Leral.net - S'informer en temps réel

Réforme foncière et Elevage : Relance ou déclin du sous secteur ? - Par Pr. Demba Sow

Rédigé par leral.net le Jeudi 2 Juillet 2015 à 15:22 | | 0 commentaire(s)|

La Loi sur le Domaine National (LDN) était une bonne réponse à la problématique du foncier à l’époque de sa promulgation en 1964. Elle rassurait les autorités dans leur vision postindépendance de l’occupation et de l’exploitation des terres et préservait les intérêts des populations dans leur diversité. Cette loi n’avait pas bouleversé l’existant et les pratiques d’alors notamment dans le secteur agricole. Les agricultures s’adonnaient à leur activité sans entrave, les éleveurs pratiquaient leur pastoralisme dans la sérénité et les propriétaires terriens urbains gardaient leurs biens fonciers.


Réforme foncière et Elevage : Relance ou déclin du sous secteur ? - Par Pr. Demba Sow
En 1964, le contexte était favorable à l’adoption de la LDN. En effet, à cette époque, la population sénégalaise tournait autour de 3 millions d’habitants, le cheptel national était sans commune mesure avec ce qu’il est aujourd’hui et la demande de logements dans les villes n’était pas si pressante qu’aujourd’hui. En plus, il y a avait en 1964 suffisamment de terres pour les différents acteurs du secteur agricole permettant à chacun d’exercer son métier sans être gêné par la Loi sur le Domaine National.

Cinquante ans après la promulgation de la LDN, beaucoup de choses ont changé : La population a été multipliée par 4, le cheptel a considérablement augmenté et ses besoins de pâturage aussi, le pays s’est fortement urbanisé avec une forte demande de logements, les besoins de terre à cultiver ont augmenté, l’agro-business est venu avec ses besoins spécifiques.

Les insuffisances et les tares de la Loi sont devenues flagrantes et la nécessité de la revisiter s’impose avec acuité. Toutefois, le caractère très sensible du foncier au Sénégal oblige les pouvoirs publics à la prudence dans la réforme de la LDN. C’est pour cette raison que le foncier n’a pas été pris en compte par la Loi AgroSylvoPastorale.

La réforme du foncier doit concilier des intérêts légitimes, divergents et contradictoires. La réforme devra tenir compte du caractère non extensible des terres en jeux malgré la pression des acteurs, la nécessité d’augmenter les productions végétales et animales pour lutter contre l’insécurité alimentaire et le chômage des jeunes, la forte demande de logements avec notre démographie galopante et l’urbanisation rapide en cours, etc.

Le sous secteur de l’élevage a été l’une des principales victimes de la Loi sur le Domaine Nationale. Les agricultures peuvent, grâce à cette loi, être attributaires de terres à usage agricole dès lors qu’ils sont porteurs de projets de production agricole. C’est ainsi que des terres jadis dédiées au pastoralisme ont été attribuées, sans aucune procédure administrative pour faire l’état des lieux, à des agricultures sous prétexte de valorisation de ces terres.

Sans que cela ne soit expressément écrit dans la loi, les terres de pâturage sont considérées par l’administration et les agricultures comme des terres non encore valorisées. Cela est une grosse erreur car c’est l’herbe de ces terres qui est transformée en viande ou en lait par le bétail qui est consommé dans les ménages urbains et ruraux. Il n’y a pas meilleure et plus directe valorisation des terres que celle là.

La non prise en compte du sous secteur de l’élevage dans l’application de la LDN a beaucoup pénalisé l’élevage qui joue pourtant un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire du Sénégal au coté de l’agriculture. Ces deux secteurs d’activités économiques sont complémentaires et souvent interdépendants. Le Sénégal et les sénégalais ont besoin autant de l’un que de l’autre dans la vie de tous les jours.

