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Sorties musclées de Wade et Idrissa Seck: L’opposition revitalisée, le pouvoir en souffrance

Le retour de Wade et l’entrée en scène de Idrissa Seck décochant des flèches assassines contre le pouvoir, semblent avoir redonné un peu plus de vigueur à l’opposition. Et relancer et réhabiliter la scène politique moribonde. Cette montée en puissance des forces de l’opposition va-t-elle relancer ce débat démocratique monotone et monocorde dans lequell a coalition Benno Bokk Yaakaar semble se complaire depuis deux ans ? Un ronronnement institutionnalisé, qui consacrait jusqu’ici le cavalier seul de l’APR, vit ses dernières heures. Malgré leurs divergences personnelles encore profondes, Wade et Idy pourraient se retrouver au moins sur un même terrain : leur farouche ressentiment pour le régime du président Macky Sall en difficulté avec son image.


Rédigé par leral.net le Dimanche 18 Mai 2014 à 12:25 | | 0 commentaire(s)|

Sorties musclées de Wade et Idrissa Seck: L’opposition revitalisée, le pouvoir en souffrance
Au lendemain de l’alternance du 25 mars 2012, on avait quand même craint que le pire nous arrivât :le scénario, ou disons-le, syndrome malien. Autrement dit, l’irruption d’un redresseur de torts, Macky Sall qui, comme Amadou Toumani Touré au Mali,arrive à rassembler autour de lui une majorité d’idées, une coalition composite dont le seul commun dénominateur est d’avoir contribué à faire partir Wade. A la différence que, contrairement à ATT, Macky Sall disposait d’un embryon de parti, l’APR, et d’un levier de soutien, Macky 2O12, un kaléidoscope d’associations et de formations venues d’horizons divers. La coalition Benno Bokk Yaakaar, force motrice du mouvement qui a amené Macky Sall à la tête de l’Etat,espérait s’installer bien entendu dans une logique de co-gestion du pouvoir – et non de participation à celui-ci. Contraint et forcé par les évènements, Idrissa Seck n’y avait pris part que du bout des mains et de la langue. Discret après sa cinglante défaite à la présidentielle, le PDS est laminé et vole en éclats, produisant ça et là des excroissances,fruits amers de frustrations mal contenues.

Inertie et consensus mou

Très vite, l’inertie s’empara du paysage politique. Faute de véritable contre-pouvoir, le régime s’enkysta dans la torpeur. Les grandes figures emblématiques de la scène politique (Dansokho, Bathily, Tanor, Niasse, Momar Samb et consorts,) jadis farouches opposants, se contentèrent des lambris dorés retrouvés après leur bref compagnonnage avec Wade. Ils avalent des couleuvres et se meuvent dans le confort douillet du pouvoir. Peu ou prou dérangés par les soubresauts du régime, les dérives, les accès népotiques et la gestion patrimoniales du régime, ils laissent faire et pratiquent à merveille esquive et esbroufe selon les circonstances. Histoire de se donner bonne conscience et, surtout, de justifier leur présence dans les allées du pouvoir. Et s’ils arrivaient à l’oublier des « apéristes » étaient là pour leur rappeler leur devoir de solidarité.

Et comment ? Avec une arrogance et une insolence déconcertantes. La première sortie d’Idrissa Seck dans une exclusivité accordée au Groupe Futurs Médias avait ébranlé le dispositif de consensus mou jusque-là en vigueur. Le vaillant maire de Thiès plantera ses premières banderilles dans le corps de la coalition. Pour communiquer sur ses malheurs précédents, il ira même jusqu’à verser des larmes en direct. Non sans avoir décrit et fustigé au vitriol un bilan à ses yeux « insuffisant », une « absence de vision» et, plus tard, une « gestion patrimoniale du pouvoir ». Après une brève lune de miel, ce fut la lune de fiel. Son retrait de la coalition, suivi de très près de celui, il est vrai sans frais, de Fekke Ma Ci Bolé de Youssou Ndour, s’annoncèrent comme les premiers coups de boutoir à un Benno Bokk Yaakaar assurément chevillé à sa léthargie.

