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Tour d’Afrique des coupures d’électricité :

« Nous vivons une psychose généralisée, on n’arrive plus à supporter cette situation »
Ils ont été nombreux à s’exprimer ce lundi sur RFI pour commenter la sortie des imams de la banlieue de Dakar, qui ont invité les consommateurs sénégalais à « délester » la Senelec ainsi que les factures d’électricité. Du Bénin au Sénégal en passant par le Nigéria, le Tchad et la Guinée, les délestages et coupures d’électricité sont devenus le lot quotidien des populations. Une situation qui n’a que trop duré, et qui a incité les imams de Guédiawaye décréter le boycott du paiement des factures d’électricité.


Rédigé par leral.net le Mardi 3 Août 2010 à 11:09 | | 0 commentaire(s)|

Tour d’Afrique des coupures d’électricité :
« Nous ne sommes pas prêts à payer des factures sans avoir de l’électricité en permanence », s’était indigné l’Imam Youssouf Sarr, chef de file du collectif des imams de Guédiawaye, dont la manifestation prévue samedi dernier contre les coupures d’électricité, a été interdite par les autorités de Dakar. Sur RFI, les auditeurs d’« Appels sur l’Actualité » ont fait le procès de l’énergie dans leurs pays respectifs.
« Nous vivons une psychose généralisée, on n’arrive plus à supporter cette situation » martèle Fatou, une auditrice, qui depuis Dakar, vide son sac devant le calvaire et les désastres que leur fait subir la Senelec, la société nationale d’électricité. Pour elle, la situation est devenue intenable. « On ne peut plus faire les courses, on doit cumuler avec les bruits des groupes électrogènes, on est complètement en état de psychose. » Sans mentionner les températures, aussi insupportables que les coupures d’électricité. « Il fait chaud, les gens n’arrivent plus à dormir dans les chambres. On ne peut pas ouvrir les portes et les fenêtres pour aérer à cause des moustiques. Quand on ferme, on crève de chaleur. Quand on sort dehors, les groupes électrogènes vous donnent des maux de têtes interminables. Il faut vivre la situation pour voir comment on la subit. » Et encore, tout le monde n’a pas les moyens de se procurer un groupe électrogène. Selon elle, le rôle des imams ne doit pas se résumer seulement à prêcher, à faire des prières et à recevoir de l’aumône. Des imams qu’elle préfère de loin à l’Ascosen, l’association de consumériste, restée presque aphone sur la situation. « Les associations consuméristes ne foutent absolument rien. L’Ascosen par exemple n’a jamais défendu les intérêts des consommateurs » devant la flambée des prix, le gaz, les opérateurs de téléphones et les banques qui imposent des prix exorbitants. Une raison suffisante pour valser au rythme de la mélodie composée par les imams : « j’invite les Sénégalais à être vigilants, j’ai peur que la Senelec répercute sur les factures les pertes qu’elle a subies », conclut-elle.
Sa compatriote Rama n’entend pas les choses de la même oreille, quoique les coupures de courant soient une triste réalité dans le pays. Ce qui ne l’empêche pas de jeter quelques pierres dans le jardin des imams, dont elle n’est pas convaincue de la bonne foi. « Au Sénégal, on a une tradition bien ancrée dans notre culture, à chaque fois qu’il y a eu des différents, les imams ou les hommes religieux jouent les médiateurs pour chercher des solutions pérennes. C’est dommage que ce soit eux qui jouent ce rôle aujourd’hui. » A la place, Rama préfère l’implication des associations de défense des consommateurs, comme l’Ascosen. Qu’en est-il alors de la situation dans le reste du continent, étant donné que « 1 africain sur 4 n’a pas accès à l’électricité ? »
« On attend le jour où Jésus viendra au Congo pour nous mettre le courant »
