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Abdoulatif Coulibaly : "Si Karim est condamné, ils n'auront aucun moyen de le libérer"

Aux libéraux qui bandent les muscles en déclarant que «si Karim est condamné, ils vont le libérer. Et que le président de la République ne passera pas la nuit au palais», le responsable «apériste», Abdou Latif Coulibaly, par ailleurs, secrétaire général du gouvernement rétorque: «s’il (Karim, ndrl) est condamné, ils n’auront aucun moyen de le libérer». Dans cet entretien, il revient sur le sens de la Traque des biens mal acquis en l’illustrant par le pillage systématique de la Sonacos et les décrets d’avance d’un montant de 26 milliards de F Cfa sortis du Trésor public sénégalais pour construire des villas présidentielles qui ne sont pas encore sorties de terre.


Rédigé par leral.net le Lundi 23 Mars 2015 à 12:51 | | 0 commentaire(s)|

Abdoulatif Coulibaly : "Si Karim est condamné, ils n'auront aucun moyen de le libérer"
Dans quel état d’esprit vous attendez le verdict de la Crei, annoncé aujourd’hui, dans le procès intenté contre Karim Wade et ses coaccusés?

Je parle en tant que citoyen et responsable politique qui attend avec beaucoup de sérénité et de quiétude le verdict qui sera rendu par la Crei. Ce n’est pas la première fois que les cours et tribunaux rendent une décision de justice. J’ai la chance d’avoir personnellement vécu, comme journaliste, beaucoup d’évènements de cette nature. Il y a le procès intenté contre Abdoulaye Wade, l’affaire Me Sèye, l’arrestation d’Idrissa Seck, l’emprisonnement de plusieurs responsables socialistes en 2000 qui étaient poursuivis pour malversations financières. Je me souviens du décès de M. Diallo, ancien Dg de la Sodefitex, en prison, paix à son âme, de l’emprisonnement d’Abdoul Aziz Tall qui avait d’ailleurs été libéré par les juges et mis injustement en prison. Je me souviens avoir été, moi-même, poursuivi sept fois par le régime d’Abdoulaye Wade. En ce qui me concerne, je n’ai aucune forme d’inquiétude par rapport à ce qui se passera le 23 mars.

Pas même l’escalade verbale?

Ecoutez, j’ai fais un raisonnement très naïf: ceux qui disent qu’ils vont brûler le pays ou faire en sorte que le président de la République ne dorme pas au palais si Karim Wade est condamné, je leur rappelle que Karim est en prison depuis deux ans, que rien n’a été tenté ni fait pour le sortir de là. Il serait étonnant que des gens qui n’ont pu le sortir de prison, puissent le faire parce qu’un verdict a été rendu. La surenchère a choisi son camp. Il existe d’abord une pression sur la justice et ensuite une surenchère verbale sur l’échiquier politique. C’est évident, il y a un camp qui le fait. Evidemment, l’Etat lui garde sa sérénité, parfaitement. Il n’y a pas d’inquiétude particulière à se faire par rapport à cela.

Vous parlez de sérénité avec des arrestations tous azimuts ?

Quelles arrestations tous azimuts?

Des responsables libéraux…

Combien de responsables libéraux ont été arrêtés? Combien? Il y a au moins plus de deux cent responsables libéraux à travers le pays, ll y en a deux ou trois qui sont arrêtés, comment peut-on parler d’arrestations tous azimuts? Je ne suis pas d’accord! Il y a des responsables libéraux qui sont en infraction par rapport à la loi ou du moins supposés avoir été en infraction avec la loi et qui ont été arrêtés. La responsabilité de la police, c’est d’être prévenante, d’anticiper sur les faits avant que des délits ne soient commis, c’est le rôle des renseignements généraux, d’une police d’Etat qui se respecte. Je ne vois pas en quoi on peut être étonné parce que la police fait son travail de base, de prévention et au besoin un travail d’arrestation. Peut-être que j’ai vécu beaucoup de choses au Sénégal. Ce qui se passe, c’est dans l’ordre normal des choses. Je vois des gens du camp libéral qui émettent des opinions et qui ne sont pas inquiétés. Je vois d’autres qui sont assez excessifs dans ce qu’ils font et sont en infraction par rapport à la loi, ces gens sont arrêtés. A ce que je sache, il y a beaucoup de responsables du Pds et de la société civile qui se prononcent par rapport à ce que les gens font et qui ne sont pas mis en prison.

