Le 10 septembre, dans les jardins du Sénat français, une « réception sera organisée en l'honneur de Monsieur Macky Sall, ancien Premier ministre, président de l'Assemblée nationale du Sénégal ». Cette nouvelle, contenue dans une lettre transmise « pour
information » par l'intéressé au chef de l'État Abdoulaye Wade, a irrité les proches de ce dernier. Au premier rang desquels son fils et conseiller Karim Wade, ex-protecteur de
l'ancien chef du gouvernement, mais également le président du Sénat et maire de Dakar, Pape Diop. La dégradation des rapports entre « Macky » – comme l'appellent ses compatriotes
– et Karim est devenue publique le 4 octobre 2007, lorsque le premier a adressé au second une convocation le priant de se présenter devant les députés pour être entendu sur la gestion des fonds de l'Agence nationale pour l'Organisation de la conférence islamique (Anoci), qu'il dirigeait. Mais peu de gens sont au fait de la sourde rivalité qui oppose les présidents des deux institutions parlementaires. Pape Diop, 54 ans, homme d'affaires à la formation sommaire,
président de l'Assemblée nationale de 2001 à 2007, devenu le 3 octobre 2007 président du Sénat nouvellement créé, est « en froid » avec Macky Sall, 47 ans, ingénieur géologue formé en France, qui lui a succédé au perchoir de la Chambre des députés après avoir dirigé le gouvernement d'avril 2004 à juin 2007. Au coeur du contentieux entre les deux hommes, des ambitions contradictoires dans un contexte où tout le monde songe à la succession du chef
de l'État aujourd'hui âgé de 82 ans. Mais aussi un véritable ressentiment.Jeune loup contre vieux militant Membre depuis sa création en 1974 du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), dont il a été l'un des financiers au cours des longues années d'opposition, Pape
Diop n'a jamais pardonné à Macky Sall – membre de la formation libérale depuis 1987 seulement – son ascension fulgurante : ministre de l'Énergie puis de l'Intérieur entre
2001 et 2004, Premier ministre de 2004 à 2007, il a été propulsé directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade à l'élection présidentielle du 25 février 2007. Avant de se
voir confier la tête de liste du PDS aux législatives du 3 juin suivant. Macky, pour sa part, reproche à son prédécesseur au perchoir d'avoir contribué à l'éloigner de Wade et à le
faire limoger de la primature. Mais aussi de lui avoir pris sa place dans l'ordre protocolaire après qu'il a fait gagner le camp présidentiel. Au lendemain des législatives, en effet, une loi constitutionnelle est venue créer le Sénat, devenue la Chambre haute du Parlement. Élu à la tête de l'Assemblée nationale, Macky a aussitôt perdu le privilège le plus important lié à
cette fonction : la place de dauphin constitutionnel, qui est de facto revenue à son rival. Et dès le jour de l'installation du Sénat, le 3 octobre 2007, Pape Diop a tenu à marquer son terrain. Alors que la cérémonie se déroulait au siège de l'Assemblée nationale, il a obtenu du service du protocole qu'on lui déroule le tapis rouge afin d'accéder à la salle des délibérations. Un privilège habituellement réservé aux hôtes de marque de la Chambre.
Autre incident, quelques jours plus tard. À la suite de la diffusion d'un reportage sur l'Assemblée nationale avant un autre sur le Sénat au journal de 20 heures de la télévision
publique, Diop a lui-même contacté les autorités de la Radio-télévision sénégalaise pour que pareil « irrespect de la préséance républicaine » ne se reproduise plus. Si le maire de la capitale reste discret, ne donne pratiquement pas d'interviews et s'affiche comme un soldat sans prétention de Wade, il ne manque pas d'user de sa très grande influence auprès du chef de l'État pour susciter la crainte et se faire obéir. La bataille de leadership au sein du Congrès
– réunion exceptionnelle des députés et des sénateurs – en est l'illustration. Fin juillet, après plusieurs mois de querelles pour le contrôle du Parlement, il obtient les faveurs l'arbitrage du chef de l'État. Dans un décret concernant le règlement intérieur, Wade décide que « le bureau du Sénat constitue le bureau du Congrès », reléguant Sall derrière le dernier des vice-présidents de Pape Diop. Le président de l'Assemblée nationale tente de résister, suscite même une rencontre au cours de laquelle Doudou Wade, le président du groupe parlementaire du PDS, lance au chef de l'État : « Tous les députés de l'Assemblée nationale sont élus alors que les deux tiers des sénateurs, dont Pape Diop, sont nommés. C'est l'Assemblée, et non le Sénat, qui a le pouvoir de voter la motion de défiance. Il n'est pas logique que le bureau du
Sénat prenne le pas sur celui de l'Assemblée nationale au Congrès. » Sans convaincre. Ravalant son humiliation, Sall tente pendant plusieurs jours de joindre au téléphone son
« ennemi intime » pour évoquer avec lui l'organisation du travail au sein du Congrès. En vain. Informé que le bureau de l'Assemblée cherche à le rencontrer, Pape Diop faxe le décret portant règlement intérieur du Congrès.Le 22 juillet, les deux hommes parviennent enfin à se parler, mais l'échange est court et le ton aigredoux. Le lendemain, jour de la séance inaugurale du Congrès, Diop arrive avec une heure et demie de retard, faisant attendre d'autant le président de l'Assemblée dans les couloirs de l'hôtel Méridien-Président. Macky est contraint de patienter : impossible de boycotter la séance. Son absence aurait pu être interprétée comme un acte de rébellion contre le décret présidentiel. Aussi le locataire du perchoir s'est-il limité – dans un dernier sursaut de fierté
– à un vote blanc lors de l'adoption du règlement intérieur du Congrès, laissant certains de ses grognards
– les députés Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô – monter au créneau devant les caméras et les micros des nombreux journalistes présents à la cérémonie. dissolution en juin 2009 ?
