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Amnesty international : Les autorités mènent une répression brutale à l’approche des élections en Gambie


Rédigé par leral.net le Jeudi 2 Juin 2016 à 09:10 | | 0 commentaire(s)|

Les autorités gambiennes doivent libérer des dizaines de prisonniers politiques et mettre fin à la répression brutale des droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique avant l’élection qui aura lieu cette année, ou risquer une suspension de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 2 juin.

Ce document, intitulé Dangerous to Dissent: human rights under threat in Gambia (en cours de traduction en français), rendu public deux jours avant la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO à Dakar, et six mois avant l’élection présidentielle en Gambie, décrit la répression violente d’actions de protestation organisées par l’opposition en avril et mai 2016. Des dizaines de manifestants et de passants non violents ont été frappés par des policiers et arrêtés, et 51 personnes, parmi lesquelles le dirigeant du Parti démocratique unifié (UDP) et plusieurs membres de l’exécutif, sont en instance de jugement. Au moins 36 autres personnes sont maintenues en détention sans inculpation, et un homme, Solo Sandeng, secrétaire national à l’organisation de l’UDP, est mort en détention après avoir été torturé.

« Nous sommes à six mois à peine des élections en Gambie, et pourtant des membres de l’opposition sont arrêtés et frappés, des journalistes sont muselés et la société civile est réduite au silence », a déclaré Alioune Tine, directeur régional Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. « La Gambie a une longue histoire de répression brutale des voix critiques, et des manifestants tels que Solo Sandeng ont payé un prix élevé pour avoir mené des actions de protestation pacifiques », ajoute-t-il.

Nogoi Njie, une femme d’affaires appréhendée le 14 avril et actuellement incarcérée, a indiqué dans une déclaration sous serment déposée auprès de la Haute Cour avoir elle-même été torturée à l’Agence nationale de renseignement (NIA). Elle a expliqué que des hommes encagoulés et des gants noirs l’ont frappée à coups de tuyau et de matraque tandis qu’on lui versait de l’eau dessus. Aucune enquête approfondie, impartiale, indépendante et transparente n’a été menée sur la mort de Solo Sandeng, malgré les appels en ce sens des Nations unies, de la CEDEAO, de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, de l’Union européenne et des États-Unis. Le 29 mai, le Président Jammeh a déclaré au magazine Jeune Afrique que « [d]es gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c’est très commun. Là, une seule personne est morte et ils veulent une enquête ? Personne ne me dira que faire dans mon pays. »

D’autres affaires récentes mises en avant dans le rapport incluent la mort en détention en février 2016 de Sheriff Dibba, dirigeant syndical, l’arrestation en octobre 2015 et la disparition forcée de l’imam Sawaneh après qu’il a soumis une pétition au président, et l’arrestation et le procès d’Alhagie Ceesay, un journaliste indépendant, en juillet 2015 pour avoir partagé une photo sur Whatsapp.

Le rapport met en évidence des violations bien établies depuis la dernière élection présidentielle de novembre 2011, pour laquelle la CEDEAO avait refusé d’envoyer des observateurs en raison « d’intimidations, de contrôle inacceptable des médias électroniques par le parti au pouvoir, d’absence de neutralité des institutions publiques et semi-publiques, d’une opposition et d’un corps électoral intimidés par la crainte de représailles ». Depuis cette époque, de nouvelles lois ont été introduites afin de restreindre davantage le droit à la liberté d'expression, comme des lois punissant la cyberdissidence, et trois organes de presse ont été fermés à cinq occasions. Des dizaines de journalistes ont fui le pays en raison de persécutions.

Les autorités gambiennes invoquent de longue date la Loi relative à l’ordre public afin d’interdire les rassemblements de partis d’opposition, même si on a pu observer un assouplissement dans ce domaine entre avril 2015 et avril 2016 avant les opérations de répression les plus récentes. Des opposants politiques ont également été arrêtés et torturés, notamment trois membres de l’UDP incarcérés depuis 2013.

Des organisations de la société civile, des défenseurs des droits humains et même des membres du gouvernement perçus comme des dissidents ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et de harcèlement, tandis que la pratique étendue de la surveillance et l’impression d’être espionné contribuent à créer un climat de peur dans lequel la majorité des personnes n’osent pas être ouvertement en désaccord avec le gouvernement.

Un militant de la société civile a déclaré à Amnesty International :

« On ne se sent en sécurité nulle part, même pas chez soi. On ne fait même pas confiance aux employés de maison ou aux chauffeurs. Quelqu’un vous donnera des informations contre 10 dollars. Dans les espaces publics ou les transports en commun on ne parle pas des sujets sensibles. On essaie de se protéger et de protéger sa famille, et de rester en sécurité ».

La rapport explique que l’Agence nationale de renseignement (NIA) imprime régulièrement les relevés téléphoniques de certaines personnes sans aucune autorisation ni supervision judiciaire, et entretient un réseau d’informateurs, chargés de faire remonter des informations sur les activités des personnes sous surveillance.

Un journaliste en exil a déclaré à Amnesty International : « Vous ne savez pas qui va vous dénoncer. Vous ne savez pas qui est derrière vous. Vous ne savez pas qui est payé par la NIA pour lui fournir des informations. »

La CEDEAO et la communauté internationale doivent veiller à ce que leurs propres règles soient respectées et observées

Amnesty International demande à la communauté internationale d’envisager des mesures plus fermes si la Gambie ne réalise pas des progrès de taille concernant le respect de ses obligations internationales en matière de droits humains. En particulier, Amnesty International demande à la CEDEAO - dont les dirigeants se réunissent à l’occasion d’un sommet le 4 juin à Dakar - d’agir afin que ses propres règles soient respectées et pleinement observées. Outre une Commission d’enquête qui serait chargée de se pencher sur la répression récente de manifestations d’opposition, Amnesty International demande à la CEDEAO d’envisager la possibilité de suspendre la Gambie si aucune avancée n’est réalisée sur le terrain des droits humains.

Le rapport d’Amnesty International montre que la Gambie bafoue les traités qu’elle a signés en tant que membre de l’organe régional qu’est la CEDEAO. Elle s’est notamment abstenue de mettre en œuvre et d’observer de manière satisfaisante le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui exige le respect total du droit à la liberté d'expression, et a refusé d’appliquer trois jugements contraignants prononcés par la Cour de justice de la CEDEAO en relation avec la torture du journaliste Musa Saidykhan, la disparition forcée du journaliste Ebrima Manneh, et l’absence d’enquête sur le meurtre du journaliste Deyda Heydara.

« Si la CEDEAO souhaite réellement être une communauté d’États qui respectent et font avancer les droits fondamentaux de la population, elle ne peut plus se taire devant le mépris flagrant qu’affiche un de ses membres face aux obligations qui sont les siennes en vertu de traités qu’il a signés », a déclaré Alioune Tine.

« La CEDEAO doit s’exprimer à propos de la situation déplorable qui prévaut dans le pays, et engager le dialogue avec les autorités gambiennes afin qu’elles libèrent les prisonniers politiques, abrogent les lois répressives et fassent le nécessaire pour que les jugements de la cour régionale soient pleinement appliqués. Si le gouvernement gambien refuse, la CEDEAO doit envisager une suspension jusqu’à ce que la Gambie respecte ses obligations. »