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Abdoulaye Wade ou la tentation du pire ?

« Ce siècle, jamais nous ne saurons le vouloir : C’est une ère de puissants puisant leurs semelles des cœurs. Vraiment un souffle au second horizon des prières d’enfer » Ibrahima Sall, le poète


Rédigé par leral.net le Dimanche 1 Mars 2015 à 10:02 | | 2 commentaire(s)|

Abdoulaye Wade ou la tentation du pire ?
Me Abdoulaye Wade est un personnage fascinant, c'est-à-dire admirablement effrayant. Il est comme ces créatures qui sortent de la nuit et qui nous tétanisent par leurs formes étranges. Nous les regardons fixement, les yeux presque révulsés par quelque chose qui se trouve entre la frayeur et l’admiration passive. Cet état paradoxal existe malheureusement chez certains de nos compatriotes malgré l’indignation collective suscitée par ses propos inqualifiables. C’est la tentation du pire, l’expression est de Florian Zeller. Abdoulaye Wade peut tromper ; il ne le cherche pas toujours comme on a souvent tendance à le croire. Personne ne possède un contrôle total de soi. Cela ne veut nullement dire qu’il n’est pas maître de ses actes et paroles.

C’est un homme qui cherche éperdument et même de façon morbide l’habileté politique. Il la cherche tellement qu’il perd finalement l’haleine ; le souffle court, il devient maladroit. C’est la maladresse des habiles. L’expression est de François Mauriac, nous l’avons déjà écrit à propos de son ex-fils putatif, Idrissa Seck, avec qui il partage certains éléments de profilage. Nous disions en substance, qu’il est des hommes qui cherchent tellement l’adresse et la dextérité qu’ils en deviennent gauches, veules et maladroits. Tout le temps ils sont à l’affût de la posture mécaniquement hiératique qui devient fausse à la longue. Ils cherchent douloureusement l’intelligence à tout moment.

Une attitude excessive, superflue et inutile. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » a dit Talleyrand le diable boiteux. Ils ont fini par installer la culture politique de l’habileté chez les jeunes, dans la presse et même auprès des analystes. Alors, c’est « l’écume de jours » de la politique qui est récoltée, consommée, discutée et analysée ; la profondeur des choses est ainsi ignorée. « Les vaines agitations de la surface ne doivent pas nous tromper sur le calme mortuaire qui est notre lot » a dit Jean Paul Sartre, le philosophe-borgne. Peut-être qu’il ne voyait que d’un seul œil, mais à ce propos il a vu clair. Nous ne sommes pas condamnés à ne regarder que la direction indiquée par les personnages publics. Même avec un seul œil nous nous devons un regard oblique et nietzschéen sur la politique.

Abdoulaye Wade est il le génie politique que l’on pense, le malin qui cherche à pousser Macky Sall à la faute ? Oh que non ! Le génie politique n’existe que dans la bouche de ceux qui le disent. Nous avons déjà écrit et le pensons toujours « Les génies militaires n’existent pas, selon Léon Tolstoï, comme il n’existe pas de génies politiques. Ni le général De Gaule, ni Jules César, pas plus que Napoléon ne furent des génies politiques, en tout cas dans le sens de l’auteur de « GUERRE ET PAIX » qui écrit la chose suivante: « Dans les événements historiques, les prétendus grands hommes ne sont que des étiquettes qui donnent leur nom à l’événement et qui, de même que les étiquettes ont le moins de rapport avec cet événement.» Encore qu’Abdoulaye Wade est loin d’être un grand homme. Mais il ne manque pas de talent. Des compatriotes seraient tentés de lui trouver des excuses et même de l’admirer pour ce qu’il fait de l’instrument politique. Ils pensent à tort que la politique est un jeu. Quand est-ce que la politique est-elle un jeu ? C’est plutôt une guerre mortelle.

Abdoulaye Wade qui a l’injure boueuse à la bouche ne me fait pas du tout rire. Allez dire aux nombreuses familles sénégalaises qui ont perdu des proches dans les combats politiques ou définitivement traumatisées par les sacrifices et privations, que la politique est un jeu ! On dirait que dans ce pays la lutte politique a commencé avec Abdoulaye Wade. C’est peut-être un choix. Pauvre Sénégal ! On dirait qu’il n’ya pas eu Tidiane Baydy Ly ou Mamadou Dia. Mais un peuple est libre de choisir entre la bonne graine et l’ivraie. Ah ! s’il était possible de dissoudre le peuple (dans la vérité).