Le pastoralisme qui est la forme d’élevage pratiquée dans le Sahel (Tchad, Burkina Faso, Niger, Mali, Sénégal) est actuellement menacé dans notre pays avec cette mauvaise compréhension et injuste application de la LDN. Je rappelle aux compatriotes qu’ils mangent de la viande tous les jours ou presque, des milieux de bovins et ovins sont sacrifiés pendant les cérémonies religieuses et familiales, bref tout est occasion pour immoler un animal.

Comme toutes les activités agricoles, l’élevage est très sensible aux facteurs liés à la pluviométrie, aux aires de pâturage, à l’eau et aux maladies. Le rétrécissement des aires de pâturage, la disparition en cours des forêts classées, réservoir de fourrage, et la faible pluviométrie de 2014 ont plongé l’élevage pastoral depuis le mois de mai dans une situation dramatique et angoissant. Il n’y a plus rien à manger pour le bétail sur la quasi-totalité du territoire national depuis plus de 2 mois et on attend toujours la pluie.

De Ranérou à Nioro du Rip, de Thiadiaye à Koussanar, de Louga à Birkelane, le cheptel meurt de faim. Les éleveurs sont déboussolés. Le spectacle dans la région de Kaffrine et de Tambacounda, ultimes lieux de refuge du bétail, est insoutenable. Le consommateur vit directement les conséquences de cette situation avec le prix de la viande qui monte et sa qualité qui baisse en ce mois de juillet 2015.

Le projet de réforme du foncier en cours doit tenir compte aussi de l’élevage qui est un levier très important pour le développement du pays. Pour une bonne qualité de vie, les sénégalais, qui ont tous la fibre d’éleveur compte non tenu de l’appartenance ethnique, ont besoin d’un élevage dynamique et productif pour satisfaire leurs besoins incompressibles, journaliers ou occasionnels. Le Professeur Moustapha Sourang, Président du Comité chargé de la Réforme du Foncier, est très conscient de l’attente du sous secteur de l’élevage de la nouvelle loi sur le foncier. C’est rassurant mais on se pose la question sans avoir la réponse, sur l’effective implication et participation des éleveurs dans les concertations sur le projet de réforme de la LDN.

Cette nouvelle loi devra considérer l’élevage comme une activité de valorisation des terres au même titre que l’agriculture. Comme les agricultures, les éleveurs devront disposer de terres dédiées exclusivement à l’élevage, des terres de pâturage non cultivables avec des documents administratifs en bonne et du forme.

L’agro-business s’installe toujours sur les terres des éleveurs qui perdent en conséquence leurs pâturages, leurs villages et leurs cimentières transformés en champs ou cités. L’augmentation des espaces cultivés se fait également toujours au détriment des éleveurs.

La nouvelle Loi devra également se penchait sur les forêts classées qui permettent à la fois de préserver la biodiversité et d’être des réservoirs de fourrage pour l’élevage. Ces forêts qui ne sont plus en vérité protégées, sont en train de rétrécir comme peau de chagrin sous la pression de grands agriculteurs, eux bien protégés.

La conjonction de tout cela a abouti à un rétrécissement des aires de pâturages, des parcours du bétail et certains marigots ne sont plus accessibles aux animaux. Si cette tendance se maintient, ce sera le déclin de l’élevage au Sénégal qui est actuellement très vulnérable.

Il faut inverser cette dynamique antiéconomique pour booster ce sous secteur qui fait vivre directement et indirectement plusieurs millions de sénégalais. La particularité de l’élevage, quelle que soit sa forme, est que c’est une activité qui dure 12 mois sur 12, donc un formidable levier de création de richesse, de lutte contre le chômage et contre la malnutrition qui est un fléau national très préoccupant.

La nouvelle Loi aura à trouver des mécanismes consensuels et opérationnels permettant une parfaite cohabitation de ces 2 secteurs agricoles ultra-stratégiques pour le Sénégal qui est engagé dans la voie de l’émergence. Une loi juste et réaliste, tenant compte de l’intérêt des uns et des autres, dans le cadre de l’intérêt général, est attendue de la commission en charge de la réforme foncière qui est actuellement au travail.

Pr Demba SOW
Professeur de Génie des Procédés
Ecole Supérieure Polytechnique UCAD