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[Reportage] Maison Ousmane Sow: Temple majestueux du maître de la sculpture

Rédigé par leral.net le Dimanche 15 Août 2021 à 20:00 | | 0 commentaire(s)|

C’est dans une rue dédaléenne de la Cité Biagui (Yoff, Dakar) qu’est niché Le Sphinx. C’est le nom de la jolie et atypique demeure du sculpteur sénégalais et premier académicien noir des Beaux-arts, Ousmane Sow, jusqu’à son décès en 2016. Aujourd’hui, c’est un musée où on peut admirer ses œuvres majestueuses qui accentuent le temps […]

C’est dans une rue dédaléenne de la Cité Biagui (Yoff, Dakar) qu’est niché Le Sphinx. C’est le nom de la jolie et atypique demeure du sculpteur sénégalais et premier académicien noir des Beaux-arts, Ousmane Sow, jusqu’à son décès en 2016. Aujourd’hui, c’est un musée où on peut admirer ses œuvres majestueuses qui accentuent le temps et l’histoire.
Par Mamadou Oumar KAMARA (Texte) & Assane Sow (Photos)
Le bâtiment couleur terre crée le premier effet d’envoûtement. D’une architecture peu commune, le visiteur remarque immédiatement l’originalité artistique. Ousmane Sow avait imaginé et fait lui-même le plan de cette maison, en mimant la caricature du Sphinx de Gizeh. Par quelque alchimie, le sculpteur a réussi à transférer, aussi bien dans la bâtisse que dans les œuvres, les caractères de puissance, de majesté et d’intelligence qu’indique le mariage du lion et de l’homme.
Les premières sculptures se découvrent dans la «Salle Boris Dolto», au niveau zéro. Des Noubas charment le visiteur, nus et splendides. «Les Lutteurs noubas aux bracelets tranchants» s’accrochent tout en vigueur. Tandis que dans la «Salle Moustapha Dimé», «Scène de mariage» représentant une femme courtisane et un combattant nouba à la merci offre de la romance. La statue est de la même taille que son créateur (1m 90) et renvoie presque la même envergure du symbole. Les deux œuvres, entre d’autres de leur acabit, résument l’esprit de cette série phare et emblématique de Ousmane Sow. C’est sa toute première, qu’il a signée en 1984.
L’artiste était fasciné par ce peuple du Sud Soudan qui vit dévêtu et considère les combats de lutte comme un moyen d’élévation spirituelle. À la fin de ces joutes, les femmes viennent choisir dans l’arène les hommes qu’elles aiment et désirent. Une plaque explicative signifie que les femmes noubas pratiquent le tatouage et la scarification à caractère religieux, ethnique ou esthétique. Les hommes pouvaient aussi être joliment fardés, tel que le «Lutteur debout». Ce robuste Nouba est pareillement singulier par son fin collier traditionnel et sa boucle d’oreille. L’on est figé par les détails anatomiques, jusqu’aux phallus gros et pendants qui singularisent ces anciens Nubiens.

