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Situation catastrophique du secteur de l'énergie électrique : le point de vue d'un consommateur.

La Senelec se trouve depuis plusieurs années, pour ne pas dire depuis toujours, dans l'incapacité de satisfaire la demande - en quantité et en qualité - de sa clientèle. Aussi invraisemblable que celui puisse paraître, au XXI siècle, une société de production est incapable de produire. Au moment où toutes les entreprises se battent pour trouver d'autres marchés afin d'assurer leur survie, la Senelec semble s'être fâchée avec le marché. Mais comment en est on arrivé là ?


Rédigé par leral.net le Dimanche 10 Octobre 2010 à 19:53 | | 0 commentaire(s)|

Situation catastrophique du secteur de l'énergie électrique : le point de vue d'un consommateur.
Le secteur de l'énergie connaît deux problèmes structurels : la non compétitivité des prix (prix excessivement cher), et l'insuffisance de l'offre. Ces deux problèmes s'expliquent essentiellement par la non maîtrise des facteurs de production. Facteurs de production entendus au sens large.
En effet, il s'agit de la non maîtrise de la chaîne d'approvisionnement en matière première (avec comme conséquence des surcoûts et des ruptures de stocks), la non maîtrise des outils de production (absence de plan d'investissement, déficit de maintenance et d'entretien), la non maîtrise de la chaîne de management (management des ressources humaines : népotisme, personnel pléthorique, absentéisme, absence de politique de motivation... ; du cycle d'exploitation : absence de planification, absence de mécanisme efficace de gestion de la trésorerie, gabegie, malversation....).
Bref, il s'agit là des traditionnels maux du secteur public.
Face à ses nombreux problèmes, les autorités publiques agissent souvent, non pas en médecin, mais en sapeurs pompiers. Elles n'ont presque jamais le temps pour faire un diagnostic complet et ce sont toujours des mesures d'urgence qui sont préconisées.
Toutefois, en 1998 le régime socialiste avait engagé une réforme en profondeur du secteur de l'énergie. La maîtrise de l'approvisionnement en électricité en quantité est en qualité demeurait le principal objectif de cette réforme. Et les socialistes avaient changé de paradigme en préconisant le moins-Etat (concept cher au Président Diouf) avec un renforcement du secteur privé.
Ainsi, la Senelec a été privatisée, et des unités de production indépendantes commençaient à voir le jour (ex. GTI). En fait, dans l'esprit des socialistes, il fallait rompre avec la situation de monopole et créer une situation de concurrence. Faire confiance au marché. Et pour réguler le marché de l'énergie électrique, ils avaient institué une commission de régulation du secteur (CRSE), qui avait pour principaux objectifs : la promotion du développement rationnel de l'offre d'électricité, la mise en place des conditions d'équilibre économique et financier du secteur, la promotion de la concurrence mais aussi la préservation des intérêts des consommateurs.
Et pour le monde rural, qui, certainement, n'a aucune chance d'intéresser le privé, l'Etat avait mis en place l'ASER (l'agence sénégalaise d'électrification rurale).
Mais en 2000, les nouvelles autorités, sans remettre fondamentalement en cause la réforme initiée par les socialistes, avaient émis des objections sur l'un des points de la réforme, à savoir non pas la privatisation de la Senelec, mais la manière par laquelle celle-ci a été privatisée. Selon elles, le repreneur n'était pas en mesure de réaliser les investissements pouvant permettre un approvisionnement correct en électricité du pays. Ainsi, les lois n'ont pas été modifiées, les autres institutions et instruments (commission de régularisation du secteur de l'électricité, ASER) qui ont été mis en place n'ont pas été touchés.
Et après l'échec en 2001 de la tentative de (re)privatisation de la Senelec, les autorités semblent davantage travailler sur la réforme de cette entreprise que sur celle du secteur. C'est ainsi qu'elles nous avaient annoncé un programme d'investissement 2003/2013, avec un volet urgence 2003/2008 et un programme à moyen et long terme 2003/2013. Et en 2008, la filialisation de la Senelec a été annoncée. Il s'agirait de la mise en place d'une holding qui regrouperait trois grandes entreprises qui s'occuperaient de la production, du transport et de la distribution. Le capital de ces entreprises devrait être ouvert aux consommateurs, aux travailleurs et au secteur privé national et étranger.
Avec cette nouvelle réforme, les autorités semblent rompre avec l'esprit de celle de 1998, qui faisait trop confiance au marché (moins d'Etat, mieux l'Etat). En effet, après la faillite en 2001 du n°1 mondial du courtage en énergie Enron; les évènements du 11 septembre 2001 et la récente crise financière mondiale, aucun Etat ne semble plus accorder une confiance absolue au marché. L'interventionnisme est de plus en plus (re)théorisé. Au delà de son devoir de règlementer la vie économique, l'Etat devra rester un agent économique.
Ainsi, nous ne pouvons que saluer le choix consistant à la renonciation de la privatisation de la Senelec. Mais l'Etat est-il en mesure de remettre sur les rails cette société qu'il a lui-même mise à genoux? Nous comptons apporter notre modeste contribution pour le redressement de cette société en proposant quelques pistes de sortie de crise.
Analysant la situation de la Senelec, trois constats amères s'imposent : (i) l'incapacité de la société d'avoir un taux de rendement de 90% au moins. En effet, en 2009 la société n'avait pu vendre que 79% de sa production (donc de l'énergie produite mais perdue pour cause de fraude, perte technique....) contre 77% en 2008, soit un manque à gagner de plus 46 milliards sur la période 2005/2009 (cf. document de la CRSE "Révision des conditions tarifaires de la SENELEC Période tarifaire 2010-2014"). (ii) Il faut aussi noter l'incapacité de la Senelec à utiliser plus de 90% de sa capacité de production (problème d'approvisionnement, panne des centrales...). En 2009, elle n'avait pu utiliser que 69% de sa capacité. (iii) Enfin, l'incapacité de la Senelec à porter l'offre d'électricité au même niveau que la demande.

