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Quand un tournoi fait de l’ombre au championnat

Un tour du monde de dix-huit mois en traversant vingt-quatre pays à la rencontre des footballeurs de la planète… Voilà le projet un peu fou de trois mordus du ballon rond. Football365 a décidé de suivre leurs aventures. Deuxième volet de leur passage au Sénégal


Rédigé par leral.net le Dimanche 9 Novembre 2008 à 15:25 | | 0 commentaire(s)|

Quand un tournoi fait de l’ombre au championnat
Saint-Louis, Sénégal. Soit l’ancienne capitale du pays, aujourd’hui plus connue pour son formidable patrimoine architectural et son rôle tristement célèbre dans la traite des nègres. On en oublierait presque que cette charmante cité abrite aussi l’un des plus grands clubs de l’histoire du foot sénégalais, la Linguère de St Louis. Levé à six heures du matin pour assister à l’entrainement dirigé par l’ancien forgeron Amara Traoré, je m’entends dire par les deux supporters présents que « La Grande Dame », à l’image des autres formations du championnat, peine à faire lever les foules. Tout le contraire des équipes de Navêtane, le tournoi d’été des équipes de quartier… Le 16 août dernier, la formation du quartier de Pinkin Jogul rencontrait Juboo. Le stade « Babacar Gueye » affichait des tribunes bien garnies, la foule se montrait passionnée, ponctuant chaque action dangereuse par une clameur joyeuse. Et chose surprenante, cet enthousiasme se retrouvait aux quatre coins du pays. En effet, une semaine plus tard à Popenguine, j’assistais, avec une centaine de personnes, à un autre match de Navêtane. Pendant 90 minutes, le public est resté hypnotisé par la rencontre malgré le crachin permanent qui arrosait les baobabs centenaires entourant le terrain. Trois jours après, c’est une pluie battante qui accueillait les spectateurs du match entre deux quartiers de Fadiouth. Le praticable était tellement détrempé qu’on ne voyait plus les pieds des vingt deux acteurs. D’où un spectacle peu avenant qui ne rebutait pourtant pas les habitants, venus en nombre soutenir leur équipe favorite.

Et pour cause, au pays des Lions de la Teranga, le mouvement des Navêtanes constitue une réalité institutionnelle indéniable. Né des tournois informels entre rues, il a évolué en rencontre entre quartiers (un peu comme Olive & Tom, le meilleur dessin animé que la terre ait connu). Au fil du temps, ces quartiers se sont organisés pour présenter des équipes plus structurées. A tel point qu’en 1969, le Navêtane est pris en compte dans les préoccupations des autorités. Puis réglementé et officialisé à partir de 1973 avec la création de l’Organisme National de Coordination des Activités de Vacances (ONCAV). En 2003, ce dernier déclarait la bagatelle de 2300 ASC (Association Sportive et Culturelle) avec quelques 300 000 licenciés répartis sur l’ensemble du territoire national, preuve évidente s’il en faut que le Navêtane offre à des milliers de jeunes, en milieu urbain comme en milieu rural, la possibilité de satisfaire leur demande de pratique sportive. Ainsi, toutes les couches sociales se trouvent impliquées dans ce mouvement. La dimension sociale du phénomène a pris une telle ampleur que bon nombre des ASC disposent de ressources financières conséquentes, bien supérieures à celles de clubs dits traditionnels. Car en plus des subventions directes de l’Etat, le Navêtane enregistre des rentrées financières de plus en plus importantes. En effet, sa grande capacité de mobilisation, due principalement à l’élan populaire et au patriotisme de quartier, assure non seulement une recette confortable grâce à la vente des billets d’entrée aux différentes manifestations mais permet aussi de lever des fonds lors de campagnes de soutien. Bien entendu, ce succès a très vite attiré les sponsors qui ne sont pas restés insensibles et commencent à s’impliquer sérieusement dans le mouvement.

Tout comme les joueurs qui ont vite compris qu’ils pouvaient devenir des stars dans leurs quartiers respectifs. Car les Navêtanes se révèlent bien évidemment un excellent moyen de détection pour les recruteurs. Tout le monde se souvient que le héros du pays, El Hadj Diouf, a été révélé lors de ce tournoi sous les couleurs de Canigui de Balacoss. Ainsi, comme le règlement retire le droit de disputer les Navêtanes aux joueurs ayant disputé plus de trois matchs en D1, nombre d’entre eux refusent de jouer dans l’élite. D’où un manque de talents dans le championnat de première division. Effet pervers, mais pas le seul puisque le Navêtane, victime de son succès, engendre des problèmes bien réels. En effet, on constate chaque année que le calendrier n’est pas respecté. Au niveau de la gestion des activités apparaissent des dérives liées au gigantisme du mouvement. Le nombre d’équipes engagées et par conséquent le nombre de rencontres organisées ainsi que la formule des compétitions posent un sérieux problème pour circonscrire les activités dans le temps qui leur est imparti. Le Navêtane, censé être une activité de vacances, n’en est plus une. A tel point qu’il n’est pas rare de voir que l’organisation de la rentrée scolaire se trouve perturbée dans certaines zones, au grand bonheur de nos chères têtes blondes sénégalaises (eh oui, encore l’influence d’El Hadj Diouf, surnommé Dioufy pour les intimes).

De plus, ces débordements du calendrier entrainent bien évidemment une sur-utilisation des infrastructures. Celles-ci n’étant déjà pas dans un état glorieux. On devine facilement que le Navêtane puisse faire grincer quelques dents. D’autant que cette activité, supposée mixte et pluridisciplinaire, ne s’adresse principalement qu’aux footballeurs des catégories cadets et seniors. Exit les minimes, les cadets et… les filles ! Exit les autres sports ! Enfin, pour pimenter ce cocktail déjà corsé, s’ajoutent des problèmes de violence dignes du hooliganisme de la grande époque. En effet, le sentiment d’appartenance à un quartier, une ville, une région, est très ancré dans le mouvement Navêtane. D’où des fins de matchs houleuses avec des débordements de violences entraînant parfois des blessés graves voire même des pertes en vies humaines. Exit Olive & Tom et ses bons sentiments, le côté noir des Navêtanes semble plus proche d’Akira que des Bisounours… Mais ceci ne doit pas éluder le potentiel incroyable du mouvement. Ce potentiel, les autorités l’ont bien compris et s’efforcent de cerner les différents enjeux politiques, sociaux et sportifs du Navêtane. Ainsi, le Ministère des sports s’est très sérieusement penché sur le cas et a délivré quelques directives qui devraient permettre de diminuer, voire de supprimer les problèmes liés au mouvement.

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