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Révision constitutionnelle : "La grosse erreur à éviter, soumettre le projet entier au seul vote du référendum" - Par Adama Ndao

Il convient de rappeler qu’en vertu de l’Article 51 alinéas 1 et 2 de la Constitution sénégalaise, le Président de la République, sur proposition du Premier Ministre ou à son initiative personnelle “peut [..] soumettre tout projet de loi.. au référendum”. L’Article 103 alinéa 4 confirme ce principe en disposant qu’un projet de réforme constitutionnelle “…n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement..”. Donc ici il est affirmé la possibilité de choix pour le Président entre la voie référendaire et celle parlementaire. En d’autres termes toute révision de la Constitution quelle qu’elle soit, peut, en principe, être soumise ou soit au référendum soit au Parlement.


Rédigé par leral.net le Mercredi 27 Janvier 2016 à 18:00 | | 0 commentaire(s)|

La Constitution apporte une exception à ce principe en son article 27 concernant le mandat Présidentiel. En effet l’Article 27 dit: “La durée du mandat du Président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire”. Donc le seul cas de révision constitutionnelle pour lequel le Constituant exige de n’emprunter que la voie référendaire concerne la durée d’un mandat Présidentiel et le nombre de fois un Président peut être réélu.

Par conséquent tout projet de révision constitutionnelle concernant des matières autres que celle contenue à l’Article 27 de la Constitution peut, au choix du Président de la République, être soumis ou au vote du parlement ou au vote du référendum.

Souvenons-nous que la voie référendaire est une voie exceptionnelle par nature et en tant que telle on ne doit y recourir qu’exceptionnellement.
Dans une démocratie moderne comme la nôtre, Le Peuple Souverain, par ses 13 à 14 millions d’âmes et du fait de l’impossibilité matérielle de diriger toutes ensembles le pays ou de se réunir pour discuter et régler les choses de la République, a convenu de choisir parmi ses filles et fils un gestionnaire suprême (un Président de la République), et des délégués (des parlementaires) venant de différents coins du territoire, des hommes et des femmes de haute probité, au sens de l’honneur et de l’intégrité, qui comprennent suffisamment les choses de la République, pour agir totalement au nom de ce Peuple Souverain, en édictant des règles sur lesquelles s’appuient le gestionnaire suprême et son équipe pour accomplir leur mission de gestion de la Chose Publique.

Mais il arrive qu’exceptionnellement le gestionnaire et les délégués soient confrontés à une situation sans issue concernant une direction, une décision à prendre sur une question particulière mais fondamentale, qui requiert que le Peuple Souverain soit invité à agir directement en lieu et place du gestionnaire suprême et des délégués pour, ponctuellement prendre le gouvernail et indiquer une direction, en répondant par un oui ou par un non à une simple et unique question du gestionnaire ou des délégués: “Peut-on oui ou non prendre telle direction?” pour ainsi dire.

A l’opposé du Parlement ou les délégués, les parlementaires font d’abord recevoir le projet de réforme par une commission spécialisée qui le prépare pour discussions et amendements par les parlementaires avant un vote final qui requiert une majorité définie pour son passage comme loi, au Référendum, le Peuple Souverain ne peut ni discuter ni amender un projet de réforme, et son vote oui majoritaire crée immédiatement une loi qui ne peut en plus même pas être soumise à quelque contrôle de constitutionnalité que ce soit avant sa promulgation.

C’est pourquoi, il ne doit, à notre avis, être présenté à un Référendum qu’une seule et unique question concernant une affaire singulière, un projet dont les termes ne souffrent d’aucune ambivalence ou équivocité, une question à laquelle il peut aisément être répondu par un oui ou par un non sans aucunement devoir considérer un oui-mais ou un non-mais.
Donc, sauf cas exceptionnels imposés par la singularité des circonstances ou par l’exigence expresse de la loi comme c’est le cas dans l’article 27 de la Constitution concernant le mandat Présidentiel, lorsque le choix de la voie parlementaire est possible pour édicter les lois de la République, elle doit toujours être privilégiée au profit de la voie référendaire, surtout pour un projet de réforme constitutionnelle dont les termes pourraient souffrir d’une discutabilité quelconque.
Car, lorsqu’un projet souffre de quelque discutabilité que ce soit, son passage au Parlement, plus souvent, permet de l’affiner pour en produire une législation décente, résultat de discussions, concertations et amendements. Ce qui est impossible dans la procédure référendaire.

Il faut rappeler que les lois référendaires, qu’elles portent sur une révision constitutionnelle ou sur une autre matière, tout comme les lois constitutionnelles, qu’elles soient votées par le Parlement ou par un référendum, ne sont aucunement soumises au contrôle de constitutionnalité.

Ce qui veut dire que la loi qui pourrait résulter du projet de réforme constitutionnelle proposé au Peuple sénégalais s’appliquera immédiatement et définitivement dès qu’elle sera votée par le référendum, et même si elle n’a pas passé le teste de conventionnalité administré au niveau national par le Conseil Constitutionnel.

