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Vidéo - L'écrivain Fatou Diome sur le drame de la Méditerranée : "Si c'était des Blancs, la terre entière serait en train de trembler"

L’auteur de Le ventre de l’Atlantique n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour critiquer les Européens face au drame des migrants dans la Méditerranée. C’est lors de son passage à l’émission de la chaîne française France 3 que Fatou Diome a surpris une fois encore son monde, servant une analyse très aboutie et qui continue de faire le buzz sur les réseaux sociaux.


Rédigé par leral.net le Lundi 27 Avril 2015 à 14:10 | | 0 commentaire(s)|

« Peut-on accueillir toute la misère du monde ? » Ce fut le thème d’un débat animé vendredi dernier sur l’émission « Ce soir ou jamais » de la chaîne française France 3. Présente sur le plateau, Fatou Diome n’a eu de cesse de dénoncer « l’hypocrisie européenne ».

Comme une lionne blessée, mais qui refuse d’abdiquer, l’écrivain sénégalais a dans une analyse très critique osé dire haut ce que beaucoup d’intellectuels et de politiques africains n’ont pas pu jusque-là dire.

En quelques minutes, elle a porté très haut les couleurs du continent, disant d’une voix extraordinairement intelligente et d’une réflexion assez véridique ce que pensent tout haut de nombreux Africains, qui n’ont malheureusement pas le créneau ou le courage de fustiger l’hypocrisie des Blancs.

« Quand vous dites que l’immigration pose un problème, il faut aussi parler des avantages de l’immigration parce que moi, quand je travaille en France, je paie mes impôts ici. Les étrangers qui sont là, il y en a une partie qui peut envoyer [de l’argent] au pays pour aider, mais la majorité paie ses impôts, s’installe dans vos pays, enrichit vos pays. Donc, ce sont des citoyens productifs. [...] », réagit d’entrée de débat Fatou Diome.

L’écrivain sénégalais ne semblait pas du tout partager la position de Thierry Henri Philippe Baudet, historien juriste et essayiste néerlandais, connu notamment pour vouloir un contrôle absolu des frontières étatiques. « Le discours que vous avez serait encore valable si l’Afrique était encore muette », lui a-t-elle dit.

Puis, lui servant à longueur de phrases, les nerfs surchauffés, «monsieur», elle affirme : « Je voulais m’indigner contre le silence de l’Union africaine. Les gens-là, qui meurent sur les plages, et je mesure mes mots, si c’était des Blancs, la terre entière serait en train de trembler. Ce sont des Noirs et des Arabes, alors eux, quand ils meurent, ça coûte moins cher. [...] »

Fatou Diome, plus courageuse que tous les dirigeants africains qui se sont emmurés dans un silence pesant au sujet de cette affaire, poursuit très en verve : «Si on voulait sauver les gens dans l’Atlantique, dans la Méditerranée, on le ferait, parce que les moyens qu’on a mis pour Frontex, on aurait pu les utiliser pour sauver les gens.

Mais on attend qu’ils meurent d’abord. C’est à croire que le “laisser-mourir” est même un outil dissuasif. Et je vais vous dire une chose : ça ne dissuade personne, parce que quelqu’un qui part et qui envisage l’éventualité d’un échec, celui-là peut trouver le péril absurde, et donc l’éviter. Mais celui qui part pour la survie, qui considère que la vie qu’il a à perdre ne vaut rien, celui-là, sa force est inouïe parce qu’il n’a pas peur de la mort. [...].»

L’Europe ne sera plus jamais opulente

La native de la petite île de Niodior, dans le delta du Saloum, au sudouest du Sénégal, essaie-t-elle de disculper ces nombreux migrants, l’inconscience de leur famille, l’inertie des dirigeants africains, de l’Afrique en général, pour ne faire poster le chapeau, la faute de ce drame, de cette catastrophe qu’aux Européens ? Non !

Elle essaie juste dans une analyse sans langue de bois, de montrer que Noirs, Arabes et Blancs, tous sont de nos jours dans une même barque appelée la mondialisation et que laisser les uns mourir, c’est préparer lentement sa propre mort.

D’ailleurs, l’auteur de la nouvelle Les loups de l’Atlantique, parue en 2002 aux éditions Nouvelles Voix d’Afrique, affirme encore : «Au jour d’aujourd’hui, l’Europe ne sera plus jamais épargnée tant qu’il y aura des conflits ailleurs dans le monde. L’Europe ne sera plus jamais opulente tant qu’il y aura des carences ailleurs dans le monde.

On est dans une société de la mondialisation où un Indien gagne sa vie à Dakar, un Dakarois gagne sa vie à New York, un Gabonais gagne sa vie à Paris. Que ça vous plaise ou non, c’est irréversible, alors trouvons une solution collective, ou bien déménagez d’Europe, car j’ai l’intention d’y rester. [...]»

Très clairvoyante, elle insiste : «Quand quelqu’un part [du pays où il est né pour rejoindre l’Europe, Ndlr], c’est comme quelqu’un qui est élu, choisi, peut-être le plus débrouillard. Il y a tout un clan, ou toute une famille, qui pose son espoir sur cette personnelà. Monsieur, là, je vous vois bien habillé, bien nourri. Si vous étiez affamé chez vous, peut-être que votre famille serait ravie d’imaginer que vous pourriez aller gagner de quoi faire vivre les autres. [...]»

«Vos pays deviennent schizophrènes»

Ces propos n’ont pas manqué de mettre mal à l’aise l’historien Thierry Henri Philippe Baudet à qui l’auteur de Le ventre de l’Atlantique s’adressait fixement. Mais ces propos résonnent aussi tel un sermon en direction des dirigeants européens.

«L’espace Schengen, quand il trouve que mon cerveau est convenable, là, il l’utilise. Par contre, ils sont embêtés à l’idée d’avoir mon frère qui n’est pas aussi diplômé que moi et qui pourrait avoir envie de travailler dans le bâtiment. Vos pays deviennent schizophrènes. On ne peut pas trier les gens comme ça, avec les étrangers utiles d’un côté et les étrangers néfastes de l’autre. [...]» dit Fatou Diome.

Et pour mieux préciser sa pensée, elle poursuit : «Quand les pauvres viennent vers vous, il y a des mouvements de foules qu’il faut bloquer, mais quand vous, avec votre passeport et avec toutes les prétentions que cela donne, vous débarquez dans les pays du tiers-monde, là, vous êtes en terrain conquis. Donc on voit les pauvres qui se déplacent, mais on ne voit pas les riches qui investissent dans nos pays. L’Afrique se développe à un taux entre 5 et 10%, ce n’est plus de la progression, c’est de la surchauffe. [...]»

En clair, pour Fatou Diome, les Européens semblent bien maintenir l’Afrique dans une position de dominée. Cet auteur dont les œuvres, fictions pour la plupart, tournent autour de la France et l’Afrique semble dire que l’Afrique est indépendante sans l’être.

«...quand des pays du tiersmonde se développent et qu’ils n’ont pas les moyens pour gérer tout ça, il faut une ingénierie, il faut une formation, il faut des populations pour installer une démocratie. [...] Vous avez besoin qu’on reste dominé pour servir de débouchés à l’industrie européenne. Alors il faut arrêter l’hypocrisie : on sera riches ensemble ou on va se noyer tous ensemble», at-elle conclu.

Une sortie au vitriol qui ne manque pas de faire le buzz sur de nombreux réseaux sociaux.

Le Quotidien

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