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Procès de Karim Wade ou la dangereuse chronique d'une forfaiture annoncée (Malick SY Journaliste)


Rédigé par leral.net le Lundi 16 Février 2015 à 16:00 | | 0 commentaire(s)|

Procès de Karim Wade ou la dangereuse chronique d'une forfaiture annoncée (Malick SY Journaliste)
Nous sommes au 10 ème jour du procès de Karim Wade. Se tournant vers le principal prévenu, le Président de la Cour l’apostrophe en ces termes : «…Toi et tes complices…» Quatre mots décochés en pleine audience, qui vont pulvériser le sacro saint principe de la présomption d’innocence. Sidération dans le public et indignation tonitruante des avocats de la défense. La séance est suspendue. C’est le énième épisode d’une télé réalité politico judiciaire qui se joue depuis plusieurs mois dans la salle 4 du Palais de Justice de Dakar. Un prévenu décrété coupable avant même d’être jugé. Un spectacle que même le plus tortueux des scénaristes n’aurait osé écrire et dont le premier clap a été donné le 15 avril 2013, jour de l’arrestation de Karim Wade.

Une culpabilité érigée en «raison d’état»

L’encre de l’acte d’inculpation de Karim Wade n’avait pas encore séché que déjà, le Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), en direct devant des dizaines de journalistes de la presse nationale et internationale, l’accuse de disposer d’une fortune évaluée à plus de 600 milliards de francs. Un patrimoine qui représente le volume global de l’appui de la Banque Africaine de Développement (BAD) au Sénégal en 40 ans de coopération ou encore, l’équivalent du milliard d’euros que la Commission Européenne va débloquer cette année pour aider des centaines de milliers de jeunes à accéder à l’emploi. C’est dire la gravité des charges qui pèsent sur le prévenu. Des centaines de médias a travers le monde, relayent l’accusation. Karim Wade devient la cible d’un véritable autodafé politique, médiatique et judiciaire. Exposé à la vindicte populaire et publiquement désigné coupable, son arrestation est présentée par le pouvoir comme une «demande sociale», sa responsabilité est érigée en nécessité politique, son invraisemblable innocence, décrétée raison d’état. Il n’y a plus de place pour les principes et les doutes. Le processus de broyage de Karim Wade dans le mixeur politico judiciaire de la CREI est enclenché. Tout l’appareil d’état sénégalais, épaulé par des cabinets privés nationaux et internationaux est mobilisé pour diligenter une instruction uniquement à charge contre l’ancien ministre d’Etat. Une puissante armada de policiers, gendarmes, juges, notaires, avocats, banquiers, enquêteurs nationaux et internationaux, ministres, députés, groupes de presse et journalistes, va déferler sur l’ancien ministre d’Etat pour échafauder, à tout prix et à tous les prix, le processus de sa culpabilisation. Plusieurs milliards sont mobilisés pour financer, à l’échelle de la planète, une campagne d’investigations tous azimuts. C’est le début de «l’affaire Karim Wade.»

«Karim», une passion bien sénégalaise

L’homme est devenu au fil des années et à son corps défendant, l'épicentre de la vie politique et médiatique sénégalaise. La seule évocation de son patronyme suffit à cristalliser toutes sortes d’obsessions. Depuis plus de cinq ans, ce n’est pas moins d’une dizaine d’articles qui lui est quotidiennement consacré. Malgré cette médiatisation outrancière, Karim Wade s’est toujours emmuré dans un quasi mutisme, ne distillant sa parole qu’à dose homéopathique. Une clandestinité médiatique qui ne freinera en rien, les ardeurs de ses nombreux contempteurs de l’époque, qui l’accusent alors de tous les maux du Sénégal. A coup d’intoxication et de manipulation et avec une redoutable furie, l’ancien ministre d’Etat sera sans cesse noirci aux yeux de l’opinion, poussant les sénégalais à n’avoir guère le choix que de le stigmatiser, avec tout ce qu’ils lisent ou entendent chaque jour dans les médias. Une campagne de «stigmatisation» qui atteindra son paroxysme lors des élections locales de mars 2009 où il sera sévèrement battu, jusque dans son propre bureau de vote.