Quid de ces pneus que l’on ramasse dans les rues ces derniers temps?

Je suis tout à fait étonné que vous me posez cette question. A tort ou à raison, si la police estime que les objets qui sont en accumulation quelque part peuvent servir à commettre des infractions, elle doit faire son rôle de prévention en allant les chercher. Vous pensez que c’est hors de propos qu’une police travaille à sécuriser les populations, à anticiper sur ce qui pourrait arriver? Toutes les polices du monde le font sur la base de renseignements recoupés.

Tout donne l’impression que le gouvernement est en train de préparer l’opinion à une condamnation de Karim?

Pas tout à fait exact. Il y a des responsables qui ont dit au vu et au su de tout le monde: «si telle chose arrive, nous ferons telle chose». Qu’est-ce que vous faites dans ce cas? Vous allez les laisser agir ou vous prenez toutes vos responsabilités avant qu’ils ne commettent leur forfait. Ce n’est pas le gouvernement qui a dit: «si Karim est condamné, nous ferons ça». Mais des gens ont publiquement dit: «si Karim Wade est condamné par la justice sénégalaise, voilà ce que nous ferons». Il y en a qui ont été excessifs en disant : «si Karim est condamné, le président de la République ne va pas dormir au Palais». A partir de ce moment, quand la police a des éléments d’appréciation fondés pour faire toutes les investigations nécessaires aux fins de savoir les moyens qu’ils vont utiliser, elle doit alors agir. Auquel cas, on doit s’étonner du rôle de la police dans un Etat démocratique. Personnellement, je pense que la police est dans son rôle.

N’avez-vous pas le sentiment que le gouvernement à commis des erreurs dans la gestion de ce dossier: comme l’arrestation de Me Sall, avocat de Karim?

C’est tout à fait étonnant que vous dites cela. Quand le Procureur de la République agit, c’est qu’il estime que Me Sall a commis une infraction. Auquel cas, vous acceptez qu’un citoyen, quel qu’il soit, puisse se réveillez et traiter de la manière dont Amadou Sall l’a fait la première institution de ce pays. Vous l’acceptez ? Quelle est l’erreur commise par le gouvernement ? Quelqu’un qui, publiquement, commet une infraction, la police l’entend et l’arrête, le Procureur de la République s’en saisit, vous estimez que le gouvernement a commis une erreur. Quand est-ce que le gouvernement aurait fait les choses normalement ? Cela veut dire certainement qu’on l’aurait laissé passer aux actes. Il n’y a aucune erreur par rapport à ça. La démocratie ou la liberté d’expression ce n’est pas la licence. On s’étonne comme si, dans d’autres pays, on n’arrête pas les hommes politiques. Ici, on arrête des hommes politiques, on les condamne. Combien de fois on condamne des journalistes, même des artistes? Même en France, des hommes politiques sont poursuivis. Notre pays ne fait pas exception.

Le gouvernement n’est-il pas tombé dans le piège du Pds, en vous attirant sur le terrain de l’escalade verbale?

Il y a comme une sorte d’obsession à dire qu’il y a piège. Vous pensez que la politique c’est tendre des pièges? Je ne le crois pas. Deuxièmement, si le gouvernement faisait dans l’escalade verbale, beaucoup de personnes auraient été arrêtées. Il n’y a pire excès verbal que d’insulter le président de la République dans une assemblée, des injures enregistrées et diffusées sur tous les réseaux sociaux en présence des gens qui ont assumé des responsabilités dans ce pays et qui applaudissaient. Qu’est-ce que le gouvernement a fait? Rien. Il faut que les gens soient plus justes dans leurs analyses. Et dans quel type de pièges le gouvernement est tombé? Il ne s’agit pas de gouvernement, mais d’un Etat qui se fait respecter, qui assure la protection à la fois des institutions et de la démocratie. Ce n’est pas un jeu de tendre des pièges ou autres. C’est plutôt un jeu d’exercice de la responsabilité.

