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Robert Lahoud, musicien et producteur : «mon amour de la musique variété…»

Rédigé par leral.net le Dimanche 31 Octobre 2021 à 17:00 | | 0 commentaire(s)|

 « J’ai une anecdote à ce sujet », une rengaine chez Robert Lahoud. Son propos est comme les œuvres de Carl Barks ou Hergé. Le dialogue convivial permet de cerner le personnage et son pedigree consistant, tandis que les images référentielles offrent un relief peu commun. Le musicien polyvalent, producteur, ingénieur de son, preneur de son, […]

 « J’ai une anecdote à ce sujet », une rengaine chez Robert Lahoud. Son propos est comme les œuvres de Carl Barks ou Hergé. Le dialogue convivial permet de cerner le personnage et son pedigree consistant, tandis que les images référentielles offrent un relief peu commun. Le musicien polyvalent, producteur, ingénieur de son, preneur de son, jadis mercato et aujourd’hui luthier en sait beaucoup. À 65 ans, âge qu’il a fêté samedi 25 septembre dernier, il garde une pétulance et un humour ravissants. Le « Grand Robert » a du vécu et s’affirme comme un mémoire certain de la musique sénégalais dont il est un des artisans de sa modernité. Il nous sert ici un bout de cette vie, et de ses convictions.

 

Par Mamadou Oumar KAMARA

 

Beaucoup de cordons à sa … guitare

« Je suis né d’un papa technicien de l’Armée française qui réparait aussi des radios et des montres. Le bricolage, je suis né dedans. À un moment donné, il y avait la passion de la musique et je devais choisir une formation. J’ai opté pour l’électronique car je pensais que ça allait me servir dans la musique. Ce sera le cas. La plupart de mes albums, je fais le mixage, je suis l’ingénieur du son, je fais les prises de son, etc. J’ai câblé presque tous les premiers studios de El Hadj Ndiaye et de Youssou Ndour. Le premier et unique studio de Ismael Lô aussi, « Rak Tak Studio ». C’est un clin d’œil à mon argot car chaque fois qu’il demande quelque chose je lui dis « On fait ça rak tak » (vite fait). Je devais aussi souvent réparer une guitare et j’allais jusqu’en France. On m’y facturait des sommes énormes et je n’étais pas tout le temps satisfait. Je suis donc devenu luthier. Je fais de la lutherie depuis maintenant 30 ans. Je viens de réaliser une kora électrique sans calebasse. Je travaille sur ces concepts. Je vois ma retraite en faisant des instruments de musique. Je souhaite que la tendance s’inverse, que ce soit les autres qui viennent chercher les instruments ici. Regardez cette guitare-là (Il nous en montre une qui est dans son salon). Le bois jaune que vous voyez là, c’est du sapin. C’est le bois le moins cher du monde et c’est avec lui qu’on fait les palettes. Pourtant, cette guitare coûte la peau des fesses. On a ici le dimb, le djibétou, le bois de veine, le tek, etc. C’est des bois de luxe. Le jour où les Européens vont vous faire de la guitare avec du bois de veine, elle vous coûtera 4 000 euros. Je ne fais pas que de la fabrication, mais aussi de la création. J’ai créé un instrument qui est à mi-chemin entre le xalam et la guitare. Il y a les six cordes, mais pas les barrettes. Ça nous permet justement d’avoir des quarts de ton qui n’existent pas dans la musique moderne. C’est à cause des barrettes qu’on arrivait pas à avoir le son du xalam. On les a avec les cordes de nylon. »

