leral.net | S'informer en temps réel

Cautère sur une jambe de bois - Par Serigne Saliou Guèye

Le Pds-Fpdr a échoué. Et vouloir de façon réactionnaire échafauder un plan pour hâter la libération de Karim Wade risque de produire l’effet contraire : le maintenir en prison jusqu’en 2019.


Rédigé par leral.net le Mardi 25 Août 2015 à 12:43 | | 0 commentaire(s)|

Le dernier meeting du Parti démocratique sénégalais (Pds) à la place de l’Obélisque, sous les auspices du Front pour la défense de la République (Fpdr), malgré la forte publicité faite tout autour, n’a pas connu le succès populaire escompté. La foule des grands jours n’était pas au rendez-vous, la participation populaire décevante, l’ambiance morose.

Le Pds-Fpdr a raté le pari de la mobilisation. Deux pelés et trois tondus s’échinaient laborieusement, mais vainement, à en donner une cosmétique animation à la mythique place où le libéral en chef Abdoulaye Wade drainait les foules. À voir Mamadou Diop Decroix et Oumar Sarr sur leur voiture décapotable, les mains en l’air pour haranguer la foule clairsemée, on ne peut s’empêcher de se marrer tant les organisateurs ont usé de leur trésor d’ingéniosité pour masquer dans l’espace l’absence du public.

Quand Oumar Sarr déchirait ostensiblement et effrontément l’arrêté préfectoral interdisant leur manifestation du 19 août, on croyait que celle qui devrait suivre deux jours plus tard drainerait des foules denses grâce à la publicité médiatique afférente. Mais que nenni ! La foule massive a boycotté.

Maintenant l’argument superficiel consistant à dire que les militants ont été bloqués au niveau des différentes issues menant au lieu du meeting ne saurait résister aux causes réelles. La réalité est que, compte tenu de la difficile conjoncture que vivent les Sénégalais, la série des manifestations tournant autour d’une même thématique (la libération de Karim Wade) devient lassante, enquiquinante. De là, on perçoit que le manque de mobilisation en l’absence du pape du Sopi découle d’une double crise : crise de leadership, crise du discours politique.

Oumar Sarr-Decroix : un duo lymphatique

On remarque que l’actuel coordonnateur du Pds, Oumar Sarr, de même que son alter ego qui dirige le Fpdr, n’ont pas ce que Max Weber appelle le pouvoir lié à la compétence. Cette capacité d’Abdoulaye Wade d’influencer la conduite des autres à partir de ses connaissances intellectuelles et de son expérience politique ne se retrouve pas chez Oumar Sarr.

D’ailleurs, les militants lui reprochent son manque de verve, de bagout et sa communication calamiteuse. Son manque d’initiative en l’absence de Wade fait en outre que le maire de Dagana est considéré aujourd’hui par bon nombre de libéraux comme un faire-valoir qui ne décide de rien et qui acquiesce à toutes les décisions venues de Mamadou Diop Decroix, Babacar Gaye et El Hadji Amadou Sall. D’ailleurs, concernant la décision de faire de Karim Wade le candidat du Pds à la prochaine présidentielle, Abdoulaye Wade ne l’a même pas associé à l’initiative. Par conséquent, homme-lige, il était contraint de donner son assentiment sur la décision prise par Abdoulaye Wade et sa camarilla.

Et ce manque criant d’engouement populaire constaté partout dans le pays pour les manifestations du Pds-Fpdr est à l’image du duo lymphatique Sarr-Decroix.

Outre le pouvoir lié à la compétence qui manque chez le coordinateur du Pds, il y aussi l’autre pouvoir que Max Weber appelle le pouvoir charismatique qui lui fait défaut. À cause de sa faible personnalité et de son manque de prestige politique, la rhétorique d’Oumar Sarr ne captive pas, ne séduit pas, n’influence ni militants ni non-militants du Pds.

On pourrait dire la même chose de Mamadou Decroix dont la position hybride entre le Fpdr et le Pds ne lui permet d’exercer un certain ascendant sur les militants libéraux.

À cette crise de leadership s’ajoute celui du discours politique. On a noté depuis la chute Wade en mars 2012 une invariance du discours politique du Pds. Tout tourne immuablement autour de la thématique de la libération de Karim Wade. Il est vrai qu’au début de l’incarcération de l’ancien super ministre, le Pds, sous la houlette de son fondateur, mobilisait des foules monstres mais la durée de l’instruction et du jugement ont refroidi les ardeurs de plusieurs militants et sympathisants au point que la mobilisation populaire va decrescendo.

