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Affaire Aida Ndiongue: Entre la Cour d’appel et la Cour suprême, la guerre des arrêts fait rage !

A la barre du Tribunal de grande instance comme devant la Cour d’appel, Mme Aïda Ndiongue avait été relaxée. Mieux, les deux juridictions avaient ordonné la restitution de ses biens et avoirs en se basant sur le fait que l’Etat n’a subi aucun préjudice. Deux décisions que la Cour Suprême a non seulement cassées, mais écrasées puisqu’elle a ordonné la confiscation des 20 milliards de francs de l’ex-sénatrice libérale, qui faisaient déjà l’objet d’une saisie. Après la Cour d’Appel, la Cour Suprême vient de publier finalement son arrêt dont «Le Témoin» quotidien a obtenu copie en exclusivité. Au verdict, on constate deux arrêts aux arguments contradictoires qui ne font qu’enrichir le monde des sciences juridiques.


Rédigé par leral.net le Vendredi 16 Septembre 2016 à 11:25 | | 0 commentaire(s)|

Affaire Aida Ndiongue: Entre la Cour d’appel et la Cour suprême, la guerre des arrêts fait rage !
Dans cette bataille des arguments, voire des motifs, c’est le Tribunal de Grande d’instance Hors Classe de Dakar qui a ouvert le feu le premier. Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle et en premier ressort, le président El Hadji Amadou Diouf avait débouté l’Etat de toutes ses demandes avant de relaxer Mme Aïda Ndiongue des faits pour lesquels elle était poursuivie.

Mieux, il avait ordonné la main- levée des saisies pratiquées sur les biens de Mme Astou Ndiongue dite Aïda. Dès que le verdict était tombé, le ministère public avait fait appel. C’est ainsi que les prévenus et la partie civile ont été cités à comparaître par devant la chambre correctionnelle de la Cour d’appel présidée par le juge Ousmane Chimère Diouf.

Mais rappelons d’abord les faits. Le 02 décembre 2013, à la suite d'une information provenant d'un «lanceur d'alerte», le procureur de la République saisissait la Section de recherches de la gendarmerie nationale, aux fins de mener des investigations, sur cinq chèques portant respectivement sur des montants de près de 4 milliards fcfa et deux chèques de 5 milliards cfa émis par le Projet de construction de logements sociaux et de lutte contre les inondations, communément appelé «Plan Jaxaay» à l'ordre des entreprises et Gie dont les comptes sont domiciliés à la Cbao Attijariwafa Bank.

De même que d’autres chèques relatifs à des marchés au profit de ces entreprises placées sous le contrôle de Mme Aïda Ndiongue. Les gendarmes, procédant aux vérifications au niveau du service des titres et cautions de la Cbao, découvraient également des coffres appartenant à Mme Aïda Ndiongue et contenant des bijoux de grande valeur, des bons du Trésor et d'importantes sommes d'argent.

A titre conservatoire, tous ces biens et avoirs ont été saisis et confiés à la Caisse de dépôt et de consignations. Après plusieurs jours de procès devant la Cour d’Appel, la montagne des accusations a finalement accouché d’une souris. En effet, Mme Aïda Ndiongue et Cie ont été relaxées avant que la Cour d’Appel ordonne la mainlevée sur les biens de la dame. Pour motiver cette décision, la Cour d’Appel a rendu son arrêt pour s’expliquer dans les moindres détails. Lisez !

Pour la Cour d’Appel, il n’y a rien à confisquer…

A propos des procédures et attributions des marchés de l’Etat, le président Ousmane Chimère Diouf a confirmé son collègue, El Hadj Amadou Diouf du Tribunal de Grande instance, en faisant comprendre que les juges de ces deux juridictions ne sont pas compétents pour prononcer à l’annulation des contrats administratifs.

Dans son arrêt, la Cour d’Appel a fait savoir que même s’il y a une concurrence déloyale dans la façon dont Mme Aïda Ndiongue a obtenu ses marchés, il existe des organes étatiques comme l’Autorité de Régulation des Marchés Publics ( Armp), chargés de veiller sur le bon déroulement des procédures et attributions des marchés.

La Cour d’Appel a d’ailleurs semblé se désoler du fait que ces organes n’ont pris aucune mesure dans ce sens. Par contre, au vu des pièces comptables et justificatives présentées par la prévenues, la Cour d’Appel a estimé que les dits marchés ont été bien exécutés. De l’examen des bordereaux de livraison versés aux débats, il ressort qu’aucune réserve n’a été formulée par les membres de la commission de réception des marchandises qui ont, au contraire, tous apposé sur ces bordereaux la mention «Reçu conforme».

Poursuivant son argumentation, la Cour d’Appel est allée plus loin pour dire qu’il n’est contesté par aucune des parties que le matériel de la discorde est resté chez le fournisseur du fait que l’Etat avait un problème d’espace pour le stocker. Selon le juge Ousmane Chimère Diouf et ses assesseurs, la présence de ce matériel sur ces lieux est confirmée par la Gendarmerie qui a procédé au constat et au comptage dans les entrepôts de Mme Aïda Ndiongue.

