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Comme s’ils avaient un pistolet sur la tempe ! - Par Madiambal Diagne

Le divorce par consentement mutuel annoncé entre l’homme d’affaires franco-sénégalais Abbas Jaber et l’Etat du Sénégal à propos de la Suneor, s’il se concrétise, se révèlera être une grosse épine que les autorités sénégalaises s’enlèveront du pied. On ne sait pas encore les prétentions de Jaber, encore moins s’il n’est pas en train de manœuvrer face aux pressions du gouvernement. Depