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Verbatim - Me Khassimou Touré se confie au Pop : "La question de l’indépendance de la magistrature, c’est une équation à résoudre"

Gawlo.net dans sa nouvelle rubrique »VERBATIM », choisit des textes fondamentaux qui sont les meilleurs sorties dans la presse pour les publier et les faire partager avec les lecteurs et les internautes. Délectez-vous, sans modération, avec cette interview d’une haute facture que l’éminent Me Khassimou Touré – reconnu comme un ténor du barreau et un redoutable procédurier- a accordé à nos confrères du quotidien »POP ».


Rédigé par leral.net le Mardi 17 Mars 2015 à 09:41 | | 0 commentaire(s)|

Verbatim - Me Khassimou Touré se confie au Pop : "La question de l’indépendance de la magistrature, c’est une équation à résoudre"
Comme tous les Sénégalais, vous avez suivi le procès de Karim Wade et ses co-acusés. De manière globale, quel commentaire faites-vous de la manière dont la traque des biens mal acquis est menée ?

Les avis sont partagés sur cette affaire. Pour les uns, c’est une chasse aux sorcières, pour les autres, il s’agit de faire les comptes, c’est ce que l’on a appelé la reddition des comptes. Les uns ont déploré la manière dont cette traque est faite, les autres ont dit que cette traque se fait conformément aux lois et règlements en vigueur. Pour ce qui me concerne, personnellement, je pense que – et j’ai eu l’occasion de le dire sous d’autre cieux – que la manière avec laquelle la traque aux biens mal acquis est menée peut laisser planer beaucoup de doutes et de scepticisme sur sa finalité. Certains ont déploré la manière sélective dont cette traque aux biens mal acquis est faite. On a dit que, depuis que l’ancien procureur Spécial, Alioune Ndao, à l’occasion de sa fameuse conférence de presse, avait sorti une liste de dignitaires de l’ancien régime, le bilan des poursuites est maigre. Parmi les dignitaires de l’ancien régime, qui ont eu à être cités expressément par l’ancien procureur Spécial, il n’y a que le nom de Karim Wade qui est apparu. Il n’y a que les poursuites contre Karim Wade qui ont pu aboutir à un jugement. Sous cet angle, d’aucuns ont parlé de poursuites sélectives, de chasse aux sorcières sélective, de traque aux bien mal acquis sélective, pour empêcher à un éventuel candidat à l’élection présidentielle future de se présenter et de pouvoir requérir le suffrage des Sénégalais. Sous cet angle, donc, il y a beaucoup de choses à redire. Avant cela, on a longuement eu à épiloguer sur la légalité ou non de la juridiction qui serait chargée de juger les délinquants financiers, ceux qui feraient l’objet de poursuites dans ce qu’on appelle la traque aux biens mal acquis. Une institution qui était tombée en désuétude, qui a été créée en 1981 par le Président Abdou Diouf. Beaucoup ont épilogué sur cette Cour qui a été créée par une loi spéciale pour un but bien déterminé. Pour certains, cette Crei n’avait pas sa raison d’être, et que les juridictions de droit commun étaient compétentes, avaient suffisamment de ressources pour pouvoir organiser des procès de ce genre, organiser les procès relatifs à la reddition des comptes et en tirer toutes les conséquences de droit. Mais, ce débat doit être, aujourd’hui, dépassé.

Pourquoi ce débat doit être dépassé ? Expliquez-nous Maître !

