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Septennat ou quinquennat : Le dilemme cornélien - Par Assane Kane


Rédigé par leral.net le Jeudi 7 Janvier 2016 à 14:22 | | 0 commentaire(s)|

Prés de trois ans après l’accession au pouvoir du Président Macky SALL, le débat sur la durée du mandat présidentiel continue d’agiter les chaumières et les salons feutrés de la République. La question ne laisse personne indifférente, du puriste passionné par les débats facultaires aux citoyens lambda préoccupés par la prise en charge de ses besoins de survie et involontairement entrainés dans des débats aux antipodes de leur quotidienneté. La durée du mandat a glissé de son champ de prise en charge pour être l’otage des politiciens.

L’objet de notre intervention porte non pas sur sa faisabilité ou sa réalisation mais son applicabilité pour le mandat en cours. L’écueil juridique que peut constituer la révision du mandat est expressément résolu par l’art 27 alinéa 2 de la Constitution du Sénégal qui n’ouvre que la voie référendaire pour toute modification. Ne subsiste alors, que la question qui déchaîne les passions à savoir celle de l’impact d’une éventuelle révision référendaire sur le mandat en cours.

- DE LA RETROACTIVITE D’UNE LOI PORTANT REDUCTION DU MANDAT PRESIDENTIEL


La sécurité et la stabilité juridiques nécessaires à l’équilibre de la société recommandent que les dispositions d’une loi nouvelle ne s’appliquent pas aux actes et situations juridiques qui lui sont antérieures c'est-à-dire qui sont conçus et/ou entièrement réalisés sous l’empire d’une autre loi. A ce titre, l’article 2 du Code civil français repris en substance par le Code de la famille du Sénégal en son article 831 stipule que: « la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ». Cette disposition n’a certes pas une valeur constitutionnelle et sa remise en cause peut être envisagée en vertu de la hiérarchie des normes, mais elle emporte deux conséquences majeures à savoir la non-rétroactivité de la loi et son effectivité à l’avenir. Schématiquement, la loi nouvelle est toujours censée être la meilleure et sur cette base, il faut soumettre sous son empire tous les actes et situations juridiques dès sa publication.

Cependant, cette solution parait réductrice vu le nombre de situations dans lequel un acte ou un fait juridique transcende une séquence temporelle législative. Pour régler ce problème, la pratique envisage trois cas pour lesquels le principe de la non-rétroactivité est fortement mâtiné :
Le premier est relatif à une intervention législative par laquelle le législateur énonce expressément que les nouvelles dispositions régissent des faits intervenus antérieurement ;

Le second concerne la loi pénale plus douce ; lorsqu’un texte prévoit moins de sujétions ou moins de pénibilités que la loi ancienne, et ceci aussi bien dans l’incrimination que dans la sanction, il est normal d’en faire bénéficier les personnes dont les dossiers sont en cours ;

- Le troisième beaucoup plus insidieux découle de l’adoption de lois interprétatives susceptibles d’aider le juge en cas de difficultés nées de l’application de la loi.

Concernant la réduction du mandat présidentiel, il est évident qu’il faut écarter les deux derniers cas de rétroactivité tout en gardant à l’esprit la philosophie qui les inspire.

Subsiste alors, la possibilité d’énoncer expressément dans la nouvelle loi portant modification du mandat présidentiel que les nouvelles dispositions s’appliquent au mandat en cours. Concrètement, le corps électoral doit répondre non seulement à la question principale sur la réduction de la durée du mandat mais aussi à une question subsidiaire relative à son extension au mandat en cours nonobstant toute question sur la réforme des institutions. Telle semble être la tendance qui se dessine et défendue avec brio par d’éminents juristes.

Cependant nous allons convenir avec Portalis que : « l’office de la loi est de régler l’avenir, le passé n’est plus en son pouvoir. Partout où la rétroactivité serait admise, non seulement la sureté n’existerait plus mais son ombre même […].

Le but poursuivi à travers ce principe est d’annihiler les effets préjudiciables dans le passé. Chaque fois qu’on s’y réfère, on garde à l’esprit l’idée de réparer une injustice ou de faire bénéficier d’un avantage au justiciable. Au vu de la philosophie qui inspire le principe, la réduction du mandat en cours du Président Macky Sall ne découle d’aucune impérieuse nécessité et sa non-effectivité n’engendre aucun préjudice majeur et insurmontable. Tout au plus, la rétroactivité de la loi portant réduction du mandat mettra en échec une théorie élaborée pour résoudre les conflits de loi dans le temps (même si pour notre cas présent, le conflit n’est pas actuel) en l’occurrence celle des droits acquis. La consécration des idéaux d’un homme à travers son élection constitue un acquis. Et la durée accordée pour l’accomplissement de sa mission ne peut être remise en cause en dehors de l’expression d’une volonté actuelle.