Depuis, Macky rumine sa colère et reste sur la réserve. Réputé pour son caractère entier, Pape Diop n'hésiterait pas à répliquer à la moindre « agression ». Fidèle parmi les fidèles du chef
de l'État, bénéficiant de la confiance de Wade et de sa famille, il est l'un des bras armés du président dans la guerre qu'il mène contre son ancien Premier ministre tombé en disgrâce. Pour l'heure, la lutte se poursuit par procuration. À la fin du mois de juillet dernier, des membres de la fédération PDS de Fatick, que dirige Macky, sont entrés en rébellion,
fustigeant à la télévision nationale la gestion de la cellule locale du parti.
La réplique ne s'est pas fait attendre : le 3 août, une mystérieuse organisation dénommée Forces citoyennes féminines pour Macky Sall (Forcifem) a fait une déclaration au vitriol mettant en garde ces « forces intrigantes » et les sommant de « mettre fin immédiatement à leurs pratiques nocives pour la république et la démocratie ». On l'aura compris, l'affrontement ne fait que commencer.Parmi les prochaines batailles de cette guerre d'usure, on attend celle qui risque de s'engager en juin 2009, quand, après deux ans passés à la tête de l'Assemblée, Macky Sall pourra être renversé par une mesure de dissolution. Et il ne pourra pas compter sur Pape Diop pour en dissuader le chef de l'État, qui n'a jamais digéré le refus opposé par le président de l'Assemblée à son injonction de démissionner.
CHEIKH YERIME SECK
JEUNE AFRIQUE
information » par l'intéressé au chef de l'État Abdoulaye Wade, a irrité les proches de ce dernier. Au premier rang desquels son fils et conseiller Karim Wade, ex-protecteur de
l'ancien chef du gouvernement, mais également le président du Sénat et maire de Dakar, Pape Diop. La dégradation des rapports entre « Macky » – comme l'appellent ses compatriotes
– et Karim est devenue publique le 4 octobre 2007, lorsque le premier a adressé au second une convocation le priant de se présenter devant les députés pour être entendu sur la gestion des fonds de l'Agence nationale pour l'Organisation de la conférence islamique (Anoci), qu'il dirigeait. Mais peu de gens sont au fait de la sourde rivalité qui oppose les présidents des deux institutions parlementaires. Pape Diop, 54 ans, homme d'affaires à la formation sommaire,
président de l'Assemblée nationale de 2001 à 2007, devenu le 3 octobre 2007 président du Sénat nouvellement créé, est « en froid » avec Macky Sall, 47 ans, ingénieur géologue formé en France, qui lui a succédé au perchoir de la Chambre des députés après avoir dirigé le gouvernement d'avril 2004 à juin 2007. Au coeur du contentieux entre les deux hommes, des ambitions contradictoires dans un contexte où tout le monde songe à la succession du chef
de l'État aujourd'hui âgé de 82 ans. Mais aussi un véritable ressentiment.Jeune loup contre vieux militant Membre depuis sa création en 1974 du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), dont il a été l'un des financiers au cours des longues années d'opposition, Pape
Diop n'a jamais pardonné à Macky Sall – membre de la formation libérale depuis 1987 seulement – son ascension fulgurante : ministre de l'Énergie puis de l'Intérieur entre
2001 et 2004, Premier ministre de 2004 à 2007, il a été propulsé directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade à l'élection présidentielle du 25 février 2007. Avant de se
voir confier la tête de liste du PDS aux législatives du 3 juin suivant. Macky, pour sa part, reproche à son prédécesseur au perchoir d'avoir contribué à l'éloigner de Wade et à le
faire limoger de la primature. Mais aussi de lui avoir pris sa place dans l'ordre protocolaire après qu'il a fait gagner le camp présidentiel. Au lendemain des législatives, en effet, une loi constitutionnelle est venue créer le Sénat, devenue la Chambre haute du Parlement. Élu à la tête de l'Assemblée nationale, Macky a aussitôt perdu le privilège le plus important lié à
cette fonction : la place de dauphin constitutionnel, qui est de facto revenue à son rival. Et dès le jour de l'installation du Sénat, le 3 octobre 2007, Pape Diop a tenu à marquer son terrain. Alors que la cérémonie se déroulait au siège de l'Assemblée nationale, il a obtenu du service du protocole qu'on lui déroule le tapis rouge afin d'accéder à la salle des délibérations. Un privilège habituellement réservé aux hôtes de marque de la Chambre.