Le débat sur la légalité ou non de la Crei doit être dépassé, pour la bonne et simple raison, que notre charte fondamentale, la Constitution de la République du Sénégal, a été convoquée par une des parties au procès, à travers ce qu’on a appelé l’exception d’inconstitutionnalité, lorsque la Cour suprême avait été saisie d’un recours. On n’aurait parlé de question préjudicielle de constitutionnalité en France. Au Sénégal, on a parlé d’exception d’inconstitutionnalité. Et à cette occasion, et conformément à la loi qui organise le fonctionnement de la Cour suprême et du Conseil constitutionnel, ladite Cour, dans sa formation criminelle, avait déféré à la censure du Conseil constitutionnel la l’égalité de la Crei en demandant au Conseil constitutionnel de voir si les textes qui organisent la Crei sont constitutionnels ou pas, sont conformes à notre Constitution ou pas. Mais, ce Conseil constitutionnel est considéré par certains auteurs sérieux comme une juridiction politique avec tout ce que cela comporte comme charge péjorative.
Ce Conseil constitutionnel, après avoir statué, a dit que rien dans notre charte fondamentale n’a été violé par la Crei, et que, par voie de conséquence, la Crei et les textes qui l’organisent sont conformes à notre Constitution. Et le premier enseignement à en tirer, c’est que jusqu’à preuve du contraire – parce que les décisions du Conseil constitutionnel sont des décisions en premier et dernier ressort – il n’y pas de voie de recours devant le Conseil constitutionnel. Après les décisions du Conseil constitutionnel, ces décisions sont versées dans le commerce juridique, et par voie de conséquence, la Crei, aujourd’hui, est dans le commerce juridique et judicaire. Ce débat doit être dépassé. Certes, certains principes standards, certains standards internationaux qui organisent des procès équitables et justes sont mis à rude épreuve, dans le cadre des textes qui organisent la Crei.

Qu’est-ce qui vous gêne véritablement avec cette juridiction ?

Il y a l’absence du double degré de juridiction qui est un droit fondamental. Qui signifie quoi ? De façon sommaire que, si une décision est rendue dans une affaire, et que vous n’êtes pas satisfait de la décision, vous pouvez saisir un palier supérieur, une juridiction supérieure, pour lui déférer la décision qui était rendue et lui dire d’apprécier ladite décision pour savoir s’il y a eu une bonne et saine application de la loi. Cette absence du double degré de juridiction n’est pas totale, elle est même sélective. Je vous donne un exemple : lorsqu’une décision de non-lieu est rendue par la chambre d’instruction de la Crei, une voie de recours est accordée au procureur Spécial pour interjeter appel de ladite décision, alors que ce droit n’est pas accordé aux autres parties en procès. Ce qui est inéquitable. Ce qui ne rencontre pas l’adhésion des juristes qui pensent que le Sénégal, actuellement, qui est en train de consolider ses règles juridiques, sa gouvernance juridique, ne devrait pas s’accommoder de certains principes anachroniques, parce que dépassés. Il y a un autre dysfonctionnement d’organisation de la Crei qui a été décrié, c’est relatif au renversement de la charge de la preuve. Il y a deux types de procès. Pour rechercher la preuve, parfois, on est dans une procédure inquisitoire. Parfois aussi, nous pouvons nous retrouver dans une position récusatoire, et la preuve est un élément essentiel dans un procès, lorsque la charge de la preuve incombe, non pas à l’accusateur, mais à l’accusé. Pour certains juristes, d’éminents juristes, cela pose problème. Le renversement de la charge de la preuve ne doit plus être mis dans un système démocratique où l’Etat de droit en est le socle, parce que la démocratie ne peut pas aller sans le droit. Le droit ne peut pas aller sans la démocratie. Donc, ce couple droit-démocratie, c’est un couple qui doit aller de pair, c’est un couple qui ne doit pas être fragilisé, c’est un couple qui ne doit pas être piétiné, c’est un couple qui ne doit pas écrasé, pour la bonne et simple raison que, si la démocratie, pour parler comme l’autre, est le nerf du système, à l’exclusion de tous les autres, le droit en est le ciment, en est l’âme. Donc, on ne peut continuer à construire un Etat de droit, à poser les charpentes fondatrices d’un Etat de droit, sans que les principes standards qui organisent un procès juste et équitable, ne soient convoqués.

Que prônez-vous alors face à cette situation ?