De ce fait, le juge de la Cour d’Appel, dans son intime conviction, a estimé qu’aucun préjudice financier n’a été subi par l’Etat dans cette affaire. Et dès lors qu’aucun montant n’a été retenu contre Mme Aida Ndiongue, il y avait lieu, selon lui, de lui faire bénéficier des dispositions de l’article 155 du code pénal en la condamnant à une peine d’emprisonnement d’un an assortie du sursis et à une amende ferme de deux millions de francs, en vertu de l’article 154 du même code.
Une simple condamnation pour concurrence… déloyale ! A propos du chef d’exercice illégal par un fonctionnaire, la Cour d’appel a relaxé Mme Aïda Ndiongue, avant de déclarer irrecevables les demandes formulées par l’Agent judiciaire de l’Etat pour défaut d’appel.

Ensuite, la Cour d’Appel a ordonné la mainlevée des saisies opérées sur les biens et sommes d’argent de Mme Aïda Ndiongue. Une décision que l’Etat du Sénégal ne pouvait évidemment pas accepter. Pour cause, le Parquet général s’est pourvu en cassation.

La Cour suprême confisque et clôt le débat !

Statuant sur le pourvoi, la chambre correctionnelle de la Cour suprême présidée par le juge Abdourahmane Diouf a relevé qu’il est reproché à la dame Aïda Ndiongue un montant de près de 20 milliards cfa. De ce fait, la Cour suprême a constaté que la prévenue n’a fait aucune restitution, ni aucun remboursement sur ce montant.

Dans son arrêt rendu public, le président de la Cour suprême a dit que la Cour d’appel a méconnu certains textes de loi comme l’article 52 alinéa 5 disant que la Cour peut en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée.

De là, la Cour suprême a dit qu’il y a de quoi casser la décision de la Cour d’Appel condamnant Mme Aïda Ndiongue à une peine assortie du sursis. Et par substitution de dispositif faisant application des dispositions des articles 152, 153, 154 et 155 du code pénal, la Cour suprême a condamné Mme Aïda Ndiongue à une peine d’un an de prison ferme et à deux millions d’amende.

Puis, le président Abdourahmane Diouf a ordonné la confiscation de ses biens saisis. Pour clore le débat juridique et fermer le feuilleton judiciaire à l’affiche «Aïda Ndiongue», la Cour suprême dit n’y avoir lieu à renvoi c’est-à-dire qu’elle n’a pas jugé nécessaire de renvoyer encore les deux parties devant une autre juridiction pour jugement. Point barre !


Des débats juridiques enrichissants…


En examinant de près les deux arrêts croisés, on constate que la Cour d’appel a démontré que le montant des 20 milliards confisqué n’est pas fondé contrairement à la Cour suprême. A en croire certains juristes, la Cour suprême n’a pas le droit de statuer sur un montant.

Selon eux, seul le juge du fond aurait cette compétence. Ce juge du fond ne peut être que le Tribunal de Grande Instance ou la Cour d’Appel. Or, aucune de ces deux juridictions n’a prononcé une quelconque condamnation pécuniaire à l’encontre de Mme Aïda Ndiongue. Par conséquent, nombreux sont les avocats et juristes qui se demandent sur quelle base la Cour suprême s’est-elle fondée pour retenir un montant ayant abouti à la confiscation des biens de Mme Ndiongue ?

De l’avis d’un ancien magistrat à la retraite, seule une condamnation pécuniaire de la juridiction de fond à savoir le Tribunal de Grande instance ou la Cour d’Appel pouvait être à l’origine d’une confiscation des biens et avoirs de Mme Aïda Ndiongue à hauteur de la somme retenue par ces mêmes juridictions. Alors que jusque-là, tel n’avait jamais été le cas ! La Cour suprême s’est fondée sur les dispositions de l’article 154 du code pénal pour ordonner la confiscation des biens alors que la condition posée par ce texte pour prononcer une telle mesure est liée au défaut de remboursement du montant détourné ou soustrait.

Or, dès l’instant que la Cour d’Appel avait prononcé l’inexistence de ce montant, quelle serait le fondement d’une telle confiscation ? Et pourtant, la Cour suprême a confirmé voire maintenu presque tous les motifs de l’arrêt de la Cour d’Appel alors que cette juridiction n’a jamais épinglé Mme Aïda Ndiongue pour une quelconque malversation financière. Ce qui est le plus bizarre au départ de cette affaire, c’est le fait que l’Etat avait été débouté sans faire appel. Mieux, devant le juge d’appel, la constitution de partie civile de l’Etat a été déclaré irrecevable pour défaut d’appel.

Source « Le Témoin » quotidien