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Scandale ! Comment un chirurgien a sacrifié son patient pour s'offrir la gloire d'une première mondiale

Rédigé par leral.net le Lundi 13 Novembre 2017 à 19:13 | | 0 commentaire(s)|

Le chirurgien italien Paolo Macchiarini se vantait en 2011, d'avoir réalisé la première greffe de trachée artificielle et visait le Nobel. En fait, l'opération était plus que hasardeuse…


Il se rêvait star mondiale de la chirurgie. Il visait même même le prix Nobel. Le chirurgien italien Paolo Macchiarini est hélas, plus près du héros de House of Cards que du docteur House. Il est au sommet de sa gloire en 2011 lorsqu’il réalise la première greffe de trachée artificielle. Une réussite totale, d’après un article publié dans la prestigieuse revue The Lancet quelques mois plus tard. Sauf qu’à ce moment-là, son patient est déjà en train d’agoniser des suites de l’opération, qui s’avèrera hasardeuse et injustifiée. Macchiarini est prêt à sacrifier un cobaye humain pour asseoir sa célébrité.

Un patient qui tombe à pic

En 2009, Andemariam Teklesenbet Beyene est âgé de 34 ans quand on lui diagnostique une forme évolutive lente de cancer de la trachée. Cet Éthiopien travaille alors sur sa thèse en Islande. Il se fait opérer une première fois à l’hôpital de Landspítali, près de Reykjavik, par le chirurgien Tomas Gudbjartsson. On lui enlève une partie de la tumeur. Mais quelques mois plus tard, Beyene se plaint à nouveau de difficultés à respirer. Gudbjartsson se tourne alors vers son proche ami, le chirurgien italien Paolo Macchiarini, qui travaille au Karolinska Institute en Suède. Celui-là même qui attribue chaque année le prix Nobel de médecine.

Macchiarini jouit alors déjà d’un brillant état de service. Il s’est fait un nom en 2008, en devenant le premier à réaliser une greffe de trachée colonisée par des cellules souches, ce qui permet en théorie de réduire les risques de rejet. Gudbjartsson sait aussi que son confrère a décidé de tenter une greffe de trachée artificielle. Ce tube en plastique évite en principe d’avoir recours à des trachées de personnes décédées.

Lorsqu’il le rencontre, Macchiarini explique à Beyene que sa solution est pour lui celle de la dernière chance. Beyene hésite, réticent à l’idée de service de cobaye pour cette opération totalement inédite. Mais le chirurgien insiste : «Vous voulez voir vos enfants grandir ? Dans ce cas même une année ou deux de sursis est une chance pour vous», lui lance-t-il. Beyene finit par donner son accord, ignorant alors qu’il vient de signer son arrêt de mort. Le 9 juin 2011, Beyene passe sur la table d’opération. Un tube en plastique est implanté dans sa trachée tandis que des cellules souches sont déposées à l’intérieur, devant théoriquement coloniser le tube pour «reformer» une trachée naturelle.

Dans cette affaire, tout a pourtant été diaboliquement préparé. Macchiarini, décidé à créer l’évènement avec sa greffe, a choisi la date de l’opération bien avant de rencontrer Beyene ni même de le connaître. Lorsqu’il s’est avéré que la tumeur de ce dernier était plus petite que prévu et ne nécessitait donc pas forcément une greffe, il a carrément fait disparaître l’information. Les autres options médicales possibles, par exemple une chirurgie au laser, ont été délibérément occultées. Ainsi, lorsque Beyene débarque à Stockholm pour une simple consultation, l’opération est déjà entièrement programmée. Peu importe que le tube ne soit pas adapté aux dimensions de sa trachée ou qu’aucun examen médical approfondi n’ait été mené en amont.

Une lente agonie transformée en réussite éclatante

Une fois passée l’opération, le soudain intérêt de Macchiarini pour son patient disparaît du jour au lendemain. Aucun suivi n’est proposé au patient pour son retour en Islande. Sauf qu’il a encore besoin de lui pour atteindre son objectif ultime : publier ses travaux dans la revue The Lancet, la plus prestigieuse des revues médicales, capable de lui assurer une renommée mondiale.