Le sujet est vaste à ce niveau. Il y a des thèses, il y a des antithèses, et il y a eu une synthèse. La synthèse, c’est de prendre ce qu’il y a de bien dans la Crei et d’en rejeter ce qui est mauvais. Faire une synthèse entre ce qu’il y a de mieux dans notre commerce juridique pour la manière, parce que la corruption est prévue par le droit commun, la procédure est prévue par le Code de procédure pénale, et que, donc, on peut puiser dans la corbeille du droit commun et dans la corbeille qui organise la Crei pour créer une chambre toujours spéciale, mais qui respecterait les principes fondateurs d’un procès juste et équitable.

Est-ce à dire que sur ce dossier vous êtes resté sur votre faim ?

Je suis resté sur ma faim, pour la bonne et simple raison que, quelle que soit la décision qui sera rendue, il y aura toujours un goût d’inachevé, pour la bonne et simple raison que, si on avait pris toutes les dispositions utiles, après avoir peaufiné, tamisé, fait le le tri des textes qui organisent la Crei et l’adapter aux contingences actuelles de ce que nous voulons construire, un Etat modèle, un Etat de droit, si ce préalable avait été fait, les décisions qui seraient rendues seraient beaucoup plus comestibles, seraient beaucoup plus digestes, parce qu’il ne faut pas l’oublier, encore une fois, la justice est rendue au nom du peuple sénégalais, et que les décisions de justice qui seront rendues sont avant tout pour une consommation intérieure. Et le drame, ce qu’il faut éviter, c’est qu’avec certaines décisions qui sont rendues, qu’on en vienne à ce que le peuple, pour qui la justice est rendue, commence à douter de ces décisions de justice, commence à remettre en cause ces décisions de justice. Ca va fragiliser, ça va piétiner le couple Etat de droit-démocratie, droit-démocratie. Donc, comme je le disais, je suis resté sur ma faim, comme de nombreux Sénégalais sont restés sur leur faim. Je ne veux pas préjuger de la décision qui sera rendue, mais ce dont je suis sûr, après avoir tâté le pouls de beaucoup de juristes de ce pays, de beaucoup de Sénégalais lambda, c’est que la Crei n’est pas totalement acceptée dans notre commerce juridique et judiciaire.

Parmi les ruptures annoncées par le nouveau régime figure en bonne place la séparation des pouvoirs. Y a-t-il véritablement une séparation des pouvoirs au Sénégal ?

La séparation des pouvoirs est un vœu pieux. La séparation des pouvoirs a une longue histoire. Montesquieu en a parlé dans «De l’esprit des lois», d’autres éminents juristes en ont parlé pour dire que pour qu’il y ait équilibre dans l’Etat, il faut que les pouvoirs se contrôlent entre eux, que chacun connaisse son domaine de compétence, et que l’équilibre entre les pouvoirs soit instauré. Et l’on a dit qu’il y trois pouvoirs qui sont consacrés par notre Constitution. Le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judicaire. Mais, aujourd’hui, ce que nous remarquons, c’est que lorsque le régime en place est un régime présidentialiste, il bouffe les autres pouvoirs qui sont à sa solde. Parce que c’est l’exécutif qui détient le monopole de la guerre, le nerf de la guerre. Il détient les deniers publics, et il détient le pouvoir de nomination. Ces pouvoirs sont définis par la Constitution. Le pouvoir exécutif, comme son nom l’indique, exécute, le pouvoir législatif crée la loi, et le pouvoir judiciaire est chargé d’appliquer la règle de droit. Mais, pour que ce principe de séparation des pouvoirs ne soit plus un vœu pieux, mais une réalité concrète, il faut que ces pouvoirs, ces différents pouvoirs, aient des compétences bien déterminées. Chacun pour ce qui le concerne, et que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir, pour parler comme Montesquieu. Pour que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir, et que l’équilibre des pouvoirs soit une réalité concrète, il faudrait que l’on repense le système de régime politique que nous voudrions pour notre Etat. Certains ont pensé, à juste raison, que le régime parlementaire rationnalisé serait le mieux adapté, aujourd’hui, pour nous. Il y a le régime présidentiel, le régime parlementaire. Aujourd’hui, on a instauré un troisième régime qui semble faire l’unanimité, c’est le parlementarisme rationalisé. Pas trop de parlementarisme, pour qu’il y ait un gouvernement des députés, mais pas moins de parlementarisme, pour éviter que le pouvoir exécutif règne souverainement sur les autres pouvoirs, exerce sa pression sur les autres pouvoirs. Donc, si nous pensons mettre en place ce qu’on a appelé le régime parlementaire rationalisé, en donnant pas trop de pouvoir au législatif, mais en lui donnant des pouvoirs qui lui permettraient de contrôler les autres corps de l’Etat, ce serait mieux. Ce qui est dramatique comme je le disais, c’est lorsque ça affecte le corps, lorsque ça affecte le pouvoir judiciaire.

