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A propos du dialogue national - Par Aboubacry Kane

Rédigé par leral.net le Samedi 25 Juin 2016 à 11:35 | | 0 commentaire(s)|

S’interrogeant à propos de la connaissance qui pour lui implique une co-naissance, Albert Jacquard affirmait que « le jeu de la naissance en nous d’un modèle du monde réel n’a de sens que s’il constitue la naissance d’une humanité enfin consciente de ses possibilité et de ses devoirs, capable de choisir son destin. »

Nous illustrerons l’auteur par analogie avec l’action en pensant que le jeu politique n’a de sens que s’il reflète les valeurs éthiques d’un co-engagement pour la construction de notre commun destin.

Notre pays est certes marqué depuis nos ascendants par une permanence dans notre propension à rappeler nos valeurs cardinales de dignité, de liberté de justice..., à manifester notre volonté de veille pour les conserver.

Avant comme après l’indépendance le discours des élites, selon différents degrés d’intensité, a porté l’expression d’une volonté pour plus d’appropriation par les populations de la direction et de la légitimation des affaires collectives.

Du Président L. S. Senghor au Président Abdou Diouf, un mouvement de contestation et de revendication a accompagné le pouvoir socialiste.
Il est porté notamment par des intellectuels, des travailleurs, et une jeunesse estudiantine et même scolaire, animés par des « idées de gauche » puis une opposition dite libérale, appuyée sur les frustrations des populations de banlieues, en particulier, celles des banlieues de la capitale.

L’accès à l’assemblée nationale des représentants de certains partis d’opposition, à partir de 1978, les concertations entre les partis d’opposition et le parti au pouvoir autour de la gestion des élections, la création d’une commission nationale électorale, l’ouverture administrative mettant un terme à la limitation des partis politiques, l’émergence d’une presse partisane autorisée favorisaient déjà, formellement, un cadre d’expression du dialogue politique.

La revendication sociale et politique va néanmoins s’exacerber à la fin des 80 et dans la décennie 90, marquée d’évènements tragiques et de tentatives de déstabilisation du système étatique en place, sur fond de difficultés économiques et sociales notamment la dévaluation du franc CFA.

Grèves scolaires, universitaires et syndicales larvées, année blanche et troubles à l’ordre public avec destructions de biens publiques et privés, collisions avec les forces de l’ordre avec la participation de partis politiques et de mouvements religieux, crimes perpétrés sur un magistrat et sur des policiers, nombreuses arrestations d’acteurs politiques, complots, accusations de tortures, tels sont les faits qui structurent l’évolution des rapports entre acteurs politiques. Remise en cause de l’implication partisane des acteurs religieux, rejet des mots d’ordre politique émanant des marabouts.

On note dans cette période l’option de gouvernement de majorité élargie qui permit à deux reprises d’associer les principales forces d’opposition à l’exercice du pouvoir : des moments d’accalmie suivis de réchauffement du champ de revendication politico-social.

La survenue d’une alternance démocratique dirigée par une coalition de forces politiques et citoyennes en 2000 et l’avènement d’un régime libéral fit taire, par la magie de l’espoir des lendemains promis, sur le lourd tribut de violences et de destructions laissé dans la mémoire collective. Ainsi, se focalisant sur le moment plutôt que sur le processus qui l’a produit, on qualifia cette alternance de pacifique étant donné que le candidat sortant avait accepté sa défaite et rendait le pouvoir au candidat élu.

La plupart des entités parties prenantes de la coalition victorieuse étaient d’une manière ou d’une autre impliquées dans la gestion des affaires du Pays. L’apaisement de la rue fut la rupture essentielle apportée par le régime libéral dans sa première phase, grâce à l’espoir suscité par ses promesses et le moratoire sur lequel semblaient s’accorder les acteurs politiques et les animateurs du front social. Mais au bout de douze années de pouvoir, le dessein prêté au Président Abdoulaye Wade de travailler à une dévolution du pouvoir à son fils biologique et de rechercher à cet effet à être élu pour un troisième mandat fut le point de crispation de la contestation et de revendication politiques qui nourrit le champ de l’opposition politique et des dérives qui l’ont accompagné.

Avènement du Président Macky SALL qui s’engage avec sa coalition pour un Sénégal émergent. L’opposition presque aphone pendant un temps reprit des forces avec la revendication de la libération de Karim Wade puis le réveil des acteurs syndicaux. Le Président aujourd’hui appelle au dialogue national, comme ses prédécesseurs. On s’inscrit dans la continuité du Pays de dialogue. Mais non. Certains s’écrient que le Dialogue national ne servirait que des intérêts politiciens. Avec le Pouvoir ou contre le Pouvoir. Et la société civile qui défend les intérêts du citoyen a toujours été dans le mouvement général, porteur de parole, ni pour le pouvoir ni pour l’opposition mais toujours avec le pôle le plus attrayant (place de l’Obélisque ...).
Cette espèce de chronique qui tente une description presque linéaire (chronologique) de la vie politique dans notre pays nous pousse à nous interroger : nos acteurs politiques ont-ils conscience de participer à la mise en forme d’un destin culturel en termes de tradition politique ? Si oui quel(s) dessein(s) pourrai(en)t-être traduits dans le processus de construction d’une culture politique au Sénégal en ce qu’elle recèle de stabilité et d’évolution ?
Entre revendications politiques, revendications de mieux être, contestation et conquête du pouvoir et devoir de participation à une construction nationale - qui incombe à tout citoyen politicien ou pas - se joue toute la problématique de la mesure qui situe l’acteur politique, de même que le citoyen tout court, entre la violence et la culture de la paix durable.

Dans cette optique, le dialogue national, même si nécessairement peut se poser en termes de séances ponctuelles, devrait être une vertu dynamique que l’on refuserait de circonscrire selon la volonté d’un ou de quelques opposants au régime en place ni même selon celle des tenants du pouvoir bien qu’en principe ils soient sensés nourrir et entretenir ce dialogue de façon permanente, constructive et sans exclusive. Une telle forme de dialogue implique une posture de veille permanente et des aptitudes à faire des propositions pertinentes et alternatives et non démagogiques autour des intérêts de la nation (éducation, sécurité, santé… bref développement). Elle est attitude de responsabilité. Elle accompagne le Président élu et son gouvernement mais ne fait pas échec à ses plans de développement et d’orientation nationale dans l’esprit d’un progrès continu dont il est le continuateur et nous tous avec lui. L’objectif de l’action politique ne se résume pas entre gagner et conserver le pouvoir.

Un tel dispositif de dialogue est culturel et s’obtient par l’éducation. L’Education par l’Ecole certes, mais surtout par l’action. L’Action des hommes politiques et des institutions. Les interactions du jeu politique sur la scène publique politique et à l’intérieur des partis politiques et des mouvements de citoyens. Un tel dispositif est préventif et participe, à côté des icônes remarquables dans l’histoire politique, sociale, religieuse et culturelle de notre pays, du référentiel éducatif du citoyen et du politique.

De ce point de vue, il est regrettable que la conscience collective nationale associe la posture de l’opposant « au jeteur de pierre » au propre comme au figuré. Car en définitive, l’homme politique devrait penser comme Jacquard pour dire ceci : « ce qui a le plus d’importance dans l’univers qui m’entoure, ce sont les autres hommes. Je deviens moi grâce à eux, je contribue à leur devenir » et co-agir c’est agir ensemble et co-devenir.

Aboubacry KANE
Inspecteur de l’Education
E-mail : kaneabba@yahoo.fr