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Colloque sur l’indépendance de la Justice au Sénégal: Le discours de haute facture du juge Souleymane Teliko, président de l’Ums


Rédigé par leral.net le Jeudi 28 Décembre 2017 à 14:47 | | 0 commentaire(s)|

Colloque sur l’indépendance de la Justice au Sénégal: Le discours de haute facture du juge Souleymane Teliko, président de l’Ums
L’Union des magistrats sénégalais (Ums) tient à partir de ce jeudi, un colloque de deux jours sur le thème «L’Indépendance de la justice au Sénégal : état des lieux et perspectives ». Une rencontre à laquelle participent d’éminents juges, des avocats, des représentants de la société civile et des professeurs de Droit. Voici in extenso l’allocution du juge Souleymane Teliko, président de l’Union des magistrats du Sénégal à la cérémonie d'ouverture.

Monsieur le Garde des Sceaux ,Ministre de la justice,
Monsieur le Premier président de la Cour suprême
Monsieur le Procureur Général près la Cour suprême
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel
Messieurs les Chefs de Cour,
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats
Monsieur le secrétaire général de l’Ordre des huissiers
Monsieur le président de la chambre des notaires
Messieurs les représentants de la société civile,
Madame la représentante de la Coopération française
Mesdames et Messieurs les magistrats
Chers collègues,
Chers invités,
Distinguées personnalités en vos rangs, grades et qualités respectifs

Il en va de l’histoire des hommes comme de celle des institutions et des peuples : La vie offre souvent, si ce n’est toujours, des opportunités à ne point rater. Notre responsabilité est alors, de savoir les saisir.

La rencontre d’aujourd’hui, toutes proportions gardées, peut être inscrite au nombre de ces occasions à ne pas manquer.

Comment en effet, ne pas être frappé par le rang, la richesse et la diversité des parcours des hautes personnalités qui ont accepté d’honorer de leur présence et, partant, de leur savoir, ce colloque sur l’indépendance de la justice ?

Permettez-moi à cet égard, de remercier tout particulièrement le Garde des Sceaux, Ministre de la justice pour la grande leçon d’humilité et d’ouverture d’esprit qu’il vient de nous administrer.

Monsieur le Ministre, non seulement, vous avez donné des instructions pour qu’un appui financier soit apporté à l’UMS et ce, après avoir accepté de présider la cérémonie d’ouverture de ce colloque, mais, geste hautement appréciable, vous avez pris l’option inédite de participer personnellement aux débats à venir.

Vous montrez par là tout l’intérêt que vous portez aux préoccupations des acteurs judiciaires, en général et aux activités de notre union, en particulier.

Par ma voix, le bureau de l’UMS et au-delà, tous les magistrats, vous en remercient vivement et vous souhaitent plein succès dans cette noble et exaltante mission qui vous est confiée.

Notre gratitude va également au Premier président de la Cour suprême, au Procureur général près ladite Cour ainsi qu’à tous les Chefs de Cour qui ont contribué, par leur disponibilité et leurs conseils avisés, à la tenue de cette rencontre. Leur présence ici, aujourd’hui, est à la fois un témoignage de leur engagement pour la cause de la justice et le symbole de l’unité qui doit prévaloir autour des idéaux que nous partageons au sein de l’UMS.

Je tiens aussi à remercier au nom de tous les magistrats, la Coopération française en la personne de Madame BERTHOMEAU ainsi que l’ONG OSIWA à travers Madame HAWA Ba et Monsieur Ibrahima Kane.

N’eût été leur contribution financière faite de manière spontanée, nous n’aurions sans doute pas eu suffisamment de moyens pour tenir ce colloque, dans ce magnifique lieu qu’est le King Fahd Palace.

Permettez-moi enfin, de remercier Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, le secrétaire général de l’Ordre des huissiers, les professeurs d’université ainsi que les représentants de la société civile. Leur présence aujourd’hui, est la preuve que nous sommes tous engagés pour la même cause, celle de la justice et du renforcement de l’Etat de droit.

Monsieur le Ministre, distinguées personnalités, chers participants ;

La problématique de l’indépendance de la justice qui nous réunit aujourd’hui, est certes, un sujet ancien mais qui demeure néanmoins, d’une brûlante actualité.

Comme sous tous les cieux, Dame Justice au Sénégal, en dépit de son âge avancé et de ses cheveux grisonnants, continue à occuper une place de choix dans le cœur et l’esprit de nos concitoyens.

Elle ne laisse personne indifférent.

Pas plus le citoyen dont la liberté et l’honneur sont souvent suspendus à la décision du magistrat que l’homme politique qui est conscient que la justice peut consacrer son ascension ou précipiter sa chute. Et que dire, alors de l’investisseur dont les soucis premiers, à savoir, la sécurité judiciaire et la performance sont intimement liés à la qualité du service public de la justice !

C’est précisément parce que la justice nourrit des espoirs et suscite des craintes que la simple évocation de son indépendance rassure et fascine autant qu’elle effraie.

Entendons-nous bien ! Nous ne réduisons pas les vertus de la justice à son indépendance.
Les nombreuses attentes que cristallise la justice se référent en réalité, à deux de ses facettes que sont : service public et pouvoir.

La justice est en effet, avant tout un service public et doit, à ce titre, répondre aux exigences de célérité, d’efficacité et de qualité que les citoyens sont en droit d’attendre d’elle.

Mais, il ne faut surtout pas le perdre de vue, la justice est aussi un pouvoir qui ne trouve sa raison d’être et sa respectabilité que si elle s’assume comme entité indépendante.

