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A la recherche du Mahomet de l’histoire: Observations sur les réponses de la professeure Jacqueline Chabbi (par imam Ahmad Kanté, partie 3/3)

Rédigé par leral.net le Jeudi 3 Juin 2021 à 01:22 | | 0 commentaire(s)|

A la recherche du Mahomet de l’histoire : observations sur les réponses de la professeure Jacqueline Chabbi (par imam Ahmad Kanté, partie 3/3)
Jacqueline Chabbi est agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Elle est en particulier l’auteure de : Le Seigneur des tribus. L’islam de Mahomet (rééd. CNRS Editions, 2013), Les Trois piliers de l’islam. Lecture anthropologique du Coran (Seuil, 2016), On a perdu Adam. La création dans le Coran (Seuil, 2019).
 
Le magazine « Le monde des religions » a fait paraitre un entretien réalisé par Virginie Larousse, le dimanche 7 juin 2020[[1]]url:#_ftn1 , avec Jacqueline Chabbi, agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Dans les lignes qui suivent, nous avons jugé nécessaire d’émettre des observations brèves, certes, mais qui remettent en cause des réponses subversives et erronées, à notre avis, que la professeure Jacqueline Chabbi donne à certaines questions. A cette fin, nous reproduisons in extenso, les questions posées par la journaliste et les réponses apportées par la professeure. Puis, nous mentionnons nos observations qui sont autant de réfutations sur ce qui nous semble poser problème dans les réponses de la professeure Chabbi.

Question : Mahomet a-t-il pensé fonder une religion universelle ?

 
« Bien sûr que non ! C’était au-delà de ses horizons de pensée. Mahomet s’adresse initialement à sa seule tribu. A partir du moment où il est banni, son horizon s’élargit. Mais cela ne va pas au-delà de sa société. C’est d’un point de vue tribal que Mahomet réussit à rallier ses contemporains, pas en tant que prophète. »
 
OBSERVATION
 
Si cette assertion de la professeure est vraie, alors il faudrait « supprimer» du Coran tout ce qui a été révélé à la Mecque avant l’Hégire. En effet, pendant environs 13 ans, le prophète Muhammad (saws) récite des versets et lance des expressions qui dépassent les horizons de sa pensée et de ceux des membres de sa tribu. A commencer par «La ilaha illallah». Les versets qu’il récite à la Mecque regorgent de thèmes que sa tribu ignore ou rejette comme les récits sur les prophètes Bibliques ou pas (certains prophètes du Coran ne sont pas mentionnés dans la Bible), la résurrection, le jugement dernier, l’ascension nocturne, le rituel de laprière, l’égale dignité des humains, hommes et femmes, des anges, des noms et attributs de Dieu comme « Ar rahman » (le Miséricordieux), la victoire miraculeuse de Byzance sur la Perse, etc. On peut rajouter les versets qui parlent de l’unité de l’humanité, de la condamnation des injustices faites aux femmes et aux filles, de la primauté de la vertu de « taqwa » (crainte de Dieu), du salut dans l’au-delà, autant de sujets qui n’avaient rien à voir avec ce que croyaient, pensaient et faisaient les Quraichites au temps du prophète Muhammad (saws). Ce qui précède nous met en droit de demander où se trouvent alors les limites des horizons de la pensée de Mahomet ? Comment pertinemment soutenir qu’il ne s’adresse initialement qu’à sa seule tribu ? Aussi, le style du Coran n’a rien à voir avec le parler ordinaire de sa tribu ! Il suffit de comparer les hadiths aux versets du Coran pour en avoir une preuve irréfutable.
 
S’il est vrai qu’il est rejeté par la grande majorité de sa tribu à la Mecque, à Médine, il unit les tribus arabes non pas sur une base tribale mais sur celle de la foi (8, 63 ; 3, 103). En effet, pour des arabes qu’ils étaient, les clans qu’il a trouvés sur place s’affrontaient souvent. De son vivant comme après sa mort, des tensions tribales vont persister. Pour dire que c’est l’adhésion à l’islam qui a uni les arabes devenus musulmans et surnommés al muhâjirûn (les émigrés) et les médinois, al ansâr (les auxiliaires).
 