LA NOTE RÉVOLUTIONNAIRE

« J’ai démarré avec la guitare électrique. Je me jetais par terre pour mimer Jimmy Hendrix et Carlos Santana. Mais après avoir beaucoup voyagé, surtout avec Ismael Lô et Orchestra Baobab, j’ai commencé à comprendre. Quand on débarquait quelque part et que les gens nous disaient : « Yeah African music », ils s’interrogeaient aussitôt après : « Why keyboard ? » (Pourquoi le clavier ?). Parce que selon eux, ce n’est pas africain. Ils me reprochaient même le pantalon jeans que je portais. Ça fait tilt. À partir de là, tu vas vers la mutation. On s’est donc mis à simplifier les choses. Ils ont raison, tout est dénaturé. Les griots jouent aujourd’hui le djembé avec les baguettes. C’est absurde. Regardez la lutte, il y a une acculturation. On voit des batteries, des cymbales, des timbales avec les djembés. Parfois, je me dis si ce n’est pas moi le dingue à faire ces remarques et que ce sont les autres qui ont raison. Je me sens marginalisé. Mais bon, quand Khalil Sow Gueye parlait de ma musique en la qualifiant de « mbalax intelligent », il y a une petite satisfaction. Un autre de mes combats, comme je dis, j’ai horreur des manquements. Je remarquais qu’on avait de sérieux problèmes techniques. Je me suis toujours posé la question de savoir pourquoi les grandes stars de l’époque genre Barry White, Stevie Wonder, etc. ne prestaient pas ici avec leurs groupes. Je me suis rendu compte que le problème était technique. Ils ne trouvaient pas la logistique nécessaire, or les Sénégalais adoraient les écouter et les voir jouer. Quand j’ai fait la première tournée internationale (entre 1992 et 1994) avec Ismael Lô et que dans certains journaux locaux des pays que nous traversions on y comparait notre son avec celui de Kassav, c’était incroyable. Alors qu’on n’avait même pas le dixième du matériel sono de Kassav. J’avais juste concocté un petit truc avec lequel nous sommes partis et qui nous a permis de dominer le son de Stevie Wonder sur le même concert. »

 « SES CLEFS » DANS LA MUSIQUE

« Je l’explique par mon amour de la musique et les nombreux déclics subis. Le premier concerne la variété et c’est quand j’avais 10 ans. J’avais vu le film sur les Beatles, « Quatre garçons dans le vent » et ai aussitôt dit à mon père « Achète-moi une guitare ». Pour se débarrasser de moi, il m’a dit d’attendre d’avoir le Cepe. Il me restait deux ans, mais comme j’étais pressé, je me suis présenté en candidature libre et j’ai réussi. Ce qui était une première dans la zone de Mbacké où je suis né et ai grandi. Tous félicitaient l’exploit pendant que je réclamais ma guitare. Mon père, le pauvre, a dû s’endetter pour me l’acheter. L’autre déclic est survenu quand je pensais avoir tout fait avant de voir jouer le Wato Sita (d’Ousmane Sow Huchard Soleya Mama, André Lô, Michael Soumah, etc.). Là j’ai perçu la richesse de la musique africaine que je n’avais jamais vue dans la variété. C’est après que j’ai rencontré et me suis associé à Mounir Abdallah (le bassiste) qui avait un groupe dénommé Europa, qui comprenait Cheikh Tidiane Tall. On a fusionné nos groupes et c’est ce qui a amené Atlantic. J’ai cédé justement la place de soliste à Cheikh Tidiane Tall pour me limiter à l’accompagnement et à la chanson. J’ai débuté la musique ainsi. J’ai commencé avec la percussion et la batterie d’abord, ensuite quand il manque un instrumentiste, je forme un autre sur ce que je fais avant de passer à un autre instrument. J’ai une carrière qui ressemble un peu à celle de Phil Collins. »

ÉMERGENCE DE « L’ATLANTIC »

« Je taquinais la musique quand j’étais au Lycée Faidherbe de Saint-Louis. Je m’exerçais dans la boîte de nuit « Le Cocotier » de Pape Samba Diop Vieux Mba. Toutefois, je faisais beaucoup plus de sports que de musique durant les vacances. Une année, j’ai été exclu du club après des problèmes avec les dirigeants de Navétanes. Nous étions désœuvrés pendant les vacances, avec les jeunes qui m’ont suivi quand j’ai boudé. Quand ils m’ont demandé ce qu’on allait faire, j’ai proposé de rassembler des instruments et d’aller jouer dans le cabanon d’un oncle, à Popenguine. On y faisait de la musique du matin au soir. En 15 jours, on a monté un répertoire époustouflant. Un mois plus tard, on était dans un club sur la baie de Hann pour un concert incroyable. On nous a demandé comment s’appelait notre orchestre et nous avons répondu « Atlantic » pour avoir traversé l’Atlantique, de Popenguine à Hann. C’est l’histoire de l’Atlantic, début des années 1980. Nous avions écumé tous les grands hôtels et bases militaires de la place. Le groupe n’était composé que de membres de ma famille et d’amis intimes. Nous avions déjà le meilleur matériel sono de Dakar et nous nous étions fait de la place à côté des Vieux Mac Faye et ses frères, de la famille Ripper (Patrick). J’étais déjà très pointilleux dans la sonorisation. »