La résolution du problème serait plus ardue en l’absence de précédents au Sénégal. Il faut se rappeler que l’adoption de la Constitution de 2001 n’a nullement impacté sur le premier mandat du Président Abdoulaye Wade. Et c’est de bon droit, que le juge constitutionnel a considéré à son époque que le premier exercice ne pouvait être comptabilisé pour se conformer à la limitation à deux mandats. Aujourd’hui les dispositions pertinentes sur la durée du mandat relèvent de la modification constitutionnelle de 2008, peu importe la violation manifeste qui affecte sa procédure devant le Congrès.
Certains esprits malins vont nous rétorquer que le Président Abdoulaye Wade ne s’était jamais engagé à réduire son mandat et que par conséquent, il n’était pas confronté au dilemme qui se pose. Il faudrait donc trouver les subtilités ou plutôt les subterfuges pour permettre au Président de parfaire sa volonté. Mais si par des artifices et contorsions juridiques, on arrive à faire passer la pilule de la rétroactivité, le juge constitutionnel risque d’être lié par le serment du Président. En effet, que vaut la parole d’un homme face au serment recueilli solennellement par le Conseil constitutionnel.


- DE LA VALEUR DE LA PAROLE FACE AU SERMENT


Il faut d’emblée faire une précision importante, l’usage des termes paroles et serment ne se situe pas sur le champ probatoire mais plutôt de l’évaluation juridique d’une situation juridique consacrée. En outre, il ne s’agit point de faire l’apologie de cette fameuse phrase d’Henry Queuille que « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » ou simplement pour faire couleur locale le célèbre « WAX WAXEET ». Notre seul souci est de confronter les déclarations d’un candidat et la volonté d’un Président à la réalité juridique. La bonne foi du Président Macky Sall ne saurait être remise en cause au regard de la somme d’efforts consentie pour se conformer à ses propos.

Mais quelque que soit la conviction d’un engagement ou l’intensité d’une volonté, une réalité reste intangible à savoir la conformité à la loi. En prêtant serment le lundi 02 Avril 2012 devant les membres du Conseil constitutionnel, il s’est engagé à respecter et à faire respecter la Constitution. Cet engagement recueilli au nom du peuple sénégalais sous entendait le respect des termes de la Constitution sans aucune réserve au moment de son prononcé. S’il existe une constante têtue, c’est son installation par les juges à la tête de la République pour une durée de 7 ans.

Par voie de conséquence, si le candidat Monsieur Macky Sall a donné sa parole sans qu’on l’ait élucidé sur les contraintes juridiques qui pourraient se poser, sa réitération en tant que président ne doit pas l’enfermer dans une posture de violer les termes de la Constitution. Comme le disait avec beaucoup d’à propos le Doyen El’hadj Mansour Mbaye, il est le gardien de la Constitution mais aussi le garant des institutions. Il doit à ce titre, comme il s’y est toujours employé depuis son élection, éviter tout tripatouillage de la norme fondamentale mais renforcer l’idée d’une sortie du cycle de l’instabilité institutionnelle. Tout homme sensé ne peut lui tenir rigueur de voir sa volonté échouer sur les rivages de l’orthodoxie juridique. En définitive, nous devons comprendre que « Dura lex, sed lex », dure est la loi mais c’est la loi et que le serment auquel il a déféré est supérieur à sa parole ou à ses promesses. En substance, il doit respecter ce serment quoique cela puisse lui en coûter. Ne dit on pas en droit qu’ « à l’impossible, nul n’est tenu ».

D’aucuns pour lui permettre de sortir de cette impasse ont proposé l’abrogation pure et simple de l’article 27 de la Constitution sous prétexte qu’il souffre d’une tare congénitale dans sa modification en 2008. Une proposition qui pourrait être considérée comme un pis-aller parce qu’il est ni juridiquement recommandable, ni moralement souhaitable de couvrir une illégalité par une autre.

La seule solution qui demeure et qui constitue un non sens politique est la démission selon les termes prévus aux articles 39 et suivants de la Constitution et la convocation du corps électoral. Il s’agit d’un risque inconsidéré et une absurdité politique compte tenue de l’absence d’une crise institutionnelle majeure.

Cependant, l’organisation du référendum garde toute sa pertinence si elle peut permettre de régler définitivement la question sur la durée du mandat. En d’autres termes, trouver la meilleure formule pour la verrouiller et amorcer certaines réformes institutionnelles.


Assane KANE
Juriste d’affaires
askanwi@yahoo.fr