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Rien à faire au Yémen - Par Yoro Dia

Monsieur le Président, ne nous embarquez pas dans ce radeau de la Méduse des arabes. En intervenant au Yémen, on devient une cible légitime pour tous les groupes terroristes qui ont déclaré la guerre de l’Arabie Saoudite


Rédigé par leral.net le Mercredi 6 Mai 2015 à 09:32 | | 0 commentaire(s)|

Yoro Dia, journaliste et politologue
Yoro Dia, journaliste et politologue
Le Président de la République a décidé d’engager 2100 soldats sénégalais pour une guerre qui n’est pas la nôtre et qui ne mérite donc pas qu’on sacrifie la vie d’aucun de nos soldats. Comme nous voulons entrer dans la grande alliance dirigée par l’Arabie Saoudite, le principal argument qui devrait nous dissuader de nous embarquer dans le radeau de la méduse arabe est cette vielle sagesse arabe qui dit : «En termes d’alliances, c’est mon frère et moi contre mon cousin. Mais ce sera mon frère, mon cousin et moi contre le voisin, mais ce sera mon frère, mon cousin, le voisin et moi contre l’étranger.»

Cette sagesse arabe montre qu’il y a un sérieux problème de cohérence dans notre politique extérieure. Quand il s’est agi d’intervenir au Mali, le Sénégal qui a été l’un des derniers pays à arriver à Bamako alors que le Mali est un pays frère, va se vanter d’être le premier pays non arabe à arriver à Ryad pour soutenir l’Arabie Saoudite. On ne nous entend pas sur Boko Haram, alors que le Nigeria est un voisin dans l’espace CEDAO ni sur le massacre de Garrissa, mais on va aller faire de la gesticulation au Yémen.

Il n’est pas cohérent de négliger le frère malien, d’ignorer le cousin et voisin nigérian pour voler au secours de l’étranger saoudien pour des pétrodollars. Notre grande armée mérite mieux que d’être réduite en une légion étrangère de mercenaires pour les Saoudiens.

Pendant longtemps la politique extérieure du Sénégal s’est résumée à «comment mieux plaire à la France que tout le monde ?», aujourd’hui apparemment c’est «comment mieux plaire à l’Arabie Saoudite que tout le monde ?»

Notre empressement pour aller faire allégeance à Ryad est fort suspect. Apprenons à définir la géographie de notre intérêt national. En voulant embarquer le Sénégal dans sa croisade, l’Arabie Saoudite défend son intérêt national en montrant que la croisade contre le Yémen n’est pas seulement arabe mais elle est internationale et nous réduit ainsi à un rôle de figurant dans jeu d’échecs qui oppose en réalité l’Arabie Saoudite à l’Iran et dont le Yémen est le dernier terrain d’affrontement.

En tout cas le Pakistan qui n’est pas moins musulman que le Sénégal a refusé que son armée soit un pion dans ce jeu d’échecs persano-arabe parce que le Parlement pakistanais a apposé son veto en estimant que l’armée du Pakistan n’avait pas vocation à se substituer à celle de l’Arabie Saoudite.

Au-delà du conflit virtuel entre chiites et sunnites, il y a un conflit réel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour le leadership au Moyen Orient. L’Arabie Saoudite et l’Iran se mènent une véritable «guerre froide» au Moyen Orient pour le leadership régional.

«Paix impossible, guerre improbable», disait Raymond Aaron pour qualifier la guerre froide. La même qualification est valable pour la guerre qui oppose l’Arabie Saoudite à l’Iran. Pendant la guerre froide, les Etats Unis et l’URSS se sont fait la guerre par pays interposés parce que la «guerre était impossible et la paix improbable». L’Iran et l’Arabie Saoudite aussi se font la guerre par pays interposés en Syrie, en Irak et récemment au Yémen le dernier terrain d’affrontement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite en attendant bientôt le Liban où l’Arabie Saoudite rééquipe, grâce à la France, l’armée libanaise très sous équipée face à un Hezbollah surarmé.

L’Iran a sauvé le régime de Bachar Al Assad en demandant à ses supplétifs du Hezbollah de voler au secours de Damas. L’Iran a aussi pris pied en Irak grâce à la cécité stratégique des Américains, qui sont venus dans cet «orient compliqué» avec des idées assez simplistes. Ce qui fait que l’Iran est le principal vainqueur de la 2e guerre d’Irak grâce à George Bush. L’Iran a gagné la deuxième guerre d’Irak sans tirer un coup de feu. Un pouvoir chiite à Bagdad a toujours été le rêve du régime des ayatollahs. Bush l’a réalisé. L’Iran a voulu avancer un autre pion en aidant les rebelles houttistes à prendre le pouvoir au Yémen. Pour les Saoudiens, un axe chiite Damas-Bagdad-Sana est une menace directe pour leur sécurité nationale et leurs intérêts stratégiques. D’où cette réaction musclée.

Ce qui se passe au Yémen est un jeu d’échecs qui oppose l’Iran et l’Arabie Saoudite. Refusons que notre pays ne soit un simple figurant et notre armée un pion dans ce jeu qui oppose l’Iran et l’Arabie Saoudite. Refusons que notre armée serve de chair à canons pour les Arabes car comme vous l’aurez constaté tous les pays arabes qui soutiennent l’Arabie Saoudite ont refusé d’engager des troupes au sol.

Monsieur le Président, ne nous embarquez pas dans ce radeau de la Méduse des arabes avec le probable retour de flammes pour notre sécurité intérieure. En intervenant au Yémen, on devient de fait une cible légitime pour tous les groupes terroristes qui ont déclaré la guerre de l’Arabie Saoudite. Monsieur le Président pensez d’abord à la sécurité des Sénégalais avant celle des Saoudiens car comme disent les wolofs «sama bopp mala gueuneul dou bagnenala».