Maître, pouvez-vous être plus explicite ?

Le pouvoir judiciaire a d’énormes pouvoirs. C’est le dernier garant de la liberté. C’est le gardien de la liberté. C’est le gardien d’une bonne application de la règle de droit. Lorsque ce pouvoir est assujetti, cela veut dire que l’Etat de droit est assujetti. Cela veut dire que l’Etat de droit est arrimé à d’autres pouvoirs, à d’autres leviers, et ça devient dangereux pour notre Etat. C’est pourquoi on a parlé d’indépendance de la magistrature, mais j’ai toujours dit, et je suis fondé de croire que l’architecture actuelle du système ne permet pas de promouvoir l’indépendance de la magistrature. Qui en est le président ? Le président du Conseil supérieur de la magistrature, c’est qui ? C’est le président de la République. Le Vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, c’est qui ? C’est le ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Les magistrats peuvent être promus par des décrets, les pouvoirs qui leur sont conférés peuvent être retirés par un acte administratif. Et pour sanctionner un magistrat, la formule qui a été empruntée, la formule qui est usitée, on a parlé d’inamovibilité des magistrats du siège, c’est la nécessité de service qui est une formule creuse, qui est une formule biaisée, qui permet de sanctionner un magistrat qui ne serait pas à la solde de ce que le pouvoir exécutif voudrait qu’il fasse, et on peut le muter à Fongolimbi, pour dire que c’est par nécessité de service. Et malheureusement, il n’y a aucune voie de recours qui est exercée contre cette décision de muter un fonctionnaire de l’Etat dans un poste où il doit officier. C’est le laisser à la distraction du pouvoir public. Et comme j’ai souvent eu à le dire, la question de l’indépendance de la magistrature, c’est une équation à résoudre.

Que faut-il faire pour que cette indépendance de la justice soit une réalité ?

Pour que cette indépendance de la justice soit une réalité, il faut que la volonté politique y soit. On a beau crier sur tous les toits que le pouvoir exécutif n’interfère pas dans les décisions qui sont rendues, mais la réalité est toute autre. Qui définit la politique pénale de ce pays ? C’est le pouvoir exécutif. L’organisation judicaire est réglementée par quoi ? Par un décret. Un décret pris par qui ? Par le pouvoir exécutif. Donc, je suis fondé de croire qu’il n’y a pas le départ nécessaire. Il n’y a pas le recul nécessaire entre les pouvoirs pour que chacun puisse jouer et jouir pleinement des prérogatives qui sont rattachés à sa fonction et qui sont consacrés constitutionnellement. Malheureusement, la forme de gouvernement, la forme de régime mis en place dans notre pays ne plaide pas en faveur de l’indépendance de la justice et a fortiori de l’indépendance des magistrats.

Donc, on ne peut parler de séparation des pouvoirs… Pour moi, il n’y a pas de séparation des pouvoirs. La forme est là. On l’a consacrée constitutionnellement, mais tout le monde sait, à l’épreuve, que tous les autres pouvoirs sont assujettis au pouvoir exécutif. A l’Assemblée nationale, par exemple, tous les projets élaborés par le gouvernement sont examinés, étudiés et passent en général. On a entendu rarement parler de propositions de lois qui aboutissent, qui connaissent une suite, alors que le pouvoir législatif, comme le pouvoir exécutif, a la prérogative de susciter une loi, soit par le projet, si ça vient du gouvernement, soit par la proposition, lorsque ça vient d’un député. Et que, donc, je suis fondé de croire que la séparation des pouvoirs est un vœu pieux, mais, dans la réalité des faits, à l’épreuve, cette séparation est plus fonctionnelle qu’effective.