On pensait dès que les élections locales allaient enfin secouer le «cocotier» Benno Bokk Yaakaar. Rien n’y fit. La constitution des listes a contribué à révéler au cru du grand jour les ambitions des uns et des autres. Et, surtout, l’incapacité de la coalition à assumer ses différences à l’intérieur du cercle. Dans de pareilles circonstances, la réaction d’un groupe de partis aspirant à gouverner ensemble serait de s’entendre au moins sur un accord commun pour aller aux élections. Comme l’avait réussi dans des conditions plus délicates, Benno Siggil Sénégal, notamment lors des consultations municipales et rurales de 2009. Face au parti au pouvoir, à la faveur de l’unité organique, Benno Siggil Sénégal avait infligé à Wade une défaite retentissante dans les grandes villes du Sénégal dont Dakar. Comment alors une coalition au pouvoir, disposant de tous les moyens matériels, financiers, politiques, n’a-t-elle pas pu se mettre d’accord sur un minimum pour se donner toutes les chances de conserver les grandes villes ainsi que les nouveaux département, érigés maintenant en collectivités locales à la faveur de l’Acte 3 de la Décentralisation ?

L’ennui pour la coalition, c’est que cette réforme n’a pas été partagée par les alliés, dont la plupart se sont contentés de constater le « fait du Prince » imposé par l’APR et son Président. Faute d’accord sur la confection des listes en son sein, on se demande comment l’APR aurait pu en sceller avec ses partenaires. Résultat : cette situation surréaliste avec la bagatelle de 2700 listes, et des scénarios des plus invraisemblables. Des batailles rangées au sein même des principaux partis, entre alliés de Benno Bokk Yaakar, des alliances contre nature et des mésalliances à foison. On aurait pu penser que ces multiplicités de listes concurrentes étaient un enrichissement, si les motivations étaient essentiellement d’ordre programmatique. Visiblement, les intérêts personnels aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de Benno l’ont emporté sur les exigences d’unité pour installer et renforcer la gouvernance locale.

Charivari ou foire d’empoigne

Sans qu’elle y prenne garde, ce charivari, ou foire d’empoigne contribue à décrédibiliser la coalition gouvernementale, et singulièrement à dégrader l’image du Président Macky Sall. Il avait annoncé des ruptures. C’est à des marques de faiblesse, voire d’impuissance, qu’on assiste. Et les dirigeants de Benno, dont certains pouvaient même servir d’alternative au régime actuel, voient eux aussi leur cote d’estime fondre comme neige sous le soleil. C’est le cas de l’AFP et son leader historique, Moustapha Niasse, et du PS avec Ousmane Tanor Dieng. Leur péché, c’est d’avoir refusé non seulement de se poser en alternative crédible –on peut les comprendre après tant de tentatives vaines de conquérir le pouvoir. Mais, pis, ils s’opposent ouvertement et du mieux qu’ils peuvent à l’émergence de nouveaux profils, jeunes, ambitieux, conquérants, à l’image du progressiste Malick Gakou ou du socialiste Khalifa Sall. Au risque même de faire éclater leur parti. Tout cela pour garder de fragiles et éphémères prébendes. La confection des listes pour ces élections municipales a fourni une triste illustration de l’abdication du PS et de l’AFP, entichés dans leur logique participationniste au détriment de l’avenir de leur parti et de la démocratie, tout court. Quant à la LD et au PIT, ces deux partis ex-marxistes ne croient même plus à leur existence politique.

Résultats : l’inertie du gouvernement, la démission et l’enlisement des partis historiques, le dépérissement des partis de gauche devenus des vestiges, des clubs d’amis et d’anciens combattants en fin de carrière politique, hédoniques et bedonnants… tout cela laisse pantois les Sénégalais, habitués à des joutes politiques plus ouvertes. Nos compatriotes ont toujours abhorré le politiquement correct. Ils n’ont pas tout sacrifié pour incarner la démocratie pluraliste en Afrique et dans le monde et se retrouver dans une sorte de démocratie à l’eau de rose où sévissent les logiques de partage, de fruit et d’usufruit.Quoi de plus désolant pour eux ?

