Leral.net - S'informer en temps réel

[Portrait] Artisanat d’art à Bignona: Seyni Awa Camara, la potière venue d’Edjoungou

Rédigé par leral.net le Dimanche 29 Octobre 2023 à 10:00 | | 0 commentaire(s)|

À 78 ans, Seyni Awa Camara n’a rien perdu de son don artistique. Cette veuve continue de bâtir des œuvres gigantesques en argile dans sa demeure établie au quartier de Manguiline à Bignona. Méconnue de la jeune génération, elle ne veut plus voyager pour exposer ses œuvres à cause des nombreuses arnaques qu’elle a subies […]

À 78 ans, Seyni Awa Camara n’a rien perdu de son don artistique. Cette veuve continue de bâtir des œuvres gigantesques en argile dans sa demeure établie au quartier de Manguiline à Bignona. Méconnue de la jeune génération, elle ne veut plus voyager pour exposer ses œuvres à cause des nombreuses arnaques qu’elle a subies ces dernières années. 

 

Par Jonas Souloubany BASSENE (Correspondant)

 

BIGNONA– Il faut traverser un espace familial, puis un salon, avant d’apercevoir, Seyni Awa Camara, confortablement assise sur un petit banc en bois, mélangeant de l’argile noire avec ses mains. L’endroit, à peine éclairé par les rayons du soleil, fait office d’atelier. Ici, des statues qui attendent une dernière retouche sont alignées, isolées le long du mur. D’autres, sont couvertes par des imperméables, une manière de les préserver de l’humidité ? Seule Seyni A. Camara en sait quelque chose. Chaque instant, elle reçoit les femmes et jeunes filles. Ces dernières qui l’interpellent dès qu’elles franchissent le seuil de la porte, sont des habituées de la maison. Des tomates, de l’oseille, du chou, des aubergines… en vente, c’est l’autre business de ce septuagénaire. En plus de son travail artistique, Seyni A. Camara propose des légumes. Sa petite table d’environ 1m50 sur 1 mètre suscite une ruée matinale de ses voisines.
Quand on lui demande où elle a appris à fabriquer ces personnages : deux jeunes filles portant un enfant et une bassine à la tête, des « Mami ornée de bébé » elle conclut, « nulle part, c’est Dieu qui m’a attribué ce don ». Seyni Camara travaille beaucoup sur la maternité. « C’est une manière de se libérer des charges de sa vie. C’est une façon cathartique de travailler en mettant en forme l’objet de ses rêves. C’est une femme qui est habitée, elle a un succès mondial, mais continue de vivre à sa propre dimension », décrit le critique d’art Massamba Mbaye, auteur de « Seyni Awa Camara : terre de lumière ».
Née à Oussouye d’un père Guinéen, Ansoumana Camara et d’une mère sérère, Aïssatou Diagne, Seyni Awa Camara a passé son enfance entre Djivente et Edjoungou. Elle est l’unique fille du quadruplé que sa mère avait donné naissance. À l’âge de 11 ans, elle commence à fabriquer des objets d’art, dans le village d’Edjoungou où la céramique constitue une des activités principalement réservées aux femmes. Mais comme le veut la tradition, ces dernières réalisent uniquement des objets jugés utiles pour leurs foyers. Seyni Camara profite ainsi des moments d’inattention de sa mère pour lui soutirer de l’argile. « Je me cachais en fabriquant des statues. La nuit, quand elle se retire dans sa chambre, j’introduisais discrètement les œuvres que j’ai confectionnées sous le tas de bois. C’était un foyer pour la cuisson des céramiques que ma mère allumait dès l’aurore », raconte-t-elle les mains manipulant une petite statue, une jeune fille mère.
La découverte de ses premières réalisations provoque le frisson chez sa mère. Elle ne savait pas comment de tels objets ont atterri dans ses céramiques. C’est ainsi que Seyni Camara a débuté une aventure dans la sculpture de géants en argile. Elle se marie tôt, avant l’âge légal puis s’installe à Ziguinchor, dans le quartier de Lyndiane tout en se lançant à fond dans cette activité. D’ailleurs, elle se souvient de la première œuvre d’art. « Je l’ai vendue à un Blanc. C’était un ami de la Casamance. Je ne connaissais pas son nom réel, mais on l’a surnommé « Gnaata ou Dollar ». Il ne vit plus. Il était devenu un fidèle client », se souvient la sculptrice. Ce Blanc achetait les œuvres pour les acheminer en Europe. C’est grâce à lui que ses productions sont connues aux États-Unis, en Russie, au Japon.