Pour ce ressortissant du Congo Brazzaville basé en France, l’initiative des imams sénégalais est tout simplement inimaginable dans son pays. « Les imams au Sénégal s’organisent, mais si c’était des prêtres au Congo, on allait fermer des églises », confie-t-il. « Au Sénégal au moins, les gens tentent de s’organiser, alors qu’au Congo, çà fait 20 ans que çà dure. C’est devenu un état normal. Y a pas de courant mais les factures tombent. » Quant aux consommateurs, pour la plupart, ils ont cumulé des dettes et sont obligés de payer, sans quoi ‘ils n’auront pas de lumière le jour où le Congo aura le courant’, menacent les responsables de l’énergie. « On attend le jour où Jésus viendra au Congo pour nous mettre le courant », ironise le Congolais. Une situation presque identique au Bénin, qui connaît bien les coupures. Même si les populations peuvent sortir manifester dans la rue, la surfacturation semble les préoccuper plus que les délestages. « On nous demande de payer la facture d’abord, avant toute réclamation. Sinon on vient vous enlever votre compteur », se désole le Béninois, qui aurait tout de même souhaité voir une association de consumériste à la place des imams du Sénégal, dont leur pays n’est pas seul à vivre le calvaire des délestages, comme l’explique cet auditeur nigérian : « C’est un problème terrible, on est restés 3 ans sans électricité », ce qui les oblige tous à acheter des groupes électrogènes, du moins, pour ceux qui peuvent se permettre ce luxe, pour ne pas dire nécessité. « Des personnes sont mortes asphyxiées par le gaz à cause des groupes électrogènes», révèle-t-il. Même son de cloche du côté de Conakry. « Depuis l’indépendance de la Guinée, on ne parle pas de délestages, mais de coupures d’électricité. Vous pouvez faire 24h ou 72h à Conakry sans avoir le courant. » Pour cet auditeur, les imams ont raison de mobiliser les populations, car l’électricité est un besoin élémentaire au même titre que la nourriture et les transports. Non sans mettre en garde contre une quelconque récupération politique, tout en invitant les religieux à ne pas rencontrer le ministre de l’énergie : « Il faut que les imams réussissent à éviter une récupération de leur mouvement par les organisations politiques, c’est déjà arrivé en Guinée », où les mouvements politiques ont profité de la situation pour négocier des postes ministériels. Une situation assez similaire dans le pays d’Idriss Débi : « C’est ce qu’on vit depuis des décennies au Tchad. On a l’électricité deux fois dans le mois, deux fois le dimanche. Personne ne dit rien, personne ne réagit.»
« Les députés de Wade ont offert une tribune au ministre de l’énergie pour s’expliquer »
Emmanuelle Bastide, animatrice de l’émission, n’a pas manqué de requérir l’avis d’un spécialiste de la question de l’énergie. Bacary Touré, journaliste sénégalais basé à Paris, a écrit un livre, fruit d’une enquête sur l’énergie au Sénégal. A propos du combustible soi-disant défectueux fourni par le SAR (Société Africaine de Raffinage), Bacary Touré précise : « la Sar ne livre pas de produit, elle fait juste du raffinage. » Sur l’audition de Samuel Sarr devant les députés, le journaliste met en garde : « le ministre de l’énergie n’a jamais été auditionné par l’assemblée nationale. Les députés de Wade lui ont offert une tribune pour s’expliquer », dira-t-il avant de saluer l’initiative de l’imam Sarr, un homme à la retraite, qui « a senti son peuple dans le besoin, et est venu à son secours. On ne peut pas le soupçonner de corruption. Lui seul peut pousser la Senelec à revoir sa position.»
Quant aux populations de Guédiawaye, qui étaient déjà dans la rue en 2008 pour dénoncer les coupures et la double facturation, Bacary touré s’en félicite, et y voit « une victoire parce que la Senelec a reculé devant la pression populaire. Elle a depuis lors renoncé à la double facturation ». Le journaliste a profité de l’antenne pour lancer un appel aux populations, qu’il invite à suivre l’imam Sarrr dans son combat, qui consiste à boycotter le paiement des factures d’électricité. « Un seul jour de collecte à la Senelec équivaut à 500 millions de Francs CFA. Si les gens restent 2 jours sans payer les factures sur l’ensemble du territoire national, le président sera dans l’obligation de réagir », a-t-il conclu. En tout état de cause, si René Dumont est convaincu que l’Afrique noire est mal partie, les usagers de l’électricité, quant à eux, ne doutent pas une seule fois, que ce soit le cas en matière d’énergie. En attendant, faudra peut-être retourner à l’ère de la bougie, comme l’avait suggéré le président Wade.

Momar Mbaye
mbayemomar@yahoo.fr
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