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Application de la loi sur la baisse du loyer : L’incroyable chemin de croix des locataires

La loi sur la baisse du loyer est un cadeau empoisonné pour certains locataires qui sont en guerre ouverte avec leurs bailleurs. Les bras de fer prennent de plus en plus des tours dramatiques.


Rédigé par leral.net le Dimanche 9 Février 2014 à 11:48 | | 7 commentaire(s)|

Application de la loi sur la baisse du loyer : L’incroyable chemin de croix des locataires
Il fallait s'y attendre, la loi portant baisse des loyers ne va en rien apaiser les relations entre locataires et bailleurs. Ces derniers avaient annoncé la couleur. Aujourd'hui, ils en font voir de toutes les couleurs aux locataires. Avec la promulgation de la loi, le 22 janvier 2014, les locataires avaient esquissé un large sourire. Aujourd'hui, c'est le temps de la confrontation et des grincements de dents. EnQuête a fait le tour de la capitale, entre jeudi et hier vendredi, pour essayer de voir comment les uns et les autres essaient de mettre en application cette loi. Dans de nombreux cas, la bonne entente a laissé place à de l'animosité. Ce qui augure de lendemains difficiles pour tous.

“Mon bailleur m'a dit que la baisse ne concerne que les Sénégalais” (Un Camerounais)

C'est le cas à Fass Delorme, un quartier niché au cœur de Dakar. Avec ses airs de bidonville, ses rues parsemés de soudeurs, mécaniciens, et laveurs de voitures occupés, en cet après-midi peu ensoleillé, à leur tache, le quartier est le refuge d'une grande communauté étrangère. Naturellement, la baisse du loyer y est devenue un sujet de conversation privilégié.

Patrick Anderson, locataire dans un grand immeuble marron, est un étudiant camerounais qui occupe une chambre au rez-de-chaussée. Jusqu'ici, il payait 85 000f, par mois. Après la promulgation de la loi, il a voulu appliquer le nouveau tarif, mais son bailleur n'a rien voulu entendre. “Quand je suis allé payer le loyer, mon bailleur m'a fait savoir que cette baisse ne concerne que les Sénégalais”.

Avec la loi, Patrick doit maintenant payer 60 350f. Avec le refus de son bailleur, il a décidé d'attendre et de voir la suite des événements. “J'ai décidé de ne rien lui donner, en attendant que la situation revienne à la normale”, confie l'étudiant peiné par la situation.

Au second étage, Nadège Assale est en train de faire le linge. Cette commerciale dans un centre de la place a bien l'intention de faire appliquer la loi. “Je ne vais pas négocier. C'est faux, quand il dit que cette baisse ne concerne que les Sénégalais. Une loi on la vote pour tout le monde. Je suis gabonaise et je vais appliquer la loi. Sinon, nous irons déposer une plainte, s'il veut nous créer des problèmes”, martèle-t-elle.

Par contre, Audrey Santos a été ébranlée par les arguments du bailleur. “Un ami, dit-elle, m'a donné le rapport étudié à l’Assemblée nationale. Il y est mentionné que les parlementaires doivent voter cette loi, afin que les Sénégalais puissent avoir accès à l'habitat social. Alors que les locataires ne sont pas seulement des Sénégalais”. Toutefois, elle n'a pas encore donné sa paie, car elle a décidé de suivre le mot d'ordre de ses colocataires, en attendant d'y voir plus clair.

Momar Ndao, Ascosen : “La loi est impersonnelle...”

Nous avons pu joindre le propriétaire de l’immeuble, Amadou Diarra. “Il n'est mentionné nulle part que la loi doit être appliquée pour les étrangers. On a parlé des Sénégalais. Donc, si j'ai des documents qui montrent clairement que mes locataires en font partie, je vais appliquer la loi”, a-t-il soutenu. Ainsi, pour en avoir le cœur net, EnQuête a posé la question au président de l'association des consuméristes du Sénégal (Ascosen) Momar Ndao. “C'est insulter l'esprit des gens, en disant que la loi ne concerne que les Sénégalais. La loi est impersonnelle. Elle est faite pour tous les locataires, étrangers comme sénégalais. Ce qui veut dire qu'elle doit être appliquée par tout le monde, sans distinction ethnique, religieuse et autres. Le décret sur la surface corrigée a été modifié et mis en place”, a précisé M. Ndao.

