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Reportage «A 41 ans, je dépends toujours de papa et maman…»

Rédigé par leral.net le Jeudi 28 Août 2014 à 11:47 | | 0 commentaire(s)|

Ils sont jeunes adultes, ils ont entre vingt cinq et quarante ans et ils continuent de vivre aux crochets de leurs parents, malgré une indépendance financière. Ce sont les «Tanguys». A la différence de leurs semblables qui sont prêts à tout pour leur liberté, eux préfèrent s’agripper au nid familial, refusant de se heurter aux dures réalités de la vie. Reportage…


Reportage «A 41 ans, je dépends toujours de papa et maman…»
Le regard rivé sur l’écran Tv plasma accroché au mur beige du salon XXL, confortablement installé dans l’un des canapés moelleux, télécommande à la main, Abdoulaye donne l’air d’être le chef de famille. Que nenni ! La trentaine révolue, il est l’aîné d’une fratrie de trois bouts de bois de Dieu. Malgré sa bonne situation financière, il vit toujours au crochet de ses parents. «Je suis technicien supérieur en Télécom dans une société de la place et je gagne bien ma vie. Mais je n’ai pas encore trouvé l’opportunité d’aller vivre seul. Car, je me sens bien avec mes parents», souligne-t-il, l’air moqueur. Au moment où beaucoup de ses promotionnaires ou des jeunes de sa génération volent de leurs propres ailes, ont leur propre foyer avec une épouse et des enfants, Abdoulaye, lui, refuse de se faire à cette idée. Son cas, loin d’être une exception, touche une bonne frange des jeunes adultes sénégalais. On les appelle, les «Tanguys».

Plus qu’une réalité sociale, quitter le domicile de ses parents au Sénégal était auparavant invraisemblable, voire inconcevable. Toutefois, au fil des années, il est devenu assez courant de voir un jeune-homme prendre son envol, après avoir acquis son indépendance financière. Un petit boulot, une paye correcte, la plupart des jeunes commence déjà à entrevoir leur avenir, «loin» de papa et de maman, avec une femme et des enfants. Le premier acte de cette nouvelle vie, synonyme d’émancipation, est généralement : habiter seul ou en collocation avec des amis.

Une fuite de responsabilités

Dans son appartement à l’immeuble C à la cité des Lionnes, dans le paisible quartier des Maristes, Moustapha Samb est concentré sur un match de la Ligue 1 française. Physique d’athlète, la trentaine révolue, infographe de formation, il fait partie des jeunes qui ont très tôt volé de leurs propres ailes. Célibataire, il a quitté le domicile familial depuis bientôt huit ans. «J’ai quitté l’emprise familiale depuis 2006, car je ne me sentais pas en liberté et, en plus, notre maison était exiguë», renseigne M. Samb. Pour Moustapha, la majorité des jeunes adultes qui préfèrent continuer à vivre aux côtés de papa et maman veulent bénéficier des avantages et du soutien des parents. «C’est une simple fuite de responsabilités, car certains jeunes adultes ne veulent pas affronter la réalité et les dures conditions de la vie», indique-t-il. «J’ai beaucoup d’amis qui ne pensent même pas quitter leur domicile familial, parce qu’ils ont peur de perdre le confort qu’ils ont aux côtés de papa et maman. Ils restent collés aux parents qui leur viennent toujours en aide», explique Moustapha Samb. D’après lui, la plupart des jeunes adultes restent dans le cocon familial par paresse. «C’est parce qu’ils sont nonchalants et qu’ils craignent d’affronter les rudes conditions de la vie, qu’ils ne quitteront jamais, de leur propre gré, leurs géniteurs. A un certain âge, un homme doit prendre ses responsabilités et faire sa vie», conclut-il.

Si, pour Moustapha, renoncer au confort d’une vie avec ses parents était une évidence, pour d’autres, il n’est pas question de se séparer du cocon familial, au risque de sacrifier leur liberté, leur intimité. Ils préfèrent s’entasser comme des sardines dans une chambrette avec leurs frères, se disputer les programmes télé ou encore se chamailler autour d’un bol de riz avec leurs cadets. Guidés par la seule crainte d’une autonomie trop onéreuse, ils se voient mal avancer seuls dans la vie. Une fuite de responsabilités qui les pousse même à être des éternels célibataires, pendus aux basques et aux jupes de leurs daronnes. Le mariage ne leur traverse même pas l’esprit et pourtant, pour la plupart, ils collectionnent les conquêtes et enchaînent les aventures. Pour un moment en privé avec leurs petites amies, ils squattent les chambres des potes ou attendent que les frangins soient sortis.