Ce climat de manque de sérénité n’arrange personne. N’est-il pas venu le moment d’appeler à l’apaisement ?

Qui va appeler à l’apaisement ? Vous avez suivi l’entretien que le président de la République a eu avec vos confrères de la presse étrangère où il a appelé à l’apaisement. Il l’a toujours fait. Moi personnellement, jamais je ne fais dans la surenchère verbale. Je vois beaucoup de responsables de mon parti, l’Apr, qui sont d’une sérénité et lucidité incroyables. Mais qui fait dans la surenchère politique, verbale ? Ce n’est pas le gouvernement. C’est tellement vrai que les gens cherchent même la réaction du gouvernement par rapport à ce qui se dit. Moi, combien de fois des journalistes m’ont appelé pour réagir. Et je leur dis: je réagis par rapport à quoi ? Et je ne suis pas le seul. Ni le Premier ministre ni le président de la République, ont fait dans la surenchère. Par contre, si assumer ses responsabilités de protecteur de la sécurité du citoyen et de la République, exprime de la par du gouvernement un manque de sérénité, nous continuerons de manquer de sérénité jusqu’à la fin des temps et on l’assume.

Quel argument opposez-vous aux libéraux qui déclarent que Karime Wade est un prisonnier politique?

Il vous vient à l’esprit une seule fois de penser que les libéraux vont dire que Karim Wade est coupable. Non ! Ils sont dans leur droit. En droit, on dit qu’un accusé a le droit de mentir pour se défendre, de dire n’importe quoi pour assurer sa défense. Par conséquent, je ne porte pas de jugement de valeur par rapport à ce qu’ils disent. Je n’ai pas envie de me prononcer personnellement par rapport à la procédure, mais aux raisons fondamentales qui expliquent qu’il y ait autant de procédures en voie d’aboutir ou en instructions ou au stade de l’information.

Nous avons un pays qui, pendant douze ans, a été géré de façon extraordinaire. Je prends un exemple concret: la Sonacos qui a été privatisée en 2007. Cette société, quand les libéraux arrivaient au pouvoir en 2000, était capable de mobiliser chaque année 70 milliards F Cfa pour la campagne agricole. A cet effet, elle allait sur le marché international de Londres pour lever des capitaux entre 20 et 30 milliards de dollars, avec un taux d’intérêt de 0,47 LIBOR. Cela veut dire qu’elle empruntait quasiment à zéro intérêt sur le marché international. Et de retour au Sénégal, elle mettait à disposition 20 milliards qu’elle déposait dans les banques, en empruntant auprès de celles-ci 50 milliards F cfa par le billet d’un crédit consortial pour acheter l’arachide du Sénégal.

On injectait 70 milliards dans le monde rural, aucun bon d’arachide impayé à travers tout le pays. C’est à partir de 2002, 2004 qu’on entend parler de bons impayés. Pourquoi? Parce qu’on a bradé la Sonacos selon un mécanisme par escalier. D’abord, qu’est-ce qu’on a fait? On privatise la Sonacos. Plutôt que de la vendre directement avec un appel d’offres sérieux, on bidouille le mécanisme. Dans un premier temps, on met en place une commission institutionnalisée par le gouvernement qui va surveiller l’entrée de l’acheteur qui va gérer pendant un an. Et au terme de la gestion on va évaluer pour voir le bilan aux fins de savoir ce que vaut la Sonacos.

