’a-t-elle pas été récemment au Zimbabwe pour superviser le dernier scrutin présidentiel pour le compte de son parlement ?

Au sein de ce même Parlement européen, la parlementaire est très satisfaite de son mandat. Et préfère retenir le « côté positif » plutôt que l’épisode avec la police bruxelloise. Première vice-présidente de la Commission Développement, elle se réjouit d’avoir présidé, à plusieurs reprises, les travaux de celle-ci. Mais également de s’être penchée sur l’accord post-Cotonou, notamment sur les amendements portant sur les relations commerciales avec l’Afrique. Dr Pierrette Herzberger-Fofana est aussi très fière de contribuer à impulser, depuis la vieille Europe, à la « révision de l’histoire coloniale », son introduction dans les écoles des 27 pays de l’UE, l’introduction des « Black studies » dans les universités européennes.

La députée européenne dénombre 58 prises de paroles aussi bien à Bruxelles qu’à Strasbourg sur différents sujets. Elle a été également rapporteur dans différents travaux ayant abouti à des résolutions. Un engagement politique sans faille. Et un « mandat placé sous le signe de la dignité de l’être humain » pour celle qui milite contre la « violence et contre toute forme de discrimination ». Tout en espérant renouveler son bail avec le parlement européen en 2024, date de fin de ce premier mandat acté le 26 mai 2019.

Voulant faire carrière dans l’enseignement au départ, Dr Pierrette Herzberger-Fofana est tombée dans la politique par son « engagement ». Un engagement pour la cause collective dans la ville d’Erlangen où elle a le plus vécu et qui l’a adoptée. Assistante à l’université de Trèves, puis celle d’Erlangen-Nuremberg et finalement professeur au lycée de cette même ville, elle s’est vue proposer d’être candidate au poste de maire de cette ville, puis candidate au Conseil municipal de la ville, fonction qu’elle a occupée durant 15 ans. Ainsi, piquée par le virus politique, a-t-elle poursuivi son militantisme qui l’a propulsée comme seule femme  d’origine africaine  parmi  les 99 élus Allemands au parlement européen. Ayant vécu « énormément de choses, du racisme, de la discrimination du fait de la couleur de ma peau, de mon sexe, de mon âge », Mme Fofana est une femme de lettres qui, dès l’obtention du bac à Dakar, s’est inscrite en classes préparatoires de Lettres Supérieures ou Hypokhâgne et Sorbonne (France) dans les années 1970 pour des études en sociologie allemande. Elle se retrouvera bientôt à Munich et Trèves pour reprendre les études supérieures sanctionnées par une maîtrise en sociolinguistique, études germaniques et lettres modernes. La parlementaire entreprendra même une thèse sur la littérature féminine francophone d’Afrique noire. Autrice de plusieurs ouvrages et essais (« Berlin, 125 ans après : Une histoire occultée germano-africaine », « Ecrivains africains et identités culturelles », « Littérature féminine d’Afrique »…), elle a été lauréate du Grand Prix du président de la République du Sénégal pour la recherche scientifique en juin 2003.

 



Source : https://lesoleil.sn/pierrette-herzberger-fofana-de...