« Libérer Karim Wade ! » n’est pas un thème mobilisateur dans la durée devant ces millions de Sénégalais et de Sénégalaises en butte à un quotidien difficile. Le discours doit être repensé, remodelé et articulé aux besoins des Sénégalais avec en toile de fond la libération du candidat du Pds, seul politique capable d’améliorer leurs difficiles conditions de vie. Et c’est quand cette majorité de goorgoolus comprendra la nécessité de prendre part au combat de celui qui peut se présenter comme une alternative pour mettre fin à leur souffrance qu’elle adhérera au discours du Pds plombé actuellement par son inconsistance et par ses divulgateurs nonchalants.

Le Pds victime de ses dissensions intestines

Il faut noter que la division intestine au sein du Pds atténue l’ardeur de la lutte pour libérer Karim Wade. Si Oumar Sarr se bat en toute loyauté pour faire recouvrer la liberté au fils de son mentor, tel n’est pas le cas d’Aïda Mbodj qui a initié une pétition en solo pour exiger la libération de Karim. Seulement, les dividendes politiques tomberont dans la besace du président du conseil départemental de Bambey.

Il est avéré que Modou Diagne Fada n’est pas très actif dans les manifestations du Pds-Fpdr. Son objectif premier, c’est d’être le plan B du Pds à la prochaine présidentielle puisque Karim, condamné à six ans ferme, ne devrait recouvrer la liberté qu’après la prochaine présidentielle, prévue en 2017 ou en 2019.

Aujourd’hui que la requête au niveau de la chambre criminelle de la Cour suprême est rejetée, le discours politique du Pds reste inflexible : il faut libérer Karim Wade vaille que vaille. Pourtant toutes les tentatives politiciennes n’ont pas pesé sur les décisions de justice de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et de la Chambre criminelle. Les menaces d’Abdoulaye Wade, les intercessions de certains marabouts n’ont pas empêché la tenue du procès. L’incinération d’un bus de Dakar Dem Dikk, le 21 janvier dernier par Khadim Bâ et d’autres jeunes de l’Ujtl, les vociférations comminatoires d’El Hadji Amadou Sall, le 16 mars dernier, ponctuées par une arrestation, les tentatives supposées de trouble à l’ordre public d’Aminata Nguirane et de Bathie Seras, le 19 mars dernier, de Toussaint Manga, le 23 mars (tous placés sous mandat de dépôt), n’ont pas infléchi la décision d’Henri Grégoire Diop, le président de la Crei, qui a prononcé la condamnation de Karim Wade à six ans de réclusion ferme assortis d’une amende de 138 milliards.

L’avis du groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies recommandant la libération de Karim Wade accompagnée d’une indemnisation réparatoire, la pression de ses avocats n’ont pas changé le verdict de la Chambre criminelle qui confirme l’arrêt de la Crei. Aujourd’hui que l’affaire a acquis l’autorité de la chose jugée, il serait aberrant que le Pds avec son appendice, le Fpdr, adopte la même stratégie de lutte antérieure au verdict de la Crei et de la Cour suprême. Cette méthode de lutte a montré ses limites parce que l’engouement populaire n’est plus au rendez-vous.

Adopter une méthode lutte plus opératoire

Aujourd’hui, on constate une désorganisation littérale dans la bataille pour libérer le fils d’Abdoulaye Wade. Elle est devenue un fonds de commerce pour ces multiples mouvements de soutiens épars et spontanés qui ne regroupent en réalité que leurs fondateurs, un moyen de chantage et de pression pour ces regroupements de jeunes marabouts, escrocs politiciens connus pour leurs positions politiques caméléonesques.

Pour les mouvements de contestation interne animés par Modou Diagne Fada et Aïda Mbodj, il est clair que la libération du fils de Wade est reléguée au second plan par rapport à leurs objectifs et ambitions politiques. Quant à la stratégie de combat adoptée par Oumar Sarr, Babacar Gaye, Mamadou Diop Decroix, El Hadji Amadou Sall, Fabouly Gaye, elle n’est plus opératoire parce qu’ayant montré ses limites. Finalement c’est un cautère sur jambe de bois. Pourtant ces derniers s’obstinent à vouloir mettre devant les émotions, les ressentiments, les discours incendiaires sans véritablement repenser une stratégie de lutte gagnante au sens militaire du terme.

Aujourd’hui le Pds-Fpdr a échoué et la génération spontanée de mouvements de soutien est dans l’impasse. Et vouloir de façon réactionnaire échafauder une kyrielle de combats pour hâter la libération de Karim Wade risque de produire l’effet contraire : le maintenir en prison jusqu’en 2019.

sgueye@seneplus.com