La professeure Chabbi ajoute : « Avant sa mort, il réussit à mettre sur pied, non un Etat musulman, mais une confédération tribale conforme au modèle politique que lui permet sa société. La socialité tribale reposait sur le principe de l’alliance. Mahomet est obligé de se plier à ce jeu. On attendait de l’allié divin qu’il garantisse à la fois la sécurité des tribus, leurs moyens d’existence et si possible leur expansion. Le Coran ne se lasse pas d’apporter des assurances sur ce plan. »
 
OBSERVATION
 
A Médine, le prophète Muhammad (saws) met en place une Oumma qui unissait, d’une part, les tribus arabes de la Mecque et de Médine par le lien de la foi et de l’islam. Ce type de lien était inédit chez les arabes Mecquois comme Médinois car relevant d’une fraternité qui transcendait l’alliance tribale traditionnelle basée sur le sang et la sauvegarde de la tribu. C’est ce nouveau lien de foi au Coran comme Parole de Dieu révélée au prophète Muhammad (saws) et l’espérance du Salut dans l’au-delà qui va tout changer. C’est ainsi qu’on peut comprendre la signification cruciale de la dénomination de « muhâjirûn » (émigrés) et « ansâr » (auxiliaires) que le Coran donne aux Mecquois qui ont tout abandonné, motivés par une foi sincère et prêts à tous les sacrifices pour le triomphe de l’islam et aux Médinois qui vont les accueillir en tant que frères et sœurs de foi (2, 218 ; 3, 195 ; 4, 100 ; 8, 72-74 ; 9, 20 ; 59, 8-9).
 
Contrairement à ce que soutient la professeure Chabbi, le Coran ne cesse de rappeler à ces nouveaux musulmans que c’est la foi et l’alliance entre croyants qui priment sur les liens de sang et les préoccupations matérielles (9, 24). D’ailleurs, chaque fois que des troubles risquent de conduire à des conflits dans cette nouvelle communauté musulmane, et que les références aux tribus originelles et aux lieux d’origine sont brandies, le Coran et le prophète (saws) rappellent la primauté du lien de foi et de l’action rien que pour obtenir l’agrément de Dieu. Il y a donc clairement naissance d’un lien nouveau de nature radicalement différente de ce qu’il y avait avant. C’est maintenant Dieu qui est le seul Maitre, le Coran est Sa parole venue guider l’humanité une et diverse et Muhammad (saws) qui est son messager est l’exemple à suivre dans son application de la Loi de Dieu. D’autre part, ces musulmans sont liés aux non musulmans que sont les juifs de Médine par une convention ou charte dont l’essentiel du contenu dit que la liberté de religion est garantie à toutes les parties et la solidarité entre elles surtout en matière de sécurité est la règle. Le lien de l’islam a donné à la cité de Médine un nouveau visage et une stabilité qui n’existait pas avant. Ces tribus juives de Médine, aidées en cela par certains arabes qui cachaient leur mécréance (al munâfiqûn – hypocrites), ne cesseront de fomenter des troubles et de chercher à soulever les tribus arabes contre le prophète (saws) jusqu’à son rappel à Dieu.
 
La professeure Jacqueline Chabbi ajoute : « Après la mort de Mahomet, en 632, le moteur des conquêtes que l’on dit « musulmanes » mais qui sont, en réalité, une expansion tribale, repose sur la conviction que l’allié divin donne la victoire. Quand cette victoire se concrétise, la conquête ne peut que s’étendre tant qu’elle ne rencontre pas d’obstacle ».
 
OBSERVATION
 
Commençons par dire que cette notion d’allié divin apparait dans cette réponse sans aucune explication ! En outre, c’est faux de dire que c’est l’expansion tribale qui était recherchée ou, à tout le moins, faudrait-il le démontrer. On ne voit pas dans les réponses de la professeure l’ombre d’un début de preuve de cette assertion. Quand on regarde par exemple les courriers que le prophète (saws) envoie aux souverains de son époque, nulle trace de quelque chose qui soit liée à sa tribu…la victoire de Badr est celle des musulmans émigrés (al muhâjirûn) et auxiliaires (al ansâr) contre les Mecquois hostiles à l’islam et non celle d’une tribu contre une autre, etc. La professeure Chabbi de dire : « On ne peut pas parler de normes archaïques : c’était celles de cette époque et de cette société. Je dirais qu’il a été relativement favorable aux femmes, sauf en politique, domaine réservé des hommes. Dans l’économie de survie qui était celle de l’Arabie aride, il arrivait, en cas de famine, notamment chez les nomades, que l’on supprime les nouveau-nées ; on leur préférait les garçons, car ils étaient les futurs défenseurs de la tribu. Mahomet, dont seules les filles sont arrivées à l’âge adulte, a dénoncé ce comportement (Coran 16 : 58-59). »
 