Indépendance vis- à vis des pouvoirs occultes d’ordre financier, religieux ou confessionnel.

Indépendance surtout vis-à vis de celui des pouvoirs qui est le plus porté à la tentation de le contrôler : l’Exécutif.
Portalis, éminent homme de droit et père du code civil français, disait que « la justice est la première dette de la souveraineté ». A cette réflexion célèbre, le professeur Garcassone, juriste et spécialiste du Droit constitutionnel, en ajoutait une autre devenue tout aussi célèbre : « l’indépendance est la première dette de la justice ».
C’est en effet, par son indépendance que la justice préserve son honneur devant les autres pouvoirs et sa crédibilité devant les citoyens.

Mais, au juste, de quoi parlons-nous, quand nous évoquons l’indépendance de la justice ?
Certains, sans doute peu enclins à porter ce débat, ont pris l’habitude de réduire la notion à une question de comportement personnel du juge. C’est une assertion qui a certes, sa part de vérité.

L’indépendance est en effet, en partie, une affaire de valeur personnelle. Quand, dans le secret de son bureau , le magistrat se trouve partagé entre ce que lui dicte la loi et les désidératas du pouvoir de sa famille, de ses proches la décision qu’il va prendre, dépendra de son attachement aux valeurs d’éthique et de déontologie qui, en tous lieux, devraient constituer la boussole du juge impartial et désintéressé.

On ne saurait pour autant, se contenter de réduire l’indépendance de la justice à l’esprit d’indépendance du magistrat.

Il ne faudrait pas, en effet, oublier que le magistrat n’est, après tout, qu’un agent de l’Etat. Un Etat qui peut être fort, oppresseur et hostile à toute velléité d’expression de l’indépendance.

Combien sont-ils, à avoir payé de leur carrière et même de leur honneur, pour avoir pris l’option résolue d’exercer leur office en toute indépendance ?

A tous ceux qui, au sujet de l’indépendance , renvoient le magistrat à sa liberté, je voudrais rappeler, en m’inspirant de Lacordaire, homme de Dieu, journaliste engagé et homme politique connu, qu'« entre le fort et le faible tout comme entre l’Etat et le juge, « c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit ».

Les magistrats qui ont décidé, au nom de la justice, de se conformer en toutes circonstances, à leur serment et à leur conscience, doivent être protégés. Non point pour leurs intérêts individuels mais dans l’intérêt supérieur de la justice et des justiciables.

Défendre les valeurs d’indépendance, créer un environnement sain qui fasse la promotion du mérite, de l’intégrité et de la compétence, voilà nous semble –t-il, la seule voie de salut pour une justice qui aspire à jouer son rôle dans la grande aventure à laquelle nous convient légitimement, les autorités de ce pays, celle de l’émergence.

Vous aurez donc compris que c’est à une réflexion et un débat sans concession sur le vécu et le devenir de notre chère justice, que nous vous convions aujourd’hui.

Ce débat, nous l’avons déjà entamé à travers les journées d’études tenues dans chacun des ressorts des Cours d’appel de Dakar, Thiès, Saint-Louis, Kaolack et Ziguinchor.

La participation à ces moments de réflexion nous a permis de prendre la mesure de deux choses :
- Le profond malaise qui habite les magistrats du fait des critiques essuyées régulièrement de la part de nos concitoyens.
- La conscience qu’une partie de la solution passe indubitablement, par une meilleure gestion de la carrière et un renforcement des garanties de l’indépendance de la justice.

Depuis plusieurs mois pour ne pas dire plusieurs années, notre justice est l’objet de critiques de plus en plus acerbes.
Certes, c’est une lapalissade que d’affirmer que ces attaques ne font guère plaisir aux acteurs judiciaires que nous sommes. Mais c’est encore plus préoccupant lorsqu’on pense qu’il pourrait s’agir des prémisses d’une rupture de confiance entre nos concitoyens et leur justice. Rappelons –nous à cet égard, la célèbre mise en garde de Balzac : « Se méfier de la magistrature et mépriser les juges, c’est le commencement de la dissolution sociale ».

Au-delà de la question de savoir si ces critiques sont fondées ou non, cette situation nous interpelle tous.
La justice est une vertu et à l’image de la femme de César, elle doit rester au-dessus de tout soupçon. Nos amis anglophones nous rappellent tout le temps, que la justice doit non seulement être rendue mais elle doit aussi être perçue comme étant bien rendue.

L’honneur de la justice, notre devoir à nous, autres acteurs judiciaires, est de veiller à préserver cette belle image qu’elle n’aurait jamais dû perdre aux yeux de nos concitoyens. Considérons donc ces critiques comme autant d’appels de détresse et non point comme de la défiance et réfléchissons ensemble, sereinement, à la manière de restaurer notre commun vouloir de vivre ensemble.

Dans le grand tumulte des bruits et des critiques, nous ne devons jamais perdre de vue le fait que notre mission restera, invariablement, la même : Mettre du cœur à l’ouvrage et tracer les sillons en nous projetant vers les horizons de l’espoir. L’espoir d’une justice réconciliée avec ses valeurs cardiales que sont l’indépendance et l’impartialité.

Je reste convaincu, au regard du degré d’engagement et de l’expertise des participants, que les débats qui vont suivre tout au long de ces deux jours de travaux , nous permettront d’écrire de nouvelles pages de l’histoire de notre chère justice.

JE VOUS REMERCIE DE VOTRE ATTENTION