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Quel dispositif optimal de suivi pour le Plan Sénégal émergent ?

L’avènement d’une deuxième alternance démocratique au Sénégal est intervenu dans un contexte favorable au retour de la planification, une discipline mise en berne depuis le 9ème Plan de Développement Economique et Social (PODES) du Sénégal. Un retour qui se confond avec la réapparition dans la sémantique du concept de suivi-évaluation.


Rédigé par leral.net le Jeudi 8 Janvier 2015 à 16:05 | | 1 commentaire(s)|

Quel dispositif optimal de suivi pour le Plan Sénégal émergent ?
Ce cheval de bataille des nouvelles autorités traduit sans doute un souci de mettre en place un Etat régulateur, complétant le marché autorégulé, source de dangers pour les acteurs les plus fragiles (ménages, secteur public….), à travers l’installation d’un cadre performant de gestion des politiques publiques.

Au moment où les pouvoirs publics fondent beaucoup d’espoirs sur le Plan Sénégal Emergent (PSE), il convient donc d’apprécier dans quelle mesure les intentions exprimées de façon récurrente dans les discours sont traduites dans les actes posés par les acteurs.

Pour ce faire, il importe d’abord de procéder à une certaine clarification conceptuelle sur le suivi dans le cadre de la gestion étatique avant d’interroger le cadre institutionnel mis en place pour matérialiser les orientations des gouvernants.

QUID DE LA FONCTION SUIVI DE L’ACTION GOUVERNEMENTALE ?

La fonction suivi, quelle qu’en soit l’approche, comprend deux volets : un premier qu’on pourrait qualifier de stratégique, car intéressant les décideurs (politiques ou techniques), et un deuxième plutôt centré sur l’opérationnel, puisqu’il concerne surtout les techniciens en charge de son animation.

Le suivi stratégique de l’action de développement

Pour être performant, le suivi doit se rapprocher des instruments utilisés par l’Administration, le bras séculiers de l’Etat. Pour ce faire, il doit logiquement épouser les contours de l’action gouvernementale.

Aussi, doit-il être pris en charge au niveau le plus élevé avec une impulsion qui doit d’abord venir de l’autorité. Telle conviction inspire l’érection d’un tableau de bord primatoral reprenant l’ensemble des objectifs et indicateurs sectoriels. Cet instrument, important à plus d’un titre, est un outil qui permet au premier Ministre d’avoir une vision en temps réel de l’évolution des projets et indicateurs de l’Etat. La visibilité ainsi offerte au chef du Gouvernement l’amène, à chaque fois que de besoin, à interpeller les différents ministères à travers des séances de travail bilatérales ou dans le cadre des conseils usuels.

Le Premier ministre, qui assure la coordination de la politique définie par le chef de l’Etat matérialisée dans les plans (stratégiques, d’action) des ministères et des structures placées sous leur tutelle, peut tirer parti de cet outil qui lui permet d’imprimer son tempo sur la mise en œuvre des politiques publiques.

En effet, c’est fort des indications de son tableau de bord qu’il pourrait se décider à présider des conseils interministériels pour faire avancer tel ou tel domaine en souffrance ou estimer devoir porter certaines de ses
préoccupations en Conseil des ministres.

En sus des techniciens de la primature censés lui apporter un soutien précieux dans la prise de décision, le premier Ministre pourrait également consulter l’expertise du ministère le plus habilité dans le domaine du suivi-évaluation des politiques, programmes et projets publics en vue de mieux documenter le processus du suivi, dans lequel il est un acteur de premier plan, mais aussi inspirer certaines de ses décisions ou interpellations.

Le suivi opérationnel de l’action de développement

Faut-il le rappeler, le suivi opérationnel repose sur une proximité de tous instants. Il est systématique. Aussi, devrait-il échoir à des structures qui disposent de personnels spécifiquement dédiés à l’activité. Ce qui pose au centre du débat la lancinante question des capacités en suivi des ressources humaines de l’administration sénégalaise.

Au niveau central, le suivi opérationnel est censé reposer, dans le schéma actuel, sur le Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Emergent (BOS/PSE), puisque cette entité a été créée pour assumer les missions s’y rapportant.