OBSERVATION
 
Sur la question du statut de la femme comme sur celle de la violence, notre professeure rend justice à l’islam. Le Coran rapporte que des filles étaient enterrées vivantes sans qu’on sache de façon catégorique quelles étaient les motivations des auteurs de ces faits abominables. « De même, on glose souvent sur le fait rapporté par la tradition musulmane qu’il aurait épousé Aïcha alors qu’elle n’aurait eu que 9  ans. Mais c’est ce qui se faisait à l’époque. Le mariage était un moyen de contracter une alliance. En Occident, on faisait de même avec les mariages royaux sous l’Ancien Régime. Il ne s’agissait nullement de pédophilie, puisque le mariage n’était jamais consommé avant la puberté. On ne peut porter de jugement de valeur sur des sociétés qui ne sont pas les nôtres. »
 
Elle rend justice au prophète (saws) sur cette question que des féministes et autres mal intentionnés ou incultes manipulent à dessein. Aussi, on peut se poser la question de savoir comment le prophète (saws) pouvait-il se permettre certains comportements (qui seraient en porte à faux avec les us et coutumes de sa tribu) avec la fille de son plus proche compagnon au su et au vu de tout le monde ! Tout en ajoutant que personne parmi ceux et celles qui lui étaient les plus hostiles de son vivant n’ont trouvé là une occasion de le dénigrer et de lui faire perdre sa crédibilité morale. Pourtant, Aicha sera plus tard la victime d’une fausse accusation tout simplement parce qu’elle a été ramenée par un compagnon après avoir été oubliée dans un campement !
 
Peut-on dire que Mahomet a inventé l’islam politique ?
Non ! Le mot islam lui-même est très peu présent dans le Coran. On le traduit habituellement par « soumission ». Ce n’est pas du tout cela. Ce mot dérive plutôt de salam, shalom : « la paix ». L’islam, c’est le fait de se mettre sous la sauvegarde d’un protecteur dans le cadre d’une alliance avec lui. De même, c’est à tort que l’on emploie le mot «croyant » : dans cette société-là, on ne croit pas, on s’allie. Le croyant, c’est celui qui se rallie fidèlement parce qu’il veut être en sécurité, et qui agit en fonction de cette alliance, laquelle lui donne certes des droits, mais aussi des devoirs. Le croyant dans la voie d’Allah est celui qui se montre fidèle à l’alliance d’Allah.
 
OBSERVATION
 
Là aussi, on peut faire les mêmes remarques à notre professeure en ceci que sur sa définition du mot « jihad » discuté plus haut. Elle réduit tout à ses préférences motivées par ses idées préconçues. Qui regarde attentivement les occurrences des termes coraniques « islam »,« muslimûn » et différentes conjugaisons du verbe « aslama » ne peut exclure le sens de soumission au sens d’obéir à Dieu et d’observer Ses commandements (2, 130-133 ; 31, 22) Qu’y a t-il dans ses versets, qui autorise à penser à une tribu qui se met en alliance avec un protecteur ?« Alors que le Coran précise que Mahomet n’est « qu’un homme comme les autres » (41,6), il fait l’objet d’une vénération particulière. Comment l’expliquer ? Ce sont les convertis du IXe siècle qui ont développé cette figure sacralisée de Mahomet car ils ont fantasmé le passé, ayant besoin de se rattacher à un mythe unificateur. Le problème du monde musulman,c’est qu’il est resté ancré dans l’histoire sacrée et n’a pas accompli sa révolution critique. Aujourd’hui encore, si on a envie de connaître l’histoire de la première période, on ne trouve qu’une histoire sacrée en face de soi ».
 
Difficile de savoir à quoi renvoie l’expression « convertis du Ixe siècle » que la professeure Chabbi utilise de même que pour celle de «figure sacralisée de Mahomet »… On aurait pu en dire plus si elle avait accompagné ces expressions de quelques illustrations. (FIN)
 
Fait à Dakar, le 07/05/2021
Imam Ahmad Kanté
 

 
 
[[1]]url:#_ftnref1 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2020/06/07/a-la-recherche-du-mahomet-de-l-histoire_6042044_6038514.html#:~:text=Les%20sources%20concernant%20Mahomet%20ont,du%20proph%C3%A8te%20de%20l'islam.&text=Le%20point%20avec%20Jacqueline%20Chabbi%2C%20sp%C3%A9cialiste%20de%20l'islam%20classique



Source : https://www.impact.sn/A-la-recherche-du-Mahomet-de...