Quelle sont les réformes judiciaires que vous suggérez ?

J’ai suivi la dernière actualité qui a été de mettre en place de nouvelles formes d’institutions pour rapprocher les justiciables de la justice. Parce que la finalité de la justice, en fin de compte, c’est quoi ? C’est de permettre au justiciable de croire en sa justice et de le rapprocher de cette même justice. Et qu’ensuite, la procédure de saisine de la justice soit assainie, soit beaucoup moins lourde et accessible à tout le monde. Donc, l’actualité actuellement, l’actualité sur la réforme, c’est de changer certaines formes de juridictions. Les tribunaux départementaux et les tribunaux de première instance vont être éliminés, vont être changés. On va parler maintenant de tribunal d’instance et de tribunal de grande instance. De nouveaux arrondissements judiciaires seront créés. Avec la réforme qui est en cours, on va assister à l’érection de nouveaux tribunaux de grande instance. Par exemple, Mbacké va bénéficier d’un tribunal de grande instance, Mbour va bénéficier d’un tribunal de grande instance. On a aussi parlé du remplacement des Cours d’assises par des Chambres criminelles qui auront l’avantage d’amoindrir les détentions préventives, d’accélérer les procès et de désengorger les Maisons d’arrêt et de correction. Donc, je crois que c’est des réformes globalement positives qui, si elles sont mises à exécution, avec le maximum d’efficience et d’efficacité, peuvent permettre de prendre en charge les lourds contentieux qu’il y a dans ce pays, parce que le Sénégal est un pays de contentieux. Les gens ont le réflexe – il faut le saluer – de saisir les juridictions, lorsque des problèmes se posent entre eux. Ce qui est dramatique, ce qui est mauvais, c’est de se faire justice soi-même. Ce que nous avons vu, en tant qu’acteur de la justice, c’est que le Sénégalais est prompt à saisir la justice pour être rétabli dans ses droits, et c’est tout à l’honneur de l’Etat de droit que nous voulons construire.

L’arrestation d’un informaticien de la Crei, accusé d’avoir transmis des informations à la défense, dans l’affaire Karim Wade, n’est-elle pas de nature à décrédibiliser le système judiciaire sénégalais ?

Non ! Cela ne peut pas affecter le système judicaire sénégalais. Cela ne peut pas décrédibiliser le système judiciaire sénégalais, pour la bonne et simple raison, que le système judicaire sénégalais, pour votre gouverne et pour la gouverne de l’opinion publique, est un système sécurisé. L’un des systèmes judicaires les plus appropriés dans le monde, à part quelques scories et quelques impuretés, bien sûr. C’est un système judiciaire respectable. Ce ne sont pas des digressions de ce genre, un informaticien qui serait pris, qui peuvent affecter le fonctionnement normal et régulier du service public de la justice. Le service public de la justice au Sénégal est un service public respectable, et comme je le disais, il conviendra tout simplement de repenser ce système, de l’améliorer, de le faire adhérer au maximum de Sénégalais possible, au maximum des acteurs du système judicaire, pour que nous parvenions à atteindre le sommet standard en la matière. Il n’y a aucun système juridique au monde qui est achevé. Le système juridique, comme le système démocratique, sont toujours des systèmes à parfaire. Même l’Etat, qui est considéré comme la forme la plus achevée de l’organisation sociale, connaît des limites, aujourd’hui. Et la science politique a commencé a posé la problématique de la légitimité de l’Etat. Est-ce qu’aujourd’hui cette forme achevée, presque achevée de l’organisation sociale, de la vie en communauté, c’est-à-dire l’Etat, est apte à prendre en charge les contingences, la mondialisation, les phénomènes sociaux nouveaux ? La science politique d’aujourd’hui se penche avec sérieux sur la légitimité de l’Etat pour voir si on ne peut pas pousser la réflexion et la dynamique jusqu’à trouver une autre forme d’organisation des sociétés humaine supérieure à l’Etat et qui serait mieux à même de capter, d’apprivoiser et de domestiquer les problèmes qui se posent à nous.