Du coup politique au fiasco judiciaire

Quatre années plus tard, presque jour pour jour. Nous sommes en Mars 2013. Macky Sall vient de boucler sa première année de mandat. Son premier anniversaire à la tête du pays est pollué par le débat sur la prétendue insuffisance de sa stature présidentielle. Pour de nombreux observateurs, il flotte sur le Palais comme un air d’impréparation à l’exercice du pouvoir, tant il est vrai que le Président peine à tenir ses engagements. De sa promesse d’une gouvernance maîtrisée, il ne reste qu’une présidence zigzaguée. Sans cap ni direction. Personne ne peut dire où va Macky Sall. Mais tout le monde sait où il n’ira pas. L’exaspération monte dans l’opinion, la défiance des sénégalais aussi. Personne n’avait fait pire avant lui. Jamais un primo président n'aura cristallisé autant de déceptions au bout d'une année de mandat. Le chef de l’Etat se doit de réagir, sans délai, pour tenter de reprendre en main une mandature dont l’échec paraît programmé. Il actionne «son» programme de traque des bien présumés mal acquis. Les Sénégalais applaudissent et soutiennent sa politique de reddition des comptes. Du répit pour le Président qui espère alors un regain de faveur de la part d’une opinion qui ne cesse de lui montrer sa désaffection, 12 mois seulement après l’avoir plébiscité.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrestation de Karim Wade. A la surprise presque générale. C’est le premier acte politique fort de Macky Sall. L’incarcération de l’ancien ministre d’Etat retentit comme un énorme coup de tonnerre. L’onde de choc judiciaro-politico-médiatique qu’elle va propager est sans précédent au Sénégal. Jamais dans notre histoire, un homme n’allait à ce point, être confronté à un aussi violent déchainement d’accusations et à un tel spectacle de destruction. Personne ne se retient. Tout le monde ou presque s’en donne à cœur joie. Certains proches du Président accusent Karim Wade d’avoir gagné jusqu’à 50 millions de francs par jour pendant au moins cinq bonnes années. D’autres évaluent sa fortune à quelques 4000 milliards de francs et le soupçonnent même d’être le propriétaire d’un luxueux jet privé. Des accusations aussi grotesques que farfelues qui seront abondamment répercutées vers les médias qui eux même, vont les divulguer sans vérification ni prudence aucune. L’objectif affiché du pouvoir est clair : ancrer dans les esprits sénégalais, avec la suspecte bienveillance de certains journalistes, que Karim Wade serait le seul responsable des difficultés que traverse le Sénégal.

Mais seulement voilà, près de 24 mois plus tard, toutes ces accusations se sont dégonflées. Les sénégalais se sont rendus compte qu’ils ont été bernés par le pouvoir avec la complicité d’une partie de la presse. «L’affaire Karim Wade» va se transformer en fiasco politique et personnel pour Macky Sall. Son incontestable et indiscutable implication dans la gestion de ce dossier en en fera le plus gros désastre de l’histoire judiciaire du Sénégal. La conséquence sera l’accélération du retour en grâce de Karim Wade, que tout le monde présente déjà à tort ou à raison, comme son plus redoutable adversaire pour la présidentielle de 2017.