Beautés sauvages et conquérantes

«Ce qui m’intéresse chez ces lutteurs noubas, c’est que ce sont des gens qui prennent soin de leurs corps et qui, à un instant de leur vie, courent le risque de se faire défigurer», s’enthousiasmait Ousmane Sow, en motivant ce travail mémoire et d’art. La «Salle Moustapha Dimé», qui surplombe la cour et ancien atelier du sculpteur, recevait la bibliothèque de Ousmane Sow. Contre son mur, un menu passage donne sur des escaliers qui menaient à la chambre à coucher juste en-dessus, et d’un niveau plus haut à la salle de prières ou de méditation. «Il sacralisait cette pièce. C’était un homme pieux qui accordait une attention toute particulière à la prière et à la méditation», raconte Moussa Sène, homme de confiance du défunt maître des lieux et conservateur de la maison.
À la «Salle Iba Mbaye», espace contigu, deux œuvres sculptées dialoguent entre deux âges. «Le Sage», assis et mis dans une tunique presqu’aussi longue que ses membres, est une préfiguration de la série «Égyptiens» qui n’a malheureusement pas abouti. Cette pièce rend hommage au conseiller du pharaon. L’autre pièce se nomme «L’Homme libre», et est d’une plus croustillante anecdote (encadré). Au deuxième étage, un premier espace met en spectacle trois pièces de la série «Masaï». Il y a notamment «Le Buveur de sang et le buffle». On voit un Masaï dominant qui immobilise un buffle par les cornes et extrait du sang de son cou avec une petite bouteille. Ce sang mélangé à du lait offrirait une certaine force chez ce peuple.
Attenante, la «Salle Moctar Sow» abrite la série «Merci». Ce sont de gigantesques sculptures (+2 mètres), pour rendre justement hommage à des hommes qui ont marqué l’humanité et la vie de l’artiste. Il y a naturellement son père, Moctar, parrain de l’espace, l’homme qu’il respectait le plus au monde. Il y a aussi Nelson Mandela, sculpté dans la tenue d’un gardien de but de l’équipe Caap. L’étiquette indique que le sigle veut dire «Club africain des anti pourris», pour se démarquer des dirigeants antidémocrates et pilleurs des ressources de leurs peuples. D’un revers de sa main gantée, l’ex-Président sud-africain écarte la racaille.

Temple de la majesté et de la mémoire

Derrière cette particulière statue de Madiba, le Général de Gaulle, jumelles à la main, se présente dans sa tenue altière. Sous le képi, les traits évidents de son visage offrent une troublante ressemblance à l’homme de la Cinquième République. Jacques Foccart en aurait eu un sourire tout amoureux. À côté de celle de Toussaint Louverture tenant la Constitution haïtienne dont il est le père, trône la sculpture de «L’Homme et l’enfant». Elle parodie un juste, du nom de ceux-là qui sauvaient les juifs durant la Shoah. C’est pourquoi l’homme a le visage caché par sa capuche, tandis qu’on n’aperçoit que les pieds de l’enfant sous son manteau. La sculpture de Victor Hugo, que Ousmane Sow présentait comme son ami, et celle de son «Gavroche» suivent.
Toujours au niveau 1, la «Salle Gérard Senac» abrite les effets personnels de l’artiste. C’était sa chambre à coucher. La grosse tête du «Paysan» avec son chapeau de paille se trouve face-à-face avec le visiteur. C’est une œuvre qui date de 2014. Son corps intégral de 5 à 6 mètres devait être réalisé en bronze et était destiné à l’Etat du Sénégal et son chef, Macky Sall. «La commande est tout de même passée à la Fonderie Coubertin (qui travaille les œuvres de Ousmane Sow). Elle doit la terminer d’ici quelques temps», précise Moussa Sène. Derrière le méga crâne, un vélo jaune se distingue. C’est une bécane restaurée qui porte le nom du cycliste Fausto Coppi. Avec la boxe, le cyclisme était une grande passion pour le sculpteur.
Il y a par ailleurs beaucoup de photographies, parmi lesquelles celles retraçant le process de réalisation de la «Bataille de Little Big horn». Cette série d’œuvres gigantesques qui a fait sensation dans le monde est la seule dont aucune des 35 pièces ne se trouve dans la maison. Elle est présentement en exposition en France, pour dix ans, dans les anciennes écuries de la Citadelle de Mont-Dauphin. Une vitrine encadre le travail publié de Béatrice Soule, veuve de l’artiste, sur son défunt époux. Une autre accepte ses papiers d’identité, autres titres de séjours et des lettres épistolaires.