En d’autres termes cette loi s’appliquerait même si le Conseil constitutionnel détermine que certaines de ses dispositions ne sont pas conformes à une Convention Internationale. Il demeure toutefois possible que l’applicabilité de ces dispositions dans la situation ci-dessus soit neutralisée si cette applicabilité venait à être soulevée devant la Cour de Justice de la CEDEAO.

A notre avis, quelque ambitieux qu’il soit, le projet de réforme constitutionnelle, à l’exception d’un nombre limité de dispositions, telles que celles relatives à la réduction du mandat présidentiel de sept ans à cinq ans à compter du mandat en cours, souffre énormément de discutabilités et d’ambiguïtés
C’est pourquoi, le seul point qu’il sied, à notre avis, de soumettre au vote référendaire est celui du mandat Présidentiel contenu à l’Article 27. Tout d’abord parce que la Constitution exige la voie référendaire pour ce qui concerne le mandat Présidentiel, mais ensuite la question qu’il pose est simple, claire, comprise de tous, et ne souffre d’aucune discutabilité, et elle est véritablement, la seule question attendue par le Peuple Souverain; et ce, depuis Mars 2012.

Par contre tout le reste du projet de réforme devrait être soumis au vote du Parlement, dès que le Conseil Constitutionnel le retransmet au Président, car il comporte beaucoup d’ambiguïtés et de discutabilités, que seul le Parlement que nous avons élu pour cela peut résoudre.

Et voici pourquoi:
1. Le projet propose d’ajouter les dispositions suivantes à l’Article 4: “[…]. Les partis politiques […] sont également tenus de respecter strictement les règles de bonne gouvernance associative sous peine de sanctions susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution.“ A notre avis les termes “susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution” devraient être supprimés, car un texte Constitutionnel ne devrait pas entrer dans les détails de la sanction d’une organisation de nature associative telle qu’un parti politique. Le texte pourrait simplement dire “...sous peine de sanctions déterminées par la loi...” et laisser le détail à la prochaine législation sur les partis politiques et d’autres lois en vigueur, car il se pourrait bien que cette loi future entende introduire par exemple l’amende ou d’autres types de restrictions.

2. Aussi, concernant les nouveaux droits des citoyens, les dispositions de l’Article 25-1 sur les “ressources naturelles et le patrimoine foncier” doivent être précisées, de même que l’Article 25-2 sur “Le droit à un environnement sain”. Le droit à un environnement sain figure déjà sur la longue liste de droits individuels de l’Article 8 de la Constitution. Mais il n’est fait aucune référence à cet Article 8 dans le texte propose.

Au surplus, l’Article 25-2 propose que les pouvoirs publics aient l’obligation “…d’assurer la protection des populations dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets et programmes dont les impacts sociaux et environnementaux sont significatifs ». Cet Article devrait être amendé pour supprimer les mots :” dont les impacts sociaux et environnementaux sont significatifs”, car la protection des populations doit être prise en compte même pour des projets dont les impacts sociaux et environnementaux ne sont pas (ou pourraient ne pas être) significatifs de prime abord.

3. Les dispositions des alinéas 2, 3, et 4 l’Article 26 relatives au Vice-Président dont le projet appelle à la suppression sont déjà supprimées par la Loi constitutionnelle du 28 Septembre 2012.

4. L’Article 28 du projet propose que “Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans au plus le jour du scrutin”.

a. Ce texte fait peser des critères non pas sur le Président en exercice mais plutôt sur le candidat. Or le statut de candidat prend fin au lendemain du scrutin, ce qui ouvre la possibilité d’un Président en exercice qui acquiert la double nationalité, pour peu que sa demande éventuelle de naturalisation à un autre pays se conclut positivement après son élection. Il est donc nécessaire de réviser ce texte notamment en ce qui concerne la nationalité pour indiquer spécifiquement que nul ne peut exercer les fonctions de Président s’il n’est pas de nationalité exclusivement sénégalaise.

b. Pour ce qui est du critère de limitation d’âge, il peut être problématique. Car, s’il est populaire et de défense plus facile l’argument que, en exigeant l’âge minimum de 35 ans (soit 17 ans après l’âge de majorité civile et politique), le Constituant entend faire élire un Président présumé responsable , mûr et expérimenté, au lieu d’un Président de 18 ans, il peut par contre être difficile de soutenir l’argument qu’un Président de 75 ans est forcément inapte à diriger le pays.

c. Par ailleurs, si la limite d’âge s’impose au Président de la République, il doit alors s’imposer à tout Président et Vice-Président de l’Assemblée nationale, car ils sont en position de pouvoir prêter serment à tout moment pour remplacer le Président de la République en cas de vacance de son poste, ce en vertu de l’Article 39 de la Constitution. L’Article 39 dispose en effet qu’« En cas de démission, d'empêchement ou de décès, le Président de la République est suppléé par le Président de l'Assemblée nationale. Au cas où celui-ci serait lui-même dans l'un des cas ci-dessus, la suppléance est assurée par l'un des vice-présidents de l'Assemblée nationale dans l'ordre de préséance”.