Cependant, ce type de suivi pour être efficace, notamment dans le cadre d’un tandem qu’il est appelé à former avec le
suivi stratégique, ne saurait déroger à certains principes parmi lesquels on peut citer l’expertise de ses animateurs et la cohérence du cadre institutionnel.

Pour rappel, le suivi est généralement assuré par une structure disposant d’une expérience avérée dans le domaine et dans son pendant qu’est l’évaluation. Cela veut dire, que pour nos administrations, il est primordial de confier cette opération à une structure dont il constitue le cœur de métier.

Compte tenu de l’ampleur de la tâche et de son caractère systématique et permanent, cette dernière doit être appuyée par des points focaux disséminés dans les ministères. Cet impératif ne saurait être négligé puisque parler de suivi revient à considérer un système opérationnel avec des acteurs et des flux d’information collectés à partir d’indicateurs objectivement vérifiables.

Pour être crédible, au niveau local, le suivi doit s’appuyer, d’abord, sur les services à la base de la direction chargé du suivi au niveau national. Soulignons que l’érection de services à cette échelle d’intervention répond à des préoccupations d’efficacité de la gouvernance. En effet, au delà de la nécessité pour l’Etat central d’être représenté sur toute parcelle du territoire national, il convient également de noter tout l’intérêt que les pouvoirs publics trouvent à faire jouer la subsidiarité.

Cette modalité administrative est connue pour traduire de façon adéquate une gouvernance de proximité, source d’efficacité et plus à même de permettre d’apprécier l’incidence des décisions sur les populations ou de prendre en compte leurs desiderata.

Tous ces éléments permettent à suffisance de montrer que les dynamiques de suivi promues par les autorités, s’ils bénéficient d’un schéma doctrinal et pratique clair, ne sont cependant susceptibles d’être concrétisées que si un cadre institutionnel adéquat est mis en place.

QUEL DISPOSITIF INSTITUTIONNEL METTRE EN PLACE ?

Il suffit de se pencher sur le cadre de référence actuel pour se rendre compte du foisonnement des structures s’affairant autour du suivi des politiques publiques. Ces entités administratives opèrent dans le cadre d’interventions cloisonnées, ce qui ajoute à la déstructuration du système national de planification enregistré depuis plusieurs années déjà.

S’il est vrai que la fonction suivi doit être présente au moment où se formule chaque politique, programme ou projet de développement, il n’en est pas moins réel qu’elle doit être prise en charge de façon optimale et intégrée dans le cadre d’un dispositif transparent où les rôles et responsabilités des acteurs sont clairement définis.

De nos jours, les politiques, programmes et projets de développement font intervenir dans leur suivi les ministères techniques, la Direction de la planification (DP), la Direction de la Coopération Economique et Financière (DCEF), l’Unité de Coordination et de Suivi de la Politique Economique (UCSPE), le Bureau Opérationnel de Suivi du PSE, sans que la liste ne soit exhaustive. Le foisonnement des structures est manifeste et explique la dispersion des actions contraire à l’esprit du suivi qui est systémique.

En l’état actuel des choses, le ministère en charge du PSE, à travers le BOS, est censé assurer des fonctions de suivi du Plan. Il reste cependant que le Bureau cumule des fonctions d’appui à la formulation, de mise en œuvre et de suivi du Plan, d’appui au montage des projets complexes, d’appui à la recherche d’investisseurs et de mise en œuvre de projets, ce qui destine cette administration à être une structure tentaculaire qui risque de mal assumer ces missions très diversifiées.

Cela est d’autant plus probable que le BOS, censé appuyer les autres ministères dans leurs opérations de planification, est en concurrence directe, dans le domaine du suivi-évaluation avec la Direction de la Planification (DP) du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (MEFP) et, par voie de conséquence, les Cellules de Planification des ministères techniques avec qui celle-ci entretient d’intenses relations fonctionnelles.

La Direction de la Planification, en ce qu’elle a aussi en charge la contre évaluation des projets, devrait pourtant être étroitement associée au processus surtout au regard du dépérissement fonctionnel de l’UCSPE qui, en son temps, s’était substituée à elle dans une partie de ses missions avant de la supplanter dans le champ de la formulation du Plan. Cette exigence s’impose d’autant plus que la DP constitue la seule structure d’un ministère stratégique intervenant sur la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques qui dispose de services régionaux.