Maternité
Mais, quand on observe les objets, l’on peut comprendre que le travail de Seyni Awa Camara sort de la banalité, car « les potiers et les potières traditionnels ont l’habitude de fabriquer des encensoirs, des canaris… des aspects un peu naturalistes, à savoir un chien, une case comme objet décoratif. Mais pour Seyni Camara, cela va au-delà, c’est un élément esthétique, un élément d’art qui dépasse l’aspect décoratif pour susciter une réflexion beaucoup plus profonde centrée sur l’artiste, l’humain… », analyse Massamba Mbaye, commissaire d’exposition.
C’est cela d’ailleurs qu’illustre à l’entrée de la maison un « monstre » porteur d’autres petits monstres. L’œuvre a déjà trouvé un acquéreur. « Ce modèle est visible dans certains musées », confie Mamadou Aliou Diallo dit Baba Gallé, un de ses fils adoptifs. Ce chef-d’œuvre n’est pas une simple création. L’artiste a connu une situation dramatique au cours de sa vie de jeune maman. « Elle a perdu 4 grossesses », révèle Mamadou Aliou Diallo. C’est pourquoi, en fabriquant un personnage qui est constitué de plusieurs corps d’enfants sans compter la tête de la mère, parfois un couple, « Seyni Camara traduit la maternité douloureuse, voire malheureuse, qu’elle a eue par le passé. Aussi la rupture de son premier mariage. C’est un élément important, car cela met en relief la femme dans le contexte africain qui doit avoir un mari, une bonne progéniture », commente Massamba Mbaye. D’ailleurs, ce type d’objet, l’artiste l’a présenté dans ses nombreuses expositions dont celle des Magiciens de la terre à Paris en 1989 qui l’a rendue célèbre. Le film documentaire intitulé « Les magiciens de la terre : les enfants de Seyni » que lui a consacré, en 1990, l’Américain Philip Haas, et « Seyni Awa Camara entre les éléments », de Jésus Ahedo produit à Bilbao en 2011 ont aussi contribué à sa notoriété. Aujourd’hui, beaucoup de galeries s’intéressent à sa production artistique.
En 2004, avec la collaboration d’un compatriote, elle a acheminé 73 sculptures aux États-Unis. Mais « elle est revenue avec moins d’un million de FCfa, alors qu’un seul objet ne coûte pas moins que cela », se rappelle Baba Gallé. À maintes reprises, des gens viennent prendre un nombre important de statues et disparaissent à jamais. Des pratiques qui font que Seyni a mis un terme aux voyages d’exposition. « Maintenant, elle fabrique l’objet seulement sur commande », ajoute son fils adoptif. L’autre défi qui impacte son activité, les changements climatiques. Il est difficile d’obtenir de l’argile, principale matière première qui entre dans la fabrication de ces objets. La rareté du bois de chauffe pour finaliser la confection de ces géants en argile. « L’argile que nous utilisons devient rare. Ensuite, il faut attendre jusqu’au mois d’avril pour l’avoir », martèle Baba Gallé.

La grande oubliée
Dans ce vaste département et paradoxalement manquant d’espace, Seyni Camara n’a pas aujourd’hui la possibilité d’exposer son travail. Bignona ne dispose pas de village artisanal ou de centre culturel pour lui offrir cette possibilité de présenter ses réalisations aux populations. Conséquence, l’artiste est peu connue de la jeune génération du département de Bignona, en dépit de ses grandes œuvres qui font parler d’elle ailleurs. Seyni Awa Camara est oubliée par les autorités locales. « Si du temps du règne du maire François Xavier Coly elle bénéficiait d’une attention de ce dernier », les équipes qui se sont succédé ne s’intéressent pas à ce qu’elle fait.
Visiblement fatiguée par l’âge, elle travaille à léguer ce don à ces fils adoptifs. « Au village, je ne peux rien faire avec les filles. Elles ne s’intéressent pas à ça, car elles estiment que c’est de la boue et c’est sale », ironise-t-elle. Si ses œuvres qu’elle appelle ses « enfants » ont une valeur commerciale, c’est parce que les touristes et les gens avertis du marché de l’art s’en sont approprié et en font de la valeur. Elles sont visibles dans certains pays et grands musées du monde, car le marché de l’art valorise ses produits.



Source : https://lesoleil.sn/portrait-artisanat-dart-a-bign...