L'urgence, c'est de faire de sorte que la Senelec puisse utiliser au moins les 95% de ses capacités de production et de vendre les 99% de sa production. Et mettre en place à moyen et long terme (25 ans) un plan d'investissement pouvant prendre en charge la différence entre la demande et l'offre d'électricité. Mais comment atteindre tous ces objectifs.
Nous pensons qu'il faudra d'abord renoncer à la filialisation de la société. En effet, nous pensons que la Senelec devra se libérer totalement de la production en vendant ses centrales. Elle devra donc se concentrer sur le transport. Ainsi, l'Etat ouvrira le marché de la distribution et celui de la production aux privés nationaux et étrangers. Des contrats de concessions de service public seront signés avec un nombre important de concessionnaires pour la distribution de même que pour la production. Ainsi, les ménages et autres industriels feront leur demande de branchement auprès des concessionnaires. Ces derniers signeront à la fois des contrats avec la Senelec pour le transport, et les producteurs pour la fourniture. Certaines agences de la Senelec seront cédées aux distributeurs. Et la Senelec n'aura plus pour mission que l'extension de son réseau de transport et la maintenance de celui-ci. L'avantage d'une telle réforme, c'est que la Senelec se retrouvera entre deux privés.
En effet, les producteurs se battront pour utiliser les 100% de leur capacité et les distributeurs veilleront à ce que l'énergie achetée puisse parvenir à leurs clients. Mais comment réguler un tel marché? Il faudra nécessairement renforcer les compétences de la commission de régularisation du secteur de l'électricité (CRSE) et la doter d'une grande direction de "Recherche et Développement". La passe d'armes récente entre la SAR et Itoc qui a entrainé une rupture des stocks de gaz, montre si besoin en était, que certains marchés ont besoin de puisant régulateur.
En fait, la CRSE devra définir des prix plafonds et des prix plancher pour l'achat en gros de l’énergie électrique et sa revente au détail. La Senelec appliquera un tarif unique pour chaque type de transport. Et les parts de marché de chaque distributeur et de chaque producteur seront limitées respectivement à 15% du marché global de la distribution et 25% de celui de la production. Il faudra mettre en place des mécanismes pouvant éviter toute possibilité de concentration ou d'entente illicite.
Bien évidement l'Etat devrait pouvoir se substituer à tous producteurs et/ou distributeurs défaillants et à leurs dépends.
Cette nouvelle stratégie devrait pouvoir permettre à l'Etat de trouver des solutions aux deux problèmes structurels du secteur de l'électricité à savoir la non compétitivité des prix et l'insuffisance de l'offre.
Sadikh DIOP
Administrateur de l’Observatoire de l’information et des médias
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