Restons dans le domaine de la justice. Où est-ce que vous en êtes avec l’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam, en tant qu’avocat de la partie civile ?

Je suis l’avocat de la partie civile dans une affaire qui interpelle ma communauté, parce que je me considère comme un mouride, jusqu’à preuve du contraire, bien sûr. C’est une affaire douloureuse. D’abord, à cause de sa sensibilité, parce que l’un des protagonistes est un éminent membre de la famille mouride, une icône de la société sénégalaise. Mais, en face de lui, il y a des gens, d’honnêtes citoyens qui ont fait l’objet de meurtres dans des circonstances dramatiques. Donc, la question qui se pose est de voir comment gérer cette tension entre cet éminent membre de la société sénégalaise et le crime qui a été commis de façon atroce. Comment gérer ce contentieux, sans flétrir les fondamentaux de notre société, sans flétrir l’une des parties au procès, mais aussi, sans gêner les pouvoirs publics en place. On ne m’a jamais entendu parler dans cette affaire, pourtant je suis partie civile dans cette affaire.

Je défends la veuve et l’orphelin. Et j’ai des relations particulières avec le mis en cause. Donc, vous voyez ma posture. Ils ont fait des sorties publiques pour écraser mes clients, pour piétiner mes clients, mais mon éducation et la posture que j’ai dans la communauté mouride ne m’autorise pas à verser dans l’anathème et à jeter l’opprobre sur qui que ce soit. On va inéluctablement vers un procès, je défendrai, s’il plaît à Dieu, la veuve et l’orphelin, conformément aux règles de l’art, dans la courtoisie et dans la discipline qui sont des traits fondamentaux du mouride. Je les défendrai, parce qu’avant de prendre le dossier en charge, j’ai requis les avis autorisés. Et ces avis que j’ai eus avant de prendre cette affaire en main, m’ont sécurisé, m’ont demandé de faire mon travail, dans le principe des enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba et du respect de la règle de droit, parce que nous sommes dans un Etat de droit. Et dans un Etat de droit, il y a des règles qui fonctionnent, il y a des règles qui organisent la vie en société, l’harmonie dans la société, et lorsque quelqu’un transgresse ces règles, c’est normal qu’on le sanctionne, s’il est coupable. Avec l’organisation judiciaire de ce pays, le système répressif, l’application de la règle de droit, je crois que la lanterne de tous les Sénégalais sera édifiée sur les tenants et les aboutissants de cette douloureuse affaire. J’ai foi en la justice de notre pays. Je n’ai pas voulu porter presse comme les autres l’ont fait, et je pouvais crier au haro, dire ce que je pense de ce dossier. Ce dossier est là dans mon cabinet, j’en connais un peu, mais personne ne m’a jamais entendu parler de cette affaire. Je suis en train de souffrir avec mes clients dans notre coin. Il y aura un jugement, ici, mais demain, il y aura un autre jugement devant l’être suprême.
Donc, vous me permettrez de ne pas entrer dans le fond du débat, surtout que cette affaire a été clôturée, et que, certainement, il y aura renvoi des accusés devant une Chambre criminelle, si tenté que la Chambre criminelle, au moment où le procès se déroulera, serait mis en place.

En tant qu’observateur de la scène politique, que vous inspire la sortie de Me Wade taxant son successeur, Macky Sall, de descendant d’esclaves et d’anthropophage ?

