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Awa Thiam, auteure de «Récit d'une migration» sur les épouses des migrants

On parle beaucoup des migrants. On parle moins de leurs épouses, qui restent au village en attendant un retour hypothétique du mari. C'est l'un des thèmes de "Récit d'une migration", le dernier roman d'Awa Thiam, paru chez Panafrika. Awa Thiam est anthropologue et a enseigné à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. En ce mercredi 8 mars, Journée internationale des femmes, elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.


Rédigé par leral.net le Mercredi 8 Mars 2017 à 17:20 | | 0 commentaire(s)|

Awa Thiam, qui sont ces femmes que vous appelez « des femmes à cœur d’homme » ?
Awa Thiam : Les femmes à cœur d’homme c’est une expression que je n’aime pas tellement, mais en fait ce sont des femmes très braves pour moi. Des femmes qu’on pourrait appeler dans nos sociétés des hommes - entre guillemets - voyez-vous ? Des mâles, en fait. Elles font pratiquement tout ce que font les hommes, indépendamment du fait qu’elles font aussi ce qui relève en général dans les sociétés traditionnelles des femmes ; les travaux domestiques, entre autres choses.

Vous dites : « Elles sont endurantes, elles ont appris à vivre par elles-mêmes sans l’aide des hommes » ?
Mais c’est une réalité, Monsieur ! Que ce soit au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest de l’Afrique, vous trouverez des femmes de cette nature.

Parce que l’homme est parti chercher du travail ailleurs ?
En général avec les migrations, ces femmes deviennent chef de famille, père, mère, frère, épouse, sœur… Elles ont plusieurs casquettes.

Dans votre dernier roman « Récit d’une migration » votre héroïne : Satou, revient dans sa région natale. C’est une région ravagée par la sécheresse, les hommes sont donc partis. Et vous dites : « L’eau et les migrations constituent les problèmes essentiels ».
Oui, j’explique comment elle a été accueillie. Les problèmes qui se sont posés, déjà pour lui offrir à boire, lorsqu’il s’est agi d’aller prendre un bain ou une douche quelque part, vous savez, comme ça se fait dans les villages – elle s’est vraiment rendu compte que ces gens étaient dans un manque d’eau total ! Pour faire juste une petite toilette !

Alors vous dites : « Les deux problèmes ce sont l’eau et les migrations ». Pourquoi ?
Parce que, vous savez, quand les hommes partent et que les femmes se retrouvent là, la vie devient vraiment très éprouvante, puisque déjà ce qui repose sur les épaules des femmes est tellement lourd ! Porter toute une famille ! En général, quand le mari s’en va c’est la femme qui devient responsable de la cellule familiale ! La cellule familiale pour nous, vous savez ce que c’est : c’est la famille élargie !

De l’une des femmes que rencontre votre héroïne Satou, vous dites : « Son mari est allé vendre sa force de travail au Gaton – on imagine que c’est le Gabon – et il revient une fois par an, le temps de faire un enfant à sa femme ».
Monsieur, ce sont des réalités que tout le monde sait en Afrique ! Il y en a qui partent plusieurs années et qui reviennent après. Il y en a qui partent même dix ans, qui n’ont pas la possibilité de rentrer chez eux parce qu’ils n’ont pas les papiers. Ils sont devenus clandestins. Les femmes attendent et ils ont des problèmes cruciaux !

Et alors que devient le couple ? Que devient la famille ?
Est-ce qu’on a le droit de parler de couple, Monsieur, en ces termes ? Un couple éclaté avec un homme qui part pour des années et une femme qui reste à l’attendre ? La notion de couple existe dans ce cas ?

Justement, vous dites : « Ces femmes deviennent de vrais otages, chargées de veiller sur leurs progénitures et les personnes âgées »?
Mais c’est le vécu quotidien de ces dames, malheureusement.

« Otage » c’est un mot fort !
Elles ne peuvent pas faire autrement ! Je vois bien dans mon ethnie. Je suis hal pulaar. Les hal pulaar ce sont des gens qui parlent le pulaar en Afrique et on est un peu partout dans l’Afrique de l’Ouest. Mais là, c’est une triste réalité. On a bien de nos frères hal pulaarens qui vivent en France, on les appelle en général des «Francenabé», et on voit bien chez moi, on est d’une tradition très rigoureuse : quand il n’y a pas de divorce, il n’y a pas de divorce. La femme est là, elle attend. Elle attend que l’époux revienne. Que l’époux rentre au pays. Ce sont des vécus assez douloureux.

Et alors du coup, ces femmes qui deviennent chef de famille, voire chef de village, est-ce qu’elles ne prennent pas un certain poids dans la société, y compris au niveau politique ?
Elles peuvent. Mais ce qu’il y a, c’est que la domination que vivent les femmes, elle se traduit aussi au plan politique. Elles peuvent avoir un pouvoir. Mais le pouvoir mâle est dominant. Il est toujours là, il est présent, il est omniprésent.

Satou, votre héroïne, est à la recherche de Penda, celle que l’on appelle la mère infanticide. Pourquoi ?
Satou, en fait c’est une féministe. Je ne voudrais pas tout dire… Parce que j’aimerais que mes lecteurs et lectrices découvrent l’histoire.

Alors on ne va pas tout dire, mais c’est vrai que le sort qui est fait à cette femme – elle est en prison – le sort est particulièrement injuste ?
Oui, mais ce sort en fait, cette dame le partage avec des milliers de millions de femmes. Puisque vous savez très bien que dans les sociétés africaines en général, surtout lesdites musulmanes ou à majorité musulmane, l’avortement est toujours sous le coup de l’interdiction. Une femme en état de grossesse ne peut pas se présenter quelque part en disant : « Voilà… je voudrais une IVG, une interruption volontaire de grosse ». C’est impensable !

Et vous dites de Satou, votre héroïne, ni masochiste ni suicidaire. Elle sent que dans son pays les mentalités sont trop rétrogrades ?
Eh bien c’est la pure réalité ! Prenons simplement certaines questions politiques. Il y a des gens qui ont été à l’école, qui savent ce que signifie la démocratie, mais qui la piétinent tout simplement parce qu’ils veulent s’accrocher au pouvoir ! Parce que quelque part, ils ont été élus on ne sait même pas comment et ils sont là… Ils sont prêts à tout ! Ils sont prêts à tuer, ils sont prêts à salir… Ils sont prêts à tout pour conserver le pouvoir ! Je trouve ça vraiment… Je ne sais pas. Inqualifiable. Voilà.


RFI