«Mes frères avec qui je partage la chambre me demandent souvent de quitter la maison»

Comme Abdoulaye, Paul Sarr est un «Tanguy» qui assume totalement son statut. Il est son propre chef, puisqu’il a son propre business. Le bonhomme a monté une petite entreprise d’électronique qui marche pas mal, à Liberté 6. Toutes les fins du mois, après avoir déduit la masse salariale (il emploie deux techniciens), les charges de la boîte, il s’en sort avec pas moins de 400 000 FCfa par mois. Avec ce pactole, Paul aurait pu se payer un studio ou une chambre. Mais non, il a choisi de vivre chez ses parents. «Je suis l’aîné de ma famille, j’ai deux sœurs qui viennent après moi et deux petits frères. Les filles se sont mariées et ont rejoint leur domicile conjugal. Du coup, il n’y a plus que nous, les garçons. Nous partageons la même chambre. Cette situation ne me dérange nullement. Mes parents assurent la dépense quotidienne et de temps à autre, je leur donne un coup de main. Mes revenues me permettent surtout d’accroître ma société, à m’habiller et à me distraire. Quelquefois, cela peut devenir gênant, quand je reçois la visite de mes amis. Nous n’avons pas la quiétude de discuter tranquillement, mon père est tout le temps au salon et mes frères ne décollent pas de la chambre. N’empêche, je ne quitterai pas la maison pour rien au monde, comme le suggère, tout le temps, mes frères», détaille-t-il sans gêne. Pour lui, l’argument est tout trouvé, sous nos cieux, il n’y a aucune loi qui dit que les enfants doivent partir à un certain âge.

«Je vis avec mes parents et j’ai tout ce dont j’ai besoin à la maison»

Physique de sportif, teint noir, célibataire, Abdoulaye a sacrifié sa liberté pour le confort familial. Rester dans le cocon familial est, pour lui, un gage de sécurité. «Je ne suis pas prêt à quitter le domicile famille, car c’est aux côtés de papa et maman que je me sens en sécurité. En plus, j’ai tout le confort nécessaire, pourquoi aller chercher ailleurs», se demande-t-il. D’après le technicien en Télécom, ceux qui optent pour aller vivre ailleurs sont uniquement motivés par des questions de libertinage où ils fuient tout simplement les conflits familiaux. C’est justement le lot quotidien de Lamine Fall. A 41 ans, il préfère toujours se frotter aux humeurs grincheuses d’un pater à la retraite et à la possessivité d’une mère qui refuse de le voir sous les traits d’un adulte. Propriétaire d’une menuiserie métallique, Lamine se prend toujours la gueule avec ses parents. «Malgré nos disputes fréquentes, je ne suis pas prêt à sortir de la maison. Car, cela impliquerait : payer une location et des factures, assurer ma survie… Honnêtement, pour moi, ce serait dépenser inutilement, alors que je peux avoir tout cela chez mes parents», lâche-t-il naturellement, avant d’ajouter qu’il n’est pas certain que sa maman-poule apprécierait de le voir partir. Rien n’est moins sûr !

Moussa, père de famille : «Il n’est nullement dit qu’à un certain âge les enfants doivent partir…»

Taille moyenne, teint noir, la soixantaine révolue, lunettes bien vissés, les yeux fixés sur les pages de son quotidien préféré (L’Obs), vêtu d’un caftan blanc, le vieux Moussa Diop, trouvé à l’entrée de son domicile sis à la rue 57 à la Gueule Tapée, n’y va pas par quatre chemins. Fonctionnaire à la retraite, papa d’une fratrie de six enfants (quatre garçons et deux filles) le vieux Diop est un «papa-poule». Pour lui, la culture sénégalaise voudrait qu’on cultive le raffermissement des liens familiaux, que la famille soit réunie sous un seul toit. «Je ne veux pas m’éloigner de mes enfants. Pour le moment, certains d’entre eux ont les moyens d’aller vivre ailleurs, mais je m’en oppose. Notre tradition nous demande de conserver le cocon familial. Allez vivre ailleurs à l’âge adulte est purement occidental», note-t-il, acariâtre. «En plus, il n’est nullement dit qu’à un certain âge, les enfants doivent partir du domicile familial pour aller vivre ailleurs», recadre le vieux Moussa, très prolixe. Pour M. Diop, nous sommes dans une société où la culture et la tradition souhaiteraient qu’on épaule les enfants et les frères jusqu’à ce que la mort nous sépare. «Même si, financièrement, je ne peux plus les soutenir, mes enfants auront toujours besoin de mes conseils. Maintenant, s’ils quittent la maison familiale, avec leur travail, on risque de rester longtemps sans se voir. Donc, il faut qu’ils restent à mes côtés», tranche-t-il. «Et de mon vivant, je n’accepterai pas que ma famille se disperse», ajoute-t-il. Le vieux Moussa est un papa-poule, comme du reste, la mère de Lamine Fall.

Mohamed Sy, co-administrateur de site : «Ma culture m’enseigne que les aînés doivent épauler leurs frères»

La trentaine révolue, teint noir, taille moyenne, sandale aux pieds, moulé dans un T-shirt gris assorti d’un pantalon blouson de même couleur, Mohamed Sy revient d’une visite rendue à l’un de ses parents résident aux Maristes. Co-administrateur d’un site d’informations, le sieur Sy est un «Tanguy», aîné d’une grande famille aux Hlm Grand-Médine. Célibataire, Mohamed vit encore sous la tutelle de ses parents. «Je suis toujours sous l’emprise de mes parents et je ne vois pas d’inconvénients de rester chez papa et maman. Cela, même après le mariage.» Si certains choisissent la facilité pour justifier leur nature «Tanguy», pour M. Sy, la raison est d’ordre culturel. «Je suis l’aîné d’une famille et j’ai le devoir de soutenir mes petits frères», fait-il savoir. D’après lui, «il serait malhonnête de quitter le domicile familial au moment où les petits frères ont vraiment besoin de vous. Mon éducation et ma culture m’enseignent que les aînés doivent épauler leurs petits frères». Il a donc troqué sa liberté au prix des liens de sang.

EL HADJI FALLOU FAYE observateur