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Projet de loi portant statut du daara: Les sources d'une polémique


Rédigé par leral.net le Samedi 3 Janvier 2015 à 11:57 | | 1 commentaire(s)|

Projet de loi portant statut du daara: Les sources d'une polémique
Ces derniers jours, une vive polémique s’amplifie autour du projet de loi portant statut du daara que le ministre de l'Education vient de présenter aux chefs religieux du Sénégal. Si cette initiative qu'on peut considérer comme historique soulève une telle réaction de désapprobation de la part d'une grande association de serigne daara, en l'occurrence la Ligue des Ecoles Coraniques, il y a lieu dès lors de se pencher sur les causes véritables de ce malentendu. Afin de pouvoir indiquer une voie susceptible de permettre à ce projet d'être acceptable pour les acteurs et bénéfique pour l'enseignement coranique, je tenterai d'analyser la situation sous divers angles: la démarche du gouvernement, l'attitude des maîtres coraniques et enfin le texte du projet.

En effet, l'Etat du Sénégal a pris, ces dernières années, des initiatives allant dans le sens de satisfaire une vieille demande sociale, à savoir la prise en charge de l'éducation religieuse et de l'enseignement coranique dans le système éducatif du pays. C'est ainsi qu'on a introduit l'éducation religieuse au programme de l'école élémentaire publique et en même temps des écoles franco arabes publiques ont été créées depuis 2002. Une inspection des daara est instituée au sein du Ministère de l'éducation pour la gestion de ces structures.

En 2010, les maîtres coraniques ont créé un collectif national regroupant plusieurs associations, devenu par la suite une fédération nationale bien structurée. Cette organisation qui s'est présentée comme un interlocuteur crédible a permis la signature d'un accord-cadre avec le Ministère de l'éducation, le 1er décembre 2010. Cet accord avait pour objet principal de définir le daara, ses modalités d'ouverture et ses conditions de reconnaissance.

La signature de ce document n'était qu'une mesure transitoire pour donner aux daara un ancrage institutionnel en attendant l'élaboration et l'adoption des textes réglementaires. Ce projet de loi s'inscrit, en réalité, dans le cadre d'un processus de réglementation des daara en tant que structures éducatives reconnues à l'instar des écoles privées régies par un ensemble de textes juridiques (lois, décrets, arrêts..). Cette règlementation constitue un préalable incontournable pour une prise en charge des daara dans le système éducatif et leur développement intégré.

Au point de vue de la démarche, les autorités ont, certes, associé la Fédération Nationale des Associations des Maîtres coraniques dans le processus d'élaboration des textes mais n'ont pas suivi l'effectivité du partage et des consultations à la base. En fait, la Fédération devait à son tour informer et consulter sa base de la manière la plus large pour recueillir leurs observations et suggestions. Apparemment, cette consultation n'a pas été effective selon les déclarations des responsables de la Ligue des Ecoles Coraniques, une association très importante et membre de la fédération. Une étape cruciale du processus a été donc sautée: la validation technique du projet avec les personnes directement concernées, les Serigne daara, avant la validation sociale à grande échelle.

Par ailleurs, l'attitude des responsables de la Ligue ne favorise pas un dialogue apaisé et constructif. En empruntant la voie de la presse sans saisir les autres membres de la Fédération afin d'harmoniser leurs positions et définir ensemble une stratégie commune elle risque d'affaiblir la Fédération voire de la décrédibiliser. Cette attitude est aussi de nature à compromettre le projet lui-même, si l'on sait qu'il y a deux catégories défavorables à cette initiative: des Serignes daara farouchement opposés à toute intervention de l'Etat dans leurs activités et des militants extrémistes de la laïcité qui ne veulent guère entendre parler d'un appui quelconque en faveur de cet ordre d'enseignement. Globalement, la démarche pour l’appropriation d’un projet aux conséquences aussi importantes pour l’éducation au Sénégal requiert un dialogue et une concertation plus élargis pour prendre en charge les préoccupations complexes qui lui sont attachées.

Concernant le contenu du projet lui-même, on peut constater aisément qu'il est inspiré pour ne pas dire copié des textes règlementaires qui régissent l'enseignement privé. Les termes utilisés et le format de la structuration ne diffèrent pas de manière sensible alors que les réalités sont fondamentalement différentes. Donc, même si l'esprit est acceptable les termes peuvent heurter la sensibilité des gens ordinairement sceptiques vis à vis de l’Etat et l'administration pour des raisons à la fois historiques et culturelles. En outre, le ton du texte met en exergue l'aspect répressif et ne part pas explicitement d’une stratégie basée sur une estime de l’enseignement coranique et d’une volonté de le promouvoir.. .

Si, en fin de compte, l'Etat a le devoir régalien de réglementer et de prendre en charge ce secteur, les acteurs du daara aussi ont le droit de se méfier de tout ce qu'ils considèrent, à tort ou à raison, comme une menace à l'avenir de l'enseignement coranique dont l’histoire au Sénégal est antérieure à celle de l’école dite moderne; d'où la nécessité de trouver une voie d'entente et de dissiper les malentendus . Pour ce faire il est souhaitable qu'il y ait un peu de retenu et de recul. D'une part, l'autorité doit procéder à une large consultation en vue d'une validation technique inclusive, d'autre part, la fédération est appelée à s'organiser pour pouvoir formuler des propositions d'amélioration pertinentes à même de rendre le texte accessible et acceptable. L'état actuel de notre société avec toutes ses urgences ne nous offre pas le luxe de nous enliser dans des querelles facilement évitables.



Same Bousso Abdourahman
Inspecteur de l'Enseignement Arabe
Inspection d'Académie de Thiès
samebousso@yahoo.fr