Leral.net - S'informer en temps réel

[Reportage] Atelier Penc 1.9 de Ngor : Un éclat de lumières pour penser l’humanité de demain

Rédigé par leral.net le Samedi 10 Juillet 2021 à 17:35 | | 0 commentaire(s)|

Les artistes et les intellectuels sénégalais tiennent leur repaire avec la belle demeure aux coloris très charmants, sise sur l’île de Ngor. Cette dernière doit son existence à la clairvoyance et à la générosité de son propriétaire, l’artiste plasticien Abdoulaye Diallo (Berger de l’île de Ngor). Plongée dans un sanctuaire de la culture et de […]

Les artistes et les intellectuels sénégalais tiennent leur repaire avec la belle demeure aux coloris très charmants, sise sur l’île de Ngor. Cette dernière doit son existence à la clairvoyance et à la générosité de son propriétaire, l’artiste plasticien Abdoulaye Diallo (Berger de l’île de Ngor). Plongée dans un sanctuaire de la culture et de la pensée.

 

Sur le continent, de la plage de Ngor qui séduit par sa tenue relativement propre, on aperçoit les façades des flamboyantes bâtisses de l’île éponyme. Une vue pittoresque qui suggère un fascinant exotisme, accentué par les faisceaux lumineux du soleil levant. Il est presque 9 heures du matin, le vendredi 2 juillet. Le batelet blanc et bleu qui assure la desserte se présente à l’embarcadère. La destination : le Penc 1.9, un atelier et laboratoire pluridisciplinaire du plasticien autodidacte Abdoulaye Diallo, alias le Berger de l’île de Ngor. «Kër Pa Diallo» (Chez le vieux Diallo) est le nom de code pour l’équipage.

Le timonier met le moteur en branle et engage le large. Il n’aura en vrai qu’à parcourir quelque 600 mètres, en moins de cinq minutes. Habillés de gilets de sauvetage, les voyageurs de la traversée constatent parfois, avec amertume, quelques emballages en plastique qui flottent sur l’océan et écorchent quelque peu la poésie des flots. Cette tristesse ne prend pas le temps de se prononcer. La beauté de la vue et les petites gouttes marines instillant le corps prennent le dessus de la concentration. Sur l’eau, le tableau insulaire se dessine déjà nettement. Des fresques se font distinguer, ainsi que la fierté de jolis bâtiments.

Au pied de la deuxième plage, une maison se cache telle une fille ingénue derrière les imposants dattiers de sa façade. Cette demeure semble de loin la plus anodine de ce cosmos, mais il en est pourtant la lumière. À la porte d’entrée, on voit un tissu blanc couvrir une forme de rectangle. C’est la plaque commémorative qui allait être dévoilée plus tard dans la journée, et sur laquelle il est inscrit : «Le Penc 1.9 / Atelier de lebergerdeliledengor a été inauguré par Son Excellence M. Stephan Röken, Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne au Sénégal.  Le 2 juillet 202». Le visiteur, une fois qu’il aura franchi le seuil, est accueilli par un festival de couleurs. Le carrelage se révèle, en soi, une mosaïque fort séduisante de tons bariolés.

La mer comme sentier du salut

À la droite du visiteur, une courette avec un jardin plutôt timide et un mobilier en fer. À sa gauche, à la grande terrasse du rez-de-chaussée, il est accueilli par le sourire de sagesse d’un Mandela très attendrissant. C’est à travers le grand tableau intitulé «Un Dur destin ou hommage à Nelson Rolihlahla Mandela», en 208 centimètres de hauteur et 340 centimètres de longueur. Une toile qui, par ailleurs, peut valablement servir de support en cours de sémiologie. Tout comme les composantes de toute l’œuvre du «Berger de l’île de Ngor». Toujours devant l’entrée principale des lieux, le visiteur se trouve face à une porte dogon en bois noir qui donne sur une salle d’exposition. Ici, l’on est frappé par la majesté des toiles qui décorent les cimaises.

«Afrique, Terre de la nouvelle humanité» (350 cm sur 220), «La Destruction / hommage aux victimes de Tombouctou» (145 cm sur 350), «Pas de captifs dans nos infinies profondeurs» (140 cm sur 270), «Les Demoiselles de Xurum Buki» (230 cm sur 157), «Quelle humanité pour demain ?» (245 cm sur 740 cm), entre autres. Le titre d’une des toiles de l’artiste, «Quelle humanité pour demain ?», et dont cette palette porte le propos, est maintenant la direction essentielle du travail d’Abdoulaye Diallo. Comme aime à le rappeler l’artiste-plasticien, il travaille exclusivement sur ce thème depuis quatre années. De plus, la dénomination Penc 1.9 est la transcription par le chiffre de ce thème. Dans la pièce attenante, plus petite, «Okhoo» et «Eukheu et Ou lou lou» font particulièrement sensation. Les pervers comme les puristes en ont pour leur bonheur.