Nos hommes politiques qui jouent au génie et y entrainent tout le monde doivent avoir à l’esprit que tous les grands stratèges ont été battus (Napoléon, Hitler…). La leçon à tirer ici n’est pas évidente. Elle procède peut-être de la mystique : Face aux contingences humaines c’est l’Esprit qui gouverne le monde. Même un Bill Clinton qui est loin d’être un grand, l’a compris lorsqu’il disait à propos de la politique de l’Amérique : « Notre marche se déroule en dehors du temps. » Il ya peu d’hommes politiques qui cherchent l’intemporalité. Notre Abdoulaye Wade n’échappe pas à la règle. Mais le paradoxe est que Me Wade est drapé d’un trait de caractère rare : il a le complexe de l’éternité. Il veut s’éterniser, incarner et même se réincarner en tout. C’est la raison pour laquelle ses relations avec son fils et ses conséquences désastreuses qui frisent la morbidité sont d’une complexité qui échappe évidemment à la banalité. Ceux qui disent que n’importe quel père normal aurait réagi comme Wade sont passés à côté de la chose. Combien de « grands » hommes ont ignoré leurs enfants pour une cause supérieure. Ils ne sont grands que parce que leur vertu était à l’abri de tout comportement veule et indigne d’un homme dont la vocation est de faire l’histoire.

Nos hommes politiques qui sont un tant soi peu informés, n’ignorent pas que même Joseph Staline, dont on dit aujourd’hui qu’il a commis des crimes de masse, a refusé d’échanger contre son propre fils, le maréchal allemand Von Paulus qu’il avait retenu prisonnier lors de la campagne de Russie. Quant à Abraham Lincoln, il a accepté que son unique fils vivant s’enrôle dans l’armée, en période de guerre de sécession, alors qu’il vient de perdre un garçon. Sa famille a failli éclater. Plus proche de nous El Hadji Malick Sy et Cheikh Bou Kounta n’ont-ils pas désigné chacun son fils à la place des talibés pour aller guerroyer en Europe ? Sidi Ahmed Sy n’est pas revenu de la campagne de Grèce, quant Cheikh Sidi Makhtar Kounta, il est rentré saint et sauf. Mais j’avais oublié qu’au Sénégal la politique n’a rien à voir avec ces références religieuses. Elles sont trop lointaines et même pas du tout opérationnelles dans la mécanique politique. Au Sénégal la morale politique ne fonctionne pas à l’eschatologie. Les choses politiques se passent seulement ici-bas. Tous les politiciens vous diront « Politik adduna la yem ». Cette forme d’athéisme des valeurs qui frappe la quasi-majorité des politiciens est la source du problème. Il nous manque des saints-laïcs-martyrs dans notre culture politique immédiate. Notre imaginaire est peuplé de héros de faible densité.

Quant à Abdoulaye il n’a pas franchi le Rubicon (pour ceux qui connaissent l’histoire de l’expression), il faut être un preux-vertueux pour le faire. Il a gravement touché des points sensibles pour tout le monde et surtout pour tous ceux qui se targuent d’avoir du sang royal dans ce pays. Faisons attention à la généalogie qui est la science la plus gênante. A force de creuser dans n’importe quelle généalogie on trouvera des énormités innommables. Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum n’a-t-il pas sagement dit qu’ « ils sont nombreux à dire « mon ancêtre, mon ancêtre » alors que cet ancêtre était un brigand. » Le passé est souvent construit sur du fumier qui sent évidemment mauvais. « Nous sommes tous des tarés » a dit le célèbre généticien français Albert Jacquard. On peut porter à la fois des gènes de longévité et autres gènes innommables. Au moment où Abdoulaye se gargarise d’une supériorité lignagère, un jeune nommé Thomas Piketty né en 1971, fait fureur dans le monde pour avoir écrit le livre qui met à terre les inégalités. Oh ! j’avais oublié qu’au Sénégal les inégalités ne gênent pas, surtout parmi les élites. Décidément la sagesse n’est pas là où on la cherche. Un homme de 44 ans peut être plus sage qu’un vieillard de 89 ans. Je préfère une bonne bibliothèque à certains vieillards.

Une société dont la machine à fabriquer le Bien tombe en panne est une société malade. Le Bien est une question de transcendance mais aussi un problème de possibilité sociale. Pour beaucoup de citoyens les logiques de survie auxquelles ils sont confrontés depuis les années d’ajustement structurel, diminuent les capacités de choix d’ordre moral et poussent à des solutions et opinions à la limite de l’honnêteté. Je pense aussi qu’il ya au Sénégal un problème de consensus moral. Depuis des années nous avons du mal à s’accorder sur ce qui est bien et ce qui est mauvais .Dans cette « culture » ambiante quoi de plus normal qu’il existe un homme comme Abdoulaye Wade. Que Dieu bénisse le Sénégal !

Khalifa Touré
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