La CREI, cet instrument de purification politique

Au périgée de sa popularité au moment de son arrestation, celui que ses partisans et ses souteneurs considèrent avec beaucoup d’exagération comme «un otage politique» est aujourd’hui au maximum de son capital d’attraction. Le slogan "Karim Vème Président" n’en finit plus de largement et vertigineusement infuser dans les esprits sénégalais. Cette une lame de fond d’une ampleur presque inédite qui est entrain de traverser tout le Sénégal des villes et des campagnes. Le scénario catastrophe tant redouté par Macky Sall est entrain de se produire. Le pouvoir va tout mettre en œuvre pour enrayer l’irrésistible dynamique Karim. L’alerte rouge est déclenchée au sommet de l’Etat. La culpabilité de Karim Meissa Wade est érigée en impératif politique catégorique. Et comment ne pas rappeler des mots de Maurras qui a propos de l’affaire Dreyfus disait «qu’importe qu’il soit coupable ou innocent ? L’intérêt de la de la Nation commande qu’il soit condamné.» Il n’est point question de faire un parallèle entre ces deux affaires, mais pour Dreyfus comme pour Wade, ce n’est plus la quête d’une vérité judiciaire qui importe, mais la traque d’un homme que l’intérêt d’un président de la République, candidat déjà déclaré à sa propre succession, commande qu’il soit condamné et déchu de ces droits civiques. Karim Wade ne sera dès lors plus jamais confronté à ces actes, mais à un système qui déroule imperturbablement son opération de «purification politique», en vue de l’élection présidentielle de 2017. La manière dont l’instruction de son dossier a été menée est d’une gravité sans précédent dans l’histoire judiciaire sénégalaise. Son procès est exemplaire de toutes les balafres qu’un pouvoir peut infliger à une justice aux ordres pour crucifier un adversaire.

Les élucubrations manipulées et bidon d’Alboury Ndao

Dans l’affaire Karim Wade, la CREI et son président Henri Grégoire Diop ont agit comme s’ils devaient irréversiblement, inexorablement et nécessairement condamner le prévenu.
Des témoins à charges, rémunérés pour «enfoncer» Karim Wade, sont crus sur simple parole. Le cas le plus abracadabrantesque est celui d’Alboury Ndao, «l’expert qui a vendu» à la CREI, l’existence du fameux compte fantôme de Singapour, attribué à Karim Wade et crédité de 47 milliards. Mais ce témoins phare de la partie civile n’aura jusqu'à la fin du procès, pu apporter la moindre once de preuve de ses accusations qu’il dit tenir de «potes sapiteurs», oubliant que «tout ce qui est affirmé sans preuve, peut aussi être nié sans preuve.» La crédibilisation du témoignage de cet expert fantasque, l’inexplicable violence exercée sur le prévenu Wade et l’expulsion brutale de Me Amadou Sall, avocat de la défense, furent la manifestation paroxystique du parti pris flagrant de la Cour et des errements de son Président.
Du limogeage en plein procès et par décret présidentiel d’un procureur devenu « incontrôlable » selon les mots du Garde de Sceaux et la fracassante démission d’un assesseur pour incompatibilité d’éthique et de déontologie avec le président de la Cour, le procès Karim Wade a été entaché par des dérives dont la gravité et la récurrence ont fragilisé l’ensemble de la procédure. Résultat : aux yeux de l’immense majorité des sénégalais, la CREI ne serait qu’une police politique chargée de liquider les adversaires politiques du Président Macky Sall.

L’ambition présidentielle présumée de Karim Wade ne relève pas de la CREI

Henri Grégoire Diop qui, pendant toute la durée du procès, s’est singularisé par son obsession à faire triompher la thèse de la culpabilité de Karim Wade aura t-il le courage au moment du verdict de le déclarer innocent lorsqu’on sait qu’une grande frange de l’opinion reste convaincue que les accusations de la CREI, purgées des biens revendiqués par Bibo Bourgi et des élucubrations manipulées et bidons d’Alboury Ndao au sujet des 47 milliards de Singapour, ne suffiront pas, dans un procès équitable, à prononcer une condamnation de Karim Wade. Il reste que sa vertigineuse popularité et son ambition présidentielle présumée relèvent jusqu’à preuve du contraire, des juridictions du suffrage universel et non pas de la CREI.
Ce qui se joue au palais de Justice de Dakar dépasse la personne de Karim Wade. C’est le sort de notre Justice et la stabilité de notre pays qui sont en jeu. Il y a quelques semaines, pas si loin de chez nous, un président a tenté de falsifier le droit. On a vu où ça a mené le Burkina.

Malick SY
Journaliste