Or les éditeurs de la revue sont extrêmement pointilleux. Ils demandent à Macchiarini des données précises sur l’état du patient et les suites opératoires. Macchiarini intime alors à son collègue islandais, de pratiquer des examens sur Beyene : prises de sang, bronchoscopie, spirométrie, biopsies : le calvaire continue pour Beyene, déjà pourtant bien mal en point. Tout cela dans l’unique but d’alimenter l’article.

Le 24 novembre 2011, l’article paraît enfin dans The Lancet, avec comme co-auteurs Macchiarini et son étudiant et acolyte, Philipp Jungebluth. L’état de santé de Beyene est alors très grave. Il crache du sang et a du mal à respirer. On a dû lui poser des stents, des dispositifs destinés à maintenir le passage de l’air dans le tube implanté dans sa trachée. Pourtant, l’article présente l’opération comme un grand succès. Les données ont en réalité été largement «arrangées».

L’infection de champignons qui colonisent la trachée en plastique ? Minimisée pour répondre aux critères. La spirométrie montrant une respiration anormale ? Passée sous silence. Quelques mois après le coup de célébrité de Macchiarini, Beyene est agonisant. Dans un courriel envoyé le 12 octobre 2012, Gudbjartsson écrit au chirurgien italien : «Il est dépressif et n’a plus d’espoir. Il se sent exploité et envisage de parler aux médias».

Il enjoint son collègue de le faire quitter au plus vite l’Islande pour le transférer au Karolinska Institute. «Sans quoi les choses pourraient mal finir [pour nous]», prévient-il. Le malheureux cobaye décède finalement le 30 janvier 2014, dans d’interminables souffrances. Entre-temps, 10 autres patients ont été opérés avec une trachée synthétique. Neuf sont morts et le survivant s’est vu ôter le tube en plastique, pour le remplacer par une trachée normale.

Des agissements frauduleux passés sous silence

Quelques mois après le décès de Beyene, plusieurs confrères commencent à émettre des doutes sur le bien-fondé de la greffe artificielle et sur Macchiarini lui-même. En 2015, une enquête interne est mandatée au sein du Karolinska Institute. Elle conclut effectivement à des agissements frauduleux de la part du chirurgien. Le rapport est pourtant jeté à la poubelle par le recteur de l’époque, Anders Hamsten, et le contrat avec Macchiarini est reconduit.

C’est finalement une journaliste suédoise, Bosse Lindquist, qui dévoilera l’affaire au grand jour en janvier 2016. Devant le scandale, le Karolinska Institute finit par licencier Macchiarini en mars. Trois mois après, une chambre d’accusation suédoise lance quatre procédures contre le chirurgien pour homicides aggravés et lésions corporelles graves.

Deux enquêtes indépendantes mettront aussi sévèrement en cause le Karolinska Institute, pour avoir fermé les yeux sur les pratiques douteuses du médecin. Anders Hamsten est «démissionné» et plusieurs autres responsables quittent fonctions, y compris le secrétaire général du Comité Nobel, Urban Lendahl.

Le 30 octobre 2017, le Comité central d’éthique de Suède ordonne la rétractation de 6 articles publiés par Macchiarini, dont celui de The Lancet, pour diffusion «d’informations erronées» et de «graves agissements constituant une faute professionnelle». Gudbjartsson a lui été envoyé quatre semaines en «congé», le temps pour l’hôpital de Landspítali de décider de son sort.

Un «Tchernobyl éthique»

A la faveur des investigations, on découvrira aussi le passé de Macchiarini. On apprend ainsi que ce dernier est sous le coup d’une enquête du parquet de Florence, en Italie. Il est accusé par des patients, de leur avoir demandé jusqu’à 150 000 euros pour les opérer à l’étranger. Une autre enquête a été ouverte en Suède pour homicide involontaire aggravé et coups et blessures.

Son CV a été largement enjolivé et ses diplômes sont eux aussi, incorrects. Même sa vie privée est un tissu de mensonges : il avait promis des noces avec une productrice vedette de la NBC, oubliant juste de lui signaler qu'il était déjà marié avec une autre. Plusieurs médecins qualifient aujourd’hui les opérations de Macchiarini «d’actes criminels» et un journal de médecine suédois a décrit l’affaire comme un «Tchernobyl éthique». Une retentissante faillite scientifique aux conséquences tragiques.



VSD
Par Céline Deluzarche