L’entrée de Abbas Jaber correspond à un moment où on bidouille tous les comptes de la Sonacos. La commission qui était installée à côté n’a rien vu, n’a rien voulu savoir, n’a rien voulu voir. On vend la société à 5 milliards F Cfa, alors que le patrimoine immobilier de celle-ci est évalué au moins à 150 milliards F Cfa. Isos France, une société par laquelle Abba Jaber arrive dans la Sonacos, avec Advens, crée une société Isos Sénégal. Advens détient avec Isos 67% du capital de la Sonacos. A l’intérieur d’Isos, il y a des actionnaires qu’on ne peut identifier parce que Abbas Jaber est un porteur de parts. Voilà la situation dans laquelle on se trouve aujourd’hui. Le chaos total. La Sonacos n’est plus capable de structurer de l’arachide.

Au demeurant, l’Etat du Sénégal, depuis six ans, à travers de l’argent qu’il met à la disposition des huiliers, achète l’arachide du Sénégal. Tous les comptes de ce patrimoine ont été bidouillés et complètement spoliés au vu et au su des Sénégalais. Je suis à l’aise pour en parler, ce n’est pas parce que je suis membre du gouvernement, mais j’ai publié plusieurs enquêtes et écris plusieurs livres sur ça. Aucun élément de ce que je disais hier n’a bougé jusqu’à présent. Voilà ce que signifie la Traque des biens mal acquis. C’est un système de gouvernance et de spoliation du patrimoine national qui a été méticuleusement organisé avec des résultats qu’on lui connait aujourd’hui.

Que répondez-vous alors à ceux qui disent que la Traque est sélective?

Moi, j’assume cette position sans état d’âme. Une politique pénale, c’est un Etat qui la définit en fonction d’objectifs. Pour moi, le plus important, même s’il y avait une personne qui est condamnée, c’est une victoire et je dis banco. D’autant plus d’ailleurs qu’il y a des moments où les symboles, les icônes constituent des éléments de référence extrêmement importants pour la suite de l’histoire et le déroulement de son cours.

Et Karim Wade en est un?

En France, combien de personnes ont été condamnées pour les emplois fictifs? Pour moi, ce n’est pas un débat qui tient. Je le trouve complètement suranné parce que c’est cela la réalité des faits dans chaque pays et je n’ai aucune préoccupation par rapport à ça et je l’assume.

Pour vous, il ne se passera rien du tout ce 23 mars. N’est-ce pas?

Je ne dis pas qu’il ne se passera rien du tout. Je dis simplement: ceux qui disent qu’ils vont libérer Karim Wade le 23 mars, s’il est condamné, n’ont pas été généreux avec lui. Pourquoi ils ne l’ont pas fait depuis deux ans? S’ils ont les moyens de le libérer le 23 mars, pourquoi l’ont-ils laissé croupir en prison pendant deux ans? C’est parce que simplement ils n’auront pas les moyens de le libérer. Mais la fanfaronnade politique, c’est de bon aloi chez-nous.

Quand vous dites qu’ils n’auront aucun moyen de le libérer, cela voudrait-il dire que Karim sera condamné?

Je n’ai pas dis ça. Pourquoi vous voulez interpréter mes propos dans ce sens. C’est eux qui disent: «s’il est condamné… »Je dis: s’il est condamné ils n’auront aucun moyen de le libérer.

Quelle est votre position sur cette affaire Karim?

Vous la connaissez, puisqu’elle figure dans mes livres.
En 2007, 2008, des décrets d’avance d’un montant de 26 milliards de F Cfa ont été sortis du Trésor public sénégalais pour construire des villas présidentielles qui devaient servir à accueillir les chefs d’Etat. Cet argent a été déposé entre les mains des responsables de l’Anoci dont le premier est Karim Wade. Où sont ces villas présidentielles ? Allez les chercher de partout, vous ne trouverez rien. Vous pensez un instant qu’il est normal, acceptable qu’un responsable sénégalais, même pas ministre et encore…même pas le président de la République, puisse réfectionner et mettre à disposition son bureau pour 750 millions de F Cfa? Ça s’est passé dans ce pays. Dans mon ouvrage Comptes et mécomptes de l’Anoci , je l’ai fais avec des preuves à l’appui. Et si on intente des poursuites contre ces personnes aujourd’hui, il y en a qui regardent les Sénégalais en face pour dire: ce n’est pas normal. Il faut que l’on sache ce que nous voulons.

Sud Quotidien

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