Ces services locaux ont engrangé une expérience probante en suivi évaluation avec notamment, en son temps, des interventions dans le cadre du suivi du Programme Triennal des Investissements Publics (PTIP), pour appuyer la DCEF, en plus du suivi et de l’évaluation des politiques, programmes et projets publics au niveau local.

Faut-il le rappeler, la DP est la seule structure disposant d’une masse critique de spécialistes du suivi évaluation, formés et ayant une expérience dans le domaine avec une habitude de travail avec les cellules des ministères techniques ; ce qui lui confère un avantage comparatif réel sur toute autre structure de l’Administration sénégalaise.

Autrement dit, elle constitue un maillon idéal dans la chaine qui peut valablement documenter le suivi stratégique de la Primature.

Tout ceci pour dire que des éléments de redondances subsistent dans le cadre institutionnel et ils sont susceptibles de gripper la machine s’ils ne sont pas vite évacués. Pour réussir à installer le Sénégal dans l’émergence, les autorités gagneraient à entamer courageusement le chantier de la fusion de certaines structures en charge de la planification du développement, en général, ou du suivi-évaluation des politiques, programmes et projets publics qu’elles mettent au devant de la scène.

La mesure la plus idoine serait sans doute le sacrifice du ministère chargé du suivi du PSE et la fusion du BOS avec la Direction de la Planification qui, soulignons-le, s’est toujours appuyée sur sa Division des Politiques Sectorielles et de l’Evaluation (la célèbre DPSE que lui disputée la DCEF, en un moment donné) et sa Division de la Planification Régionale (DPR) pour pleinement assurer la fonction de suivi et d’évaluation.

L’avantage d’une telle décision réside dans le fait qu’elle permet de ramener une unité de commandement dans la politique économique en rapprochant la décision entre la nouvelle structure tutélaire du Plan (BOS fondue dans la Direction de la Planification à laquelle on adjoint les agents rompus à la tâche de l’UCSPE, maintenue aujourd’hui sans raison) et les Directions partenaires du MEFP (la DCEF, qui gère l’outil de programmation que constitue le PTIP et la Direction de l’Investissement).

Du point de vue de l’orthodoxie administrative, l’action gouvernementale y gagnerait en lisibilité alors que le Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (MEFP) rehausserait ses performances intrinsèques. En effet, les procédures internes dans les opérations des structures en charge du suivi-évaluation, principalement relogées dans ce département, en seraient plus simplifiées.

C’est, d’ailleurs, au nom de l’unification et de la solidarité de la politique économique et des démarches de suivi et d’évaluation que la Direction des Financements et des Partenariats Publics Privés (DFPPP) pourrait intégrer la direction générale en charge des politiques économiques (DPPE) du MEFP, seule structure détentrice d’une masse critique d’évaluateurs à travers la DP. Il en est de même de la Direction d l’Appui au Secteur Privé (DASP), rattachée au MEFP jusqu’à une date récente, aujourd’hui au ministère chargé des Investissements.

Toutes ces mesures de rationalisation, sur lesquelles le décideur pourrait être appelé à porter son attention, au prix de la dissolution de deux ministères (ceux chargés du suivi du PSE et du Partenariat et de l’Investissement), devraient conduire à une harmonieuse intégration des structures en charge du suivi et de l’évaluation des politiques, programmes et projets publics.

Elles se solderaient par des économies en matière de charges de structure, une plus grande simplification des procédures et un allègement de la chaine de décision. Elles permettraient également d’apporter une meilleure cohérence d’ensemble dans le cadre de la gestion des politiques économiques, en général, et de la planification, en particulier, à travers une meilleure performance de la fonction suivi, une préoccupation phare des autorités.

In fine, ces mesures devraient s’accompagner d’un plan de redéploiement des agents avec l’affectation de ceux dont les profils (formation, expérience de travail) ne sont pas en congruence avec les missions de suivi évaluation vers des stations de travail plus adaptées à leurs compétences.

Oumar El Foutiyou BA
Conseiller en organisation/Planificateur
Au Bureau Organisation et Méthodes
Coauteur de l’ouvrage : le suivi-évaluation : des outils, une démarche, manuel à l’intention des universitaires et praticiens du développement, Edisal, Dakar, 2013, 63 pages
elfba@yahoo.fr