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Récession! La sortie c'est par où?

«Une récession au Nigéria, mais c'est impossible, nous avons notre pétrole et puis nous sommes les Etats-Unis de l'Afrique », répétait à satiété Emeka Uche, un homme d'affaires lagotien jusqu'au milieu de l'année dernière. Ils étaient des milliers dans le monde des affaires à tenir le même discours qui tenait de la méthode Coué.


Rédigé par leral.net le Vendredi 31 Mars 2017 à 19:21 | | 0 commentaire(s)|

La confiance dans la destinée du Nigeria avait encore grandi avec l'annonce officielle que le pays était devenu en 2014, la première économie du continent, devant l'Afrique du Sud. De même, dans les médias locaux, il était de bon ton de présenter le Nigéria comme un pays béni des dieux qui devait toujours connaître des taux de croissance spectaculaires (il est vrai que pendant une décennie la croissance du PIB nigérian avait flirté avec les 5% par an). Chaque matin, sur Nigeria info, l'une des radios de Lagos, des nouvelles économiques triomphalistes étaient de rigueur. Nigeria info ne présentait-elle pas Lagos comme la capitale économique de l'Afrique de l'Ouest ? Sur cette radio, il était même de bon ton d'ironiser sur les pays européens à très faible taux de croissance tels que la Grèce, l'Espagne ou l'Italie.

Les Lagotiens aiment à répéter que si leur ville était un Etat indépendant en Afrique, ce serait le 6e PIB du continent. De même qu'il est fréquent à Lagos d'ironiser sur les « petits voisins », considérés comme si peu développés : le Bénin, le Niger et le Tchad. Mais depuis quelques mois, les discours triomphalistes cèdent la place à des analyses plus modérées.

Le Nigeria est officiellement entré en récession en 2016. Les signes de la crise sont visibles partout. Les « go slow », célèbres embouteillages de Lagos, perdent en intensité. L'essence est plus chère  et nombre de Lagotiens réfléchissent à deux fois avant de prendre le chemin des pompes. Même dans les beaux quartiers, les marcheurs sont légion, ainsi que les utilisateurs d'okada (taxis-motos), un transport peu coûteux.

Crise immobilière et suicides

Les murs des maisons se couvrent d'affiches bariolées sur lesquelles est écrit « to let » – à louer. Dans les beaux quartiers d'Ikoyi et Victoria island, nombre de locataires ont pris la poudre d'escampette. Les entreprises du secteur pétrolier – gros pourvoyeurs de locataires argentés – ont massivement licencié. Des milliers d'expatriés ont dû quitter le pays. Du fait de la chute des cours de l'or noir, l'activité des compagnies pétrolières est nettement moins rentable. Par ailleurs, la reprise des affrontements et des sabotages dans le delta du Niger a entraîné une forte diminution de la production nigériane (près d'un tiers). Du coup, le pays a perdu son titre de premier producteur pétrolier d'Afrique au profit de l'Angola.

Il n'était pas rare à Lagos que des appartements se louent à 10 000 euros, le propriétaire exigeant de recevoir deux ans de loyer d'avance. Faute de clients, les propriétaires sont obligés de revoir leurs exigences à la baisse. Ainsi, un appartement qui se louait 10 000 euros l'année dernière coûtera 8 000 ou 9 000 euros, au moment de la renégociation. Désormais, il est fréquent que le locataire parvienne à ne payer qu'un an d'avance de loyer au lieu des deux ans précédemment requis.

Au Nigeria, le locataire qui n'a plus les moyens de payer son loyer ne peut pas compter sur la « trêve hivernale  » à la française. Il devra partir manu militari, éventuellement sous la menace d'area boys, des petits bandits du quartier dont le propriétaire aura loué les services pour faire dégager son locataire désargenté. « A Lagos, le modèle capitaliste s'applique dans toute sa brutalité », note John Oboli, enseignant dans la capitale économique du pays. Le salarié renvoyé devra partir à la minute où son patron – son oga – l'aura décidé, sous bonne garde, celle des vigiles de l'entreprise. Il ne pourra pas compter sur une période de préavis.