La manipulation providentielle

Des photos le montrent aussi dans l’intimité familiale, tandis que d’autres font revivre son installation à l’Académie des Beaux-arts de Paris. On aperçoit son épée d’académicien, dont une réplique est exposée dans la salle, avec le symbole du «Saut dans le vide» qu’il a lui-même créé. «Saut dans le vide pour illustrer la période d’incertitude entre le moment où il abandonnait sa profession de kinésithérapeute et ses tribulations d’artiste», explique le conservateur. Il est toutefois remarquable qu’il n’a rien perdu de ses talents de kiné, à l’examen de sa dextérité, de sa concision et de la rigueur dans la couture de l’anatomie dans ses œuvres. Les mains de Ousmane Sow sont demeurées un pétrin providentiel.
Un don qui fait que les statues semblent avoir un souffle dans leur géante stature, même dans leur menue version. C’est le cas des répliques de la série Nouba exposées à la «Salle Ndary Lô», au dernier étage, dans la tête du Sphinx. La «Salle Julien Jouga», jadis la salle de prière, reçoit quatre pièces de la série «Peulh». La toute dernière pièce, dédiée à sa maman Nafissatou Ndiaye, est située au tronc du Sphinx. Elle admet les «Petits Noubas» inachevés. Pour la majorité, Ousmane Sow n’avait simplement pas voulu les terminer, selon Moussa Sène. Ce n’était certainement pas le cas pour le visage de «L’Empereur fou».
Avec des ficelles de marionnettes qui lui pendent du cou pour réaliser des effets faciaux, cette tronche devait faire l’objet d’un film d’animation. C’est un projet qui passionnait Ousmane Sow et sur lequel il travaillait, aux derniers moments de sa vie. Seulement, nous n’en saurons pas plus. Il a emporté avec lui, quand il décédait en 2016 à l’âge de de 81 ans, le scénario et l’âme de ce dernier mot d’un maître sculpteur.

 

Il aurait dû être à la place du Monument de la Renaissance
C’est toujours un homme, sa femme et leur bébé. Mais pour «L’Homme libre», il s’agit d’un esclave qui quitte Louisiane (États-Unis) par un tunnel après l’abolition de l’esclavage. Avec sa petite famille, ils viennent retrouver la liberté, la dignité et la sérénité sur la terre-mère. Précisément sur ce qui était la colline nue des… Mamelles. Ils devaient tous trois émerger de ce volcan éteint pour marquer la renaissance. Le Monument de la Renaissance africaine trône aujourd’hui sur cette colline. Ousmane Sow avait accusé de plagiat Abdoulaye Wade, à qui il avait présenté le projet, et son architecte-conseil. «Sa sculpture devait être travaillée sur 32 mètres, en bronze. Ousmane Sow avait eu l’idée. Moi, je sais juste qu’il s’était embrouillé par la suite avec Abdoulaye Wade», confie son homme de main, Moussa Sène.

La Covid-19 nargue l’affluence et les chiffres
L’entrée pour la visite de la Maison Ousmane Sow est payante. Pour les non-résidents, il faudra débourser 5 000 FCfa (adulte) ou 2 500 FCfa (enfant). Chez les résidents sénégalais, l’adulte doit payer 2 500 FCfa et l’enfant 1 000 FCfa. Ça reste gratuit pour les mômes de moins de cinq ans. Les visites par groupe sont négociables. Moussa Sène indique que les fonds sont reversés dans les caisses de l’Association Ousmane Sow. L’entité est tenue par le fils et la fille de Ousmane Sow, Gérard Senac et l’avocat et critique Sylvain Sankalé. Le conservateur ajoute que la pandémie a édulcoré l’affluence. Il dit qu’il pouvait recevoir entre une vingtaine et une cinquantaine de visiteurs par jour. «Là, nous n’avons encore que ces deux», grommelle M. Sène, en indexant un couple mixte, quand il était 13h moins quelques minutes. Le musée est fermé le lundi et les jours fériés. Il accueille de 9h à 12h30 le matin, et le soir de 15h à 18h.



Source : http://lesoleil.sn/reportage-maison-ousmane-sow-te...