ROBERT, UN « SANS-CULOTTES » PATENTÉ

« J’ai un caractère très révolutionnaire. Cela m’a retardé quelque part, mais je suis fier. Je déteste le suivisme. Les premiers musiciens que j’ai produits, dont une fille, j’ai eu d’énormes problèmes avec eux. À chaque fois que je devais composer une équipe, on me parlait du bassiste du Super Etoile ou d’autres groupes. C’était gonflant. Adama Faye, c’est un monument pour moi. Je l’admire. Il a joué avec Youssou Ndour « Wëndeelu » qui a eu un énorme succès grâce au marimba. Aujourd’hui, tous les pianistes se jettent comme des morts-de-faim sur le DX-7 (marimba), or moi je déteste cet instrument. C’est mon sentiment. J’adore Adama Faye, mais je déteste le DX-7. D’aucuns interprètent cela comme de la méchanceté, mais ce n’est pas cela. Je dis qu’il ne faut pas systématiquement copier. J’ai eu le même problème avec Ibrahima Sylla (Syllart). J’aime sortir des sentiers battus. La satisfaction du travail, bien fait surtout, c’est que tu peux être snobé, mais il y aura un moment où quelqu’un qui n’était même pas encore au moment où tu le faisais vienne s’y intéresser et te dire son admiration. C’est la récompense. »

DÉBUTS ET SUCCÈS DE PRODUCTEUR ET DE MERCATO

« Je suis entré dans la production musicale en 1989, avec El Hadj Faye (« Wan ma sa khol »). Dans un premier temps, c’est un sentiment d’injustice qui m’y a entrainé. Je remarquais que dans les groupes, le lead vocal était la seule constante, bien qu’il pouvait y avoir une voix qui chantait parfois mieux. Ça explique que j’ai fait ce premier album, et ensuite avec Ouzin Ndiaye (« Gao »). Avant le retour du Super Etoile, qui l’avait laissé à Dakar pour partir à la tournée d’Amnesty International, il avait écoulé 17 000 cassettes. J’ai ensuite fait Mamadou Lamine Maïga, ainsi de suite. Je pense que j’ai dû faire tous les N°2 des formations de la place. Après, il y a eu des découvertes. Il y a le Souleymane Faye post-Xalam. Avec lui, il ne fallait pas que je rivalise avec grand Cheikh Tidiane et les Henry Guillabert, ou encore avec la mémoire de Prosper. Il fallait autre chose. Et il s’est trouvé que dans cet autre chose que Diégo s’est le mieux retrouvé (Teylu leen, Aminata Ndiaye, Abdou Gueye …). Justement, car lui comme moi sommes des enfants de la variété internationale. Aujourd’hui, quand on parle de Rock Mbalax, tous pensent à Demba Dia, mais le premier rock & mbalax, c’est « Abdou Gueye ». Je ne découvrais pas que des chanteurs aussi. Quelqu’un comme le percussionniste Thio Mbaye, qui était méconnu chez Ismael Lô, a participé dans la production de Ouzin Ndiaye avant d’avoir la notoriété de « Rimbakh Papakh ». Dembel Diop, je suis la première personne à lui avoir permis de jouer dans un album pendant que le groupe voulait Habib Faye ou un autre grand nom. J’ai imposé le bassiste Samba Laobé Ndiaye à Ibrahima Sylla (Syllart) dans l’album « Yoomalé » de Coumba Gawlo Seck que je réalisais. Quand il a joué ses premières lignes, Cheikh Tidiane Tall s’est écrié « Mais sama rakk foo nekkoon » (Rires). J’avais toute une écurie qui, après, est allée rejoindre le Super Diamono.

 



Source : http://lesoleil.sn/robert-lahoud-musicien-et-produ...