d. Autre observation, à supposer qu’un candidat ne doive atteindre son 75ème anniversaire qu’au lendemain du scrutin. Il a alors toutes les chances d’être élu mais que pour des raisons variées le scrutin doive être reporté et il se trouve ainsi disqualifié. De même un Président peut être élu à 70 ans, se trouve être, à l’issue de son premier mandat de cinq ans, le meilleur Président de tous les temps, dont le peuple, le pays a besoin et le réclame pour un second mandat, mais qui ne peut se présenter parce qu’on lui oppose la limite d’âge, alors qu’il est, aussi bien physiquement que mentalement en très bonne santé et en pleine aptitude à remplir ses fonctions.

e. Finalement, il faut savoir que pour la Cour de Justice de la CEDEAO les seules déchéances “au droit de libre participation aux élections” acceptables sont les déchéances attachées à une condamnation pénale (Arrêt de la Cour de Justice de la Communauté de la CEDEAO [CJCC] du 13 Juillet 2015). Il faut peut-être, à notre avis, laisser le choix de la non élection d’un candidat à l’électorat.

5. L’Article 59 du projet dit laconiquement que “Les Sénégalais de l’extérieur élisent des députés”, sans toutefois préciser si ces députés sont choisis dans la diaspora ou s’ils sont choisis au Sénégal (comme c’était le cas en 2012 sur la liste nationale) pour ensuite “être dédiés” à la diaspora. Le projet n’est pas clair à ce sujet.

6. a. Le projet compte ajouter à l’Article 78 que “Les lois…organiques sont votées à la majorité absolue..”. Nous pensons que c’est la majorité des 3/5 qui devrait être exigée pour voter une loi organique. Car, rappelons-le, les lois organiques sont les lois qui régissent l’organisation, le rôle, et l’interaction des trois piliers de l’Etat à savoir les Pouvoirs Publics du Législatif, du Judiciaire et de l’Exécutif. Les lois organiques sont d’autant plus importantes qu’elles viennent en second rang juste après la Charte fondamentale qu’est la Constitution du pays. Il ne devrait dès lors être ouvert la possibilité, dans le futur, qu’une majorité partisane de cette Chambre Unique qu’est l’Assemblée Nationale, puisse trop facilement manipuler les piliers fondamentaux de la République.

b. Il va également être ajouté à l’Article 78 qu’ ”avant leur promulgation les lois organiques sont soumises au contrôle de Constitutionnalité, à la demande du Président” de la République. Le texte qui est proposé ne réserve cette initiative qu’au seul Président de la République pour les lois organiques, alors que l’Article 74 de la Constitution attribue l’initiative de la demande de contrôle de constitutionnalité par voie d’action (avant la promulgation) de toute loi, organique ou pas, concurremment au Président de la République et au Parlement (1/10 du nombre de députés à l’Assemblée exigé pour cela). Donc, pensons-nous, cette prérogative doit rester étendue au Parlement, même si la réforme propose par ailleurs que toutes les lois organiques soient systématiquement soumises au contrôle préalable de constitutionnalité avant leur promulgation.

7. a. A l’Article 92 de la Constitution, le projet de réforme entend ajouter une compétence consultative qui rendra obligatoires certains avis du Conseil Constitutionnel. Le projet dit en effet que « Le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République pour avis”. Mais il faut rappeler que l’Article 92 énumère les compétences juridictionnelles du Conseil constitutionnel, compétences sur la base desquelles le Conseil rend des décisions juridictionnelles, c’est-à-dire des décisions qui sont définitives et obligatoires à tous. Puis, l’Article 51 de la Constitution a déjà décrit la compétence consultative du Conseil, compétence sur la base de laquelle il émet un avis qui n’est nullement obligatoire.

b. Une nouvelle compétence consultative du Conseil ne devrait donc pas être forcée à l’Article 92 alors que l’Article 51 l’édicte suffisamment et clairement; surtout lorsque l’on a conscience que l’Article 92 est très intransigeant surtout en ce qui concerne l’autorité des décisions du Conseil dans les matières qu’il énumère. En effet, l’article 92 affirme que “Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles”

9. Le projet propose que l’Article 89 soit modifié pour permettre d’augmenter le nombre de membres du Conseil Constitutionnel de cinq à sept dont deux choisis par le Président de l’Assemblée nationale. Nous sommes d’avis que comme regrettablement le Conseil constitutionnel, qui a perdu la confiance de beaucoup, ne va pas être transformé en une Cour Constitutionnelle ou une Chambre Constitutionnelle rattachée à la Cour Suprême, avec des magistrats professionnels, le nombre de sept conseillers nous semble bon mais deux des cinq nommés par le Président de la République devraient est réservés à la désignation par les ordres des professionnels rattachés à la Justice et deux autres choisis par le Bureau de l’Assemblée.

Adama Ndao, Juriste
Washington
luwaabi@gmail.com