“Nous avons déjà rédigé notre plainte”

À quelques encablures se trouve un autre immeuble en marbre. La demeure accueille des étudiants marocains. Elle a 5 chambres avec douches intérieures et un grand salon que partagent ses occupants. Jusqu'ici, chacun paie 90 000f, la chambre. Soit un total de 450 000f, par mois. Mais depuis que la loi a été promulguée, le bailleur refuse d'appliquer la baisse de 29% prévue pour les mensualités de moins de 150 000f. Il campe sur une baisse de 14%. Sherina Asaché, trouvée en train de regarder les informations à la télé, raconte que le bailleur est venu les trouver, le lendemain de la promulgation de la loi, pour leur en faire l'annonce.

“Nous payons individuellement nos chambres. Normalement, chacun de nous devrait payer 63 900 francs, avec la réduction. Mais, il soutient nous devons payer en fonction du prix de l'immeuble et que celui-ci coûte plus de 150 000f. Nous avons refusé. Il menace de nous expulser”, confie-t-elle. Son voisin Mohamed Sheida révèle leur résolution. “Nous avons déjà écrit notre plainte. Nous comptons la déposer aujourd'hui, parce que c'est de l'arnaque. Nous avons signé des contrats individuels. Nous n'avons pas loué les chambres, en fonction du prix de la maison. Je suis partie à la police de Gueule Tapée pour leur expliquer la situation. Nous ne comptons pas en rester là”, souligne Mohamed.

Arouna Ndiaye, leur bailleur, ne compte également pas lâcher du lest

“Ils ont voulu jouer aux malins avec moi. C'est une famille qui loge dans mon appartement et veut que j'applique la réduction de 29%. Ils sont tous parents. Les contrats sont individuels, mais je me suis rendu compte que c'est une famille. Ils doivent payer le prix de la maison, parce que cette baisse ne m'arrangerait pas”, dit-il.

Sentiment et chantage

À la Zone de captage, c'est la même situation tendue entre locataires et bailleurs. Fatou Sène* a accepté un arrangement avec son bailleur. Elle payait 50 000f, par mois. En appliquant le taux de 29%, elle aurait dû payer ce mois-ci 35 500f, au lieu de quoi, elle a payé 40.000fr. Car son logeur a argué une réduction, en fonction du prix de la maison, mais non des chambres. “Je payais la chambre à 50.000frs. Il a refusé la réduction de 29%. Je lui ai fait savoir que je ne peux pas payer la même somme. On s'est entendu sur la somme de 40.000f”, informe-t-elle. L'appartement possède 3 chambres. Si Fatou a accepté de payer 40 000, c'est également à cause des relations qu'elle entretient avec la femme de son logeur qu'elle considère comme une maman.

À la Gueule Tapée, c'est la même rengaine. “Notre bailleur nous a dit clairement qu'il ne va pas appliquer la loi, parce qu'il paie des impôts et des fiscalités, à notre place. En plus, il soutient que nous sommes dans l'informel, parce que nous n'avons pas de contrats”, raconte Oumy Dia* qui loge dans un grand immeuble. Le fille partage la chambre avec une colocataire. Hier, raconte-t-elle, le propriétaire est venu à la charge. “Il nous a dit qu'il peut appliquer la loi, à condition qu'il y ait une seule personne dans la chambre, parce que c'est ce que dit la loi. Nous payons 65.000frs, le mois”, renseigne notre interlocutrice.

Alpha Ousmane Ndiaye, agressé par son bailleur

L'homme est arrivé à 19 heures dans les locaux d'EnQuête. De taille élancée, la silhouette mince et la mine déterminée Alpha Ousmane Ndiaye voulait raconter son histoire. La lèvre supérieure fendue, l'homme dans son jean bleu et son jacket noir, s'est présenté comme “la première victime de la baisse du loyer”. Muni d'un certificat médical faisant état d'une interdiction temporaire de travail pendant 5 jours, il a révélé avoir déposé une plainte à la gendarmerie de Mbao. “Il m'a loué une chambre à 20 000 f à la citée Poste, au croisement Keur Massar. Avant la fin du mois, je lui ai fait part de la baisse. Il m'a répondu que ce n'est pas son problème”, a raconté M. Ndiaye.

Devant ce refus catégorique, le sieur Ndiaye a décidé de partir. Il est allé voir une agence, dans le but de trouver une chambre. Toutefois, a-t-il raconté, son bailleur Mamadou Lamine Diop l'a trouvé mercredi dans sa chambre et lui a demandé de quitter les lieux. “Il m'a sommé de quitter la chambre vers 22h. Il était accompagné de sa femme. Avant que je ne réagisse, il m'a donné un coup”. Il a révélé avoir appelé le numéro vert, mais il n'a pas obtenu de réponse. “La ligne ne passe pas”, a informé Alpha Ousmane Ndiaye.

EnQuête