Autre incident, quelques jours plus tard. À la suite de la diffusion d'un reportage sur l'Assemblée nationale avant un autre sur le Sénat au journal de 20 heures de la télévision
publique, Diop a lui-même contacté les autorités de la Radio-télévision sénégalaise pour que pareil « irrespect de la préséance républicaine » ne se reproduise plus. Si le maire de la capitale reste discret, ne donne pratiquement pas d'interviews et s'affiche comme un soldat sans prétention de Wade, il ne manque pas d'user de sa très grande influence auprès du chef de l'État pour susciter la crainte et se faire obéir. La bataille de leadership au sein du Congrès
– réunion exceptionnelle des députés et des sénateurs – en est l'illustration. Fin juillet, après plusieurs mois de querelles pour le contrôle du Parlement, il obtient les faveurs l'arbitrage du chef de l'État. Dans un décret concernant le règlement intérieur, Wade décide que « le bureau du Sénat constitue le bureau du Congrès », reléguant Sall derrière le dernier des vice-présidents de Pape Diop. Le président de l'Assemblée nationale tente de résister, suscite même une rencontre au cours de laquelle Doudou Wade, le président du groupe parlementaire du PDS, lance au chef de l'État : « Tous les députés de l'Assemblée nationale sont élus alors que les deux tiers des sénateurs, dont Pape Diop, sont nommés. C'est l'Assemblée, et non le Sénat, qui a le pouvoir de voter la motion de défiance. Il n'est pas logique que le bureau du
Sénat prenne le pas sur celui de l'Assemblée nationale au Congrès. » Sans convaincre. Ravalant son humiliation, Sall tente pendant plusieurs jours de joindre au téléphone son
« ennemi intime » pour évoquer avec lui l'organisation du travail au sein du Congrès. En vain. Informé que le bureau de l'Assemblée cherche à le rencontrer, Pape Diop faxe le décret portant règlement intérieur du Congrès.Le 22 juillet, les deux hommes parviennent enfin à se parler, mais l'échange est court et le ton aigredoux. Le lendemain, jour de la séance inaugurale du Congrès, Diop arrive avec une heure et demie de retard, faisant attendre d'autant le président de l'Assemblée dans les couloirs de l'hôtel Méridien-Président. Macky est contraint de patienter : impossible de boycotter la séance. Son absence aurait pu être interprétée comme un acte de rébellion contre le décret présidentiel. Aussi le locataire du perchoir s'est-il limité – dans un dernier sursaut de fierté
– à un vote blanc lors de l'adoption du règlement intérieur du Congrès, laissant certains de ses grognards
– les députés Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô – monter au créneau devant les caméras et les micros des nombreux journalistes présents à la cérémonie. dissolution en juin 2009 ?
Depuis, Macky rumine sa colère et reste sur la réserve. Réputé pour son caractère entier, Pape Diop n'hésiterait pas à répliquer à la moindre « agression ». Fidèle parmi les fidèles du chef
de l'État, bénéficiant de la confiance de Wade et de sa famille, il est l'un des bras armés du président dans la guerre qu'il mène contre son ancien Premier ministre tombé en disgrâce. Pour l'heure, la lutte se poursuit par procuration. À la fin du mois de juillet dernier, des membres de la fédération PDS de Fatick, que dirige Macky, sont entrés en rébellion,
fustigeant à la télévision nationale la gestion de la cellule locale du parti.
La réplique ne s'est pas fait attendre : le 3 août, une mystérieuse organisation dénommée Forces citoyennes féminines pour Macky Sall (Forcifem) a fait une déclaration au vitriol mettant en garde ces « forces intrigantes » et les sommant de « mettre fin immédiatement à leurs pratiques nocives pour la république et la démocratie ». On l'aura compris, l'affrontement ne fait que commencer.Parmi les prochaines batailles de cette guerre d'usure, on attend celle qui risque de s'engager en juin 2009, quand, après deux ans passés à la tête de l'Assemblée, Macky Sall pourra être renversé par une mesure de dissolution. Et il ne pourra pas compter sur Pape Diop pour en dissuader le chef de l'État, qui n'a jamais digéré le refus opposé par le président de l'Assemblée à son injonction de démissionner.
CHEIKH YERIME SECK
JEUNE AFRIQUE