On comprend dès lors, pourquoi il a été facile pour les revenants Abdoulaye Wade et Idrissa Seck d’occuper les espaces vides du débat politique. Et pourtant, rien ne jouait en leur faveur, et tout leur était opposable : leur absence du terrain politique pendant de longs mois, le souvenir vivant de leur mauvaise gouvernance antérieure, leur prégnant discrédit après les farces du protocole de Rebeuss et toutes les péripéties politiques qui l’ont précédé. Mais aussi, et surtout, la défaite électorale qu’ils ont subie tous les deux en mars 2012.

Les atouts gâchés du Président

Et pourtant avec les intéressantes initiatives gouvernementales de ces derniers mois (Plan Sénégal Emergent, couverture médicale universelle, bourse de solidarité, financement de l’entrepreneuriat féminin et des jeunes), le gouvernement aurait pu capitaliser ces atouts et les transformer en argumentaire politique. Mais les errements dans la violation des droits des citoyens, comme l’acharnement injustifié contre Karim Wade, les erreurs graves dans le rapt, l’emprisonnement de Hissène Habré, les dérapages antidémocratiques comme les interdictions répétées des marches, la prévalence d’un système népotique et patrimoniale et, par-dessus tout, les faibles résultats de la politique économique, ont fini par lasser et angoisser les Sénégalais.

L’APR à cause de sa boulimie patrimoniale, les scandales d’accusations de trafic de drogue dans la hiérarchie policière, les campagnes agricoles ratées, les promesses non tenues à diverses organisations syndicales, la persistante crise scolaire et estudiantine… n’arrangent pas les affaires d’un gouvernement, peu réactif et pas du tout proactif. On comprend aisément que l’irruption dans la scène politique sénégalaise de deux gros calibres, Wade et Idy, constitue une sorte de bouée de sauvetage à laquelle s’accrochent les Sénégalais malgré eux, sans doute, pour étaler leurs complaintes.

Certes, le discours de ces deux revenants est souvent déplacé. Surtout quand Wade invoque la possibilité d’un coup d’Etat et d’un envahissement du Palais présidentiel, il ressemble davantage au tigre en papier, à l’épouvantail, qui symbolise une menace plus que jamais virtuelle. Au vieux lion édenté, qui peine à finir un quartier de charognes trouvées au hasard. Même si sa principale et même unique motivation est la libération de son fils, Karim Wade, les maux que dénonce Wade sont réellement ressentis par les Sénégalais. Sans doute ne les avait-il pas résolus de son temps. Mais qu’importe. Ils sont là et ont un visage symbolique, le mal-être des Sénégalais fauchés comme des rats d’église et tristes comme des jours sans pain. Les centaines de milliers de Sénégalais, qui le suivent à chacun de ses déplacements, veulent entendre un discours d’espoir face à la désespérance ambiante. Ils cherchent aussi à se remotiver, à retrouver un surcroît de frénésie, pour montrer qu’ils n’ont pas envie de sombrer dans la résignation.

Idrissa Seck n’a pas la même baraka ou, disons, le même talent que Wade. Son ton revanchard et amer limite la portée de ses mots. Et surtout quand il reproche au Président Macky Sall de ne pas être mesure de terminer les chantiers de Wade. Il prête à sourire quand il évoque le népotisme effectif du Président actuel, en oubliant qu’il avait admis dans son gouvernement un peu moins d’une dizaine de ministres d’origine thiessoise voisins d’un même pâté de maisons. L’homme des chantiers de Thiès, de la grappe de convergence, peut-il autant se draper d’audace pour reprocher de telles pratiques à Macky Sall ? Certainement pas!

Mais hélas, la nature ayant horreur du vide, elle se laisse occuper, malgré elle, par d’illégitimes revenants. Faute d’avoir su prendre toute la mesure de la gravité de la situation objective des Sénégalais et de l’urgence de lui trouver les solutions attendues, le Président a permis à l’opposition, incarnée par Idrissa Seck et Wade, de retrouver du crédit auprès des Sénégalais qui avaient toutes les raisons de leur en vouloir… A vie. Pour le gouvernement, le feu couve sous la cendre. Un virage mal négocié sur les questions cruciales de l’heure pourrait bien lui coûter cher. Très cher…

ALY SAMBA NDIAYE

LE TEMOIN