Ça m’a fait très mal, mais mon éducation ne m’autorise pas à jeter l’opprobre sur une personne âgée, surtout que cette personne âgée, à l’image de beaucoup de Sénégalais, a eu à avoir mon destin, après Dieu, entre ses mains. Je ne vais pas jeter l’opprobre sur lui, mon éducation ne me le permet pas. Mais, je voudrais dire, que le commun vouloir de vie commune, pour parler comme Ernest Renard, n’est pas un vain mot. Le génie sénégalais a eu à transcender des questions beaucoup plus pertinentes que celle-là. Ce que je déplore, par contre, et ce que je voudrais dire, c’est que la société sénégalaise est une société hypocrite. C’était une occasion, un prétexte de poser le débat sur la classification des classes sociales, sur certains phénomènes sociaux qui gangrènent notre République, qui gangrènent notre société, au lieu de ruer dans les brancards, comme on dit. Ça devrait être un prétexte pour la réflexion, pour interpeller la conscience des Sénégalais sur ces questions qui sont anachroniques, dépassées. Vous vivez, dans votre quartier, avec des gens à qui on donne une certaine classe sociale. Ça se voit dans notre pays, dans nos villes, dans nos familles, dans nos quartiers, et nous vivons avec. Tel ne pourrait pas être l’époux de telle ou telle ne pourrait être l’épouse de tel. Tel ne doit pas être coiffeur ou tel autre ne doit pas être forgeron. Qu’est-ce que cela signifie ? Alors, que c’est la division du travail, alors que ce sont des travaux très nobles. Au lieu de saisir cette opportunité, même si elle est malheureuse, bien sûr, pour poser les véritables questions qui gangrènent la société sénégalaise, on pratique la politique de l’autruche, en s’enfonçant la tête dans le sable. C’était un prétexte pour les journalistes, pour poser ce débat sur la table, d’interroger les sociologues, les psychologues, les juristes, le Sénégalais lambda. Autant j’ai mal à qualifier les propos du Président Wade, autant je réprouve, avec la plus grande énergie, les quolibets et les invectives qui ont été jetés sur lui. C’est une fuite en avant. C’est caresser Macky Sall dans le sens du poil. Ce n’est pas lui rendre un bon service. Lui rendre un bon service, c’était de donner l’occasion au peuple sénégalais de poser ces débats, de le regarder avec circonspection, avec objectivité, et d’en tirer des enseignements. Je crois que c’est le meilleur service qu’on pouvait rendre, aussi bien à Me Abdoulaye Wade, qu’à Macky Sall.

Que dites-vous de la posture adoptée par le chef de l’Etat ?

J’ai beaucoup apprécié la posture du Président Macky Sall, un homme pondéré, un homme républicain, un homme sérieux, un Sénégalais imbu des valeurs fondatrices de notre République. Je ne le dis pas pour attendre quoi que ce soit de lui. Je l’ai observé, je l’ai pratiqué, et je sais de quoi je parle. Il n’a pas eu à réagir, il n’a pas eu à parler, à manifester sa colère. Il a été atteint au plus profond de son âme, de son être, mais il a gardé sa dignité. Il a choisi, il a renoncé aux invectives, il a renoncé à la réplique, il a renoncé au débat de bas étage, pour adopter une posture républicaine, et ce choix le grandit davantage. Les Sénégalais sont fiers de lui, de la réponse qu’il a apportée à cette affaire. Feu Lamine Guèye disait : «Tout choix est un renoncement, et tout renoncement est douloureux». Macky Sall a renoncé, a choisi de ne pas répondre à cette personne qui, quoi qu’on puisse dire, est une personne honorable qui a rendu d’éminents services à notre nation, lorsqu’il a été dans l’opposition et lorsqu’il a eu à gérer le pouvoir. Il ne faut pas se voiler la face. Il a eu à trébucher, certes, mais il a rendu d’immenses services à notre pays. En ne répondant pas à cette personne qui a participé à sa formation, qui a participé, ne serait-ce que modestement à ce qu’il est, aujourd’hui, en adoptant un profil bas, Macky Sall est en train de donner aux Sénégalais une véritable leçon de démocratie, une véritable leçon de déontologie, une véritable leçon de sociologie, une véritable leçon de philosophie, pour dire aux Sénégalais : «Il y a d’autres priorités qui m’attendent : vos souffrances, vos besoins, vos souhaits pour un Sénégal émergent. C’est ça des sur priorités, mais pas verser dans l’amalgame et les invectives».

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