Le salarié ayant brutalement perdu son emploi verra aussi sa famille plonger dans la plus grande détresse. Il ne touche pas le chômage. Aucun Etat providence à la française. S'il ne peut plus payer les frais de scolarité, ses enfants seront renvoyés illico presto de l'école et évidemment, il n'aura accès à aucun soin médical. Au Nigéria, tous les bons établissements hospitaliers sont privés: il faut payer avant d'avoir accès au moindre traitement.

« A Lagos, il est beaucoup plus difficile de compter sur la solidarité familiale que dans d'autres villes africaines. Si tu tombes, tu as le plus grand mal à te relever », souligne Souleymane Ndiaye, homme d'affaires sénégalais, installé de longue date au Nigéria.

Depuis quelques mois, la capitale économique du Nigeria a connu des suicides retentissants dont celui d'un banquier issu d'une grande famille de la ville : il s'est suicidé dans son église. Dans un pays aussi religieux, un suicide dans une église n'est pas passé inaperçu.

Cet argent qui a horreur du bruit

Bien sûr, il y a toujours beaucoup d'argent à Lagos (Le PIB de la ville est équivalent à celui de la Côte d'Ivoire, du Sénégal, et du Cameroun réunis). Mais la crise est amplifiée par le fait que nombre de riches Lagotiens ont décidé de faire profil bas. Comme le président Buhari, élu en avril 2015, a décidé de faire de la lutte contre la corruption et l'argent sale son absolue priorité, bien des Lagotiens cachent leur bonne fortune. « Mon patron a beaucoup de voitures de luxe, mais en ce moment, il préfère se déplacer à pied ou en taxi. Il ne veut surtout pas attirer l'attention », explique Akin, chauffeur à Ikoyi, le quartier chic de Lagos.

Fighting spirit et résilience

Pourtant, malgré la crise, les Lagotiens restent optimistes. « Nous sommes connus pour notre capacité de résilience », note Funke, étudiante dans une école de commerce, persuadée que son pays va rebondir rapidement. Il est vrai que la capacité d'adaptation est impressionnante. Si un domaine d'activité ne fonctionne pas bien, comme le secteur pétrolier ou l'immobilier, les Lagotiens changent rapidement leur fusil d'épaule. Un grand nombre d'entre eux, notamment les plus jeunes, exercent plusieurs activités. De l'import-export, au salon de beauté en passant par l'informatique. Ils ont fréquemment quatre ou cinq cartes de visites différentes et sont étonnés quand leur interlocuteur explique qu'il n'exerce qu'une seule profession.

A Lagos, « la ville qui ne dort jamais », il faut toujours avoir plus d'un tour et plus d'un business dans son sac. Les Lagotiens sont persuadés qu'il s'agit d'une crise conjoncturelle. « En 2050, nous serons 400 millions . Nous serons le troisième pays, le plus peuplé du monde derrière l'Inde et la Chine. Il faudra bien nourrir tous ces gens », note Assan Ba, commerçant lagotien.

Happy recession

Un raisonnement partagé par des grandes entreprises étrangères qui continuent à investir dans ce pays malgré la crise. « C'est même le bon moment pour développer ses activités au Nigeria. Du fait de la crise et de la chute de la monnaie locale, les investissements sont moins onéreux », note un chef d'entreprise occidental impressionné par la combativité des Nigérians qui ne se laissent pas décourager par la crise.

Comme souvent, plutôt que de se plaindre, les Nigérians ont décidé d'utiliser l'arme de l'humour. Pour se saluer, ils ont pris l'habitude de se dire : « Happy recession ». Comme si la dérision allait permettre de conjurer plus rapidement le mauvais sort. Ce qui n'est pas totalement exclu. La reprise économique étant très liée au moral des populations. Quoi qu'il en soit, selon les experts, l'embellie économique ne devrait pas intervenir avant la fin de l'année. Les Nigérians devront attendre encore un peu avant de pouvoir dire adieu à leur nouvelle devise : « Happy recession ».

source:RFI


la rédaction