Tout le rez-de-chaussée est baptisé «Espace Pr. Saliou Diongue». C’est à ce parrain qu’Abdoulaye Diallo doit son surnom «Le Berger de l’île de Ngor». Cet espace est étendu sur 600 mètres carrés de surface d’exposition, avec quatre chambres qui doivent servir de résidences d’artistes. En prenant les escaliers pour le premier étage, le visiteur admire les deux énormes toiles ornant les deux pans du patio. Les «Trois nécessités pour une émergence» (450 cm sur 272) toisent «Les Réapparitions» qui épouse les mêmes dimensions. Sur la seconde, on y voit le visage au regard lorgnant et poétique d’Abdoulaye Diallo, qui veille autant sur la femme bleue du tableau que sur le visiteur qui monte. Les sommets atteignent le pied du dernier étage.

Au Niveau 1, d’autres œuvres et plus de couleurs donnent mieux de la vie à l’adresse. C’est une aire dédiée aux échanges et réflexions censés être féconds. Il abritera également l’atelier d’Abdoulaye Diallo. On est toujours sur l’«Espace Pr. Saliou Diongue». «En vérité, je voulais baptiser toute la maison à son nom. C’était un homme formidable», s’émeut Abdoulaye Diallo, à propos du parrain décédé en mars dernier.

On compte dans cet étage plus de cinquante tableaux. Dans la première pièce, située au premier angle à la droite du visiteur et qui donne sur la mer, trône la prestance du défunt artiste pluridisciplinaire et éclectique Issa Samb Joe Ouakam. Ce dernier, sur le tableau «Les Robots mimétiques / Hommage à Joe Ouakam» (226 sur 226 cm), supplante un groupe de robots aux aspects humains. On y lit en inscriptions majuscules «Transfert de l’intelligence et de la conscience judiciaire dans les machines» et «Déclaration universelle des droits des robots, des hommes et des citoyens». Tout un propos.

Un havre d’arts et de couleurs

Un message de rédemption pour un monde qui délaisse de plus en plus l’humanisme et la connaissance à la faveur d’une logique de (sur)consommation sans pareil et prétentieusement sans génétique. Au Niveau 2, nous retrouvons la Bibliothèque Sembène Ousmane, en cours de travaux, qui devra recevoir 4.000 livres et une salle de réunion pour 12 personnes. L’espace est agrémenté d’une trentaine de toiles, dont celle dédiée au Pr. Seydi pour ses exploits techniques par rapport à la gestion de la Covid-19 et une collection sur des figures emblématiques dans la lutte pour l’indépendance du Sénégal. Il y a aussi notamment la toile «Quelle humanité pour demain ?» (245 cm sur 740) qui chope sa place d’honneur. Elles sont accrochées sur les murs de l’espace «Ëttu Kocc Barma». Cette surface ouverte sur le vide sera aussi l’atelier de l’artiste plasticien.

Cette espace de Lumières, qui est tout aussi bariolé que les autres étages, se veut non seulement un magasin du savoir mais aussi un antre de solutions. Et ce n’est pas fortuit qu’on puisse y admirer le lyrisme de l’île, de l’océan et du village de Ngor sur le continent. On y reçoit moins nerveusement les clameurs des estivants qui nous parviennent avec en musique de fond les gazouillis d’oiseaux obstinés, les bruissements des feuilles des dattiers et les coups lointains de ressacs.

On s’y trouve également au niveau du faîte de ces arbres qui voilent à peine la décrépitude du village de Ngor qui va courageusement à vau-l’eau. Derrière lui, de beaux immeubles du Ngor chic les toisent. Les deux tableaux inspirent un paradoxe cyniquement charmant. Mais la salle de prière est là pour prier Dieu de sauver les infortunés, protéger les hommes et sa nature. Cette aire, qu’Abdoulaye Diallo évite soigneusement d’appeler mosquée, est distincte de trente figures rectangulaires pour former des tapis de prières. Elles sont faites de bribes de carreaux étincelantes, sauf pour la place de l’imam qui a une dominante couleur sombre. Ce sera aussi un lieu de discussions spirituelles. Hormis l’espace prières, le propriétaire des lieux avertit, un brin mâtiné : «Cette maison reste un antre d’artiste. Donc un lieu d’art, une œuvre d’art. Les plans peuvent changer à tout moment».

…………………………………..

Penc 1.9, une espace pour discuter des inquiétudes sociales

Penc, mot wolof, signifie assemblée. Si on pousse la signification, cela pourrait vouloir rapporter à l’espace de diffusions intellectuelles, pour discuter des inquiétudes sociales. Concernant les chiffres, ils sont la transcription de «Quelle humanité pour demain ?». Le 1 renvoie à l’unité de création, Dieu. Le 9, lui, est la marque de l’accomplissement final et de l’universel. Il permet d’ouvrir les horizons et d’élever les consciences. Il peut, par ailleurs, représenter l’amour, l’idéalisme et le sens de l’intégrité. Ainsi donc, Abdoulaye Diallo, «Berger de l’île de Ngor», «berger» de la pensée et pour la destination d’un monde mieux vivable, cherche à nous mener à une meilleure humanité.

Mamadou Oumar KAMARA



Source : http://lesoleil.sn/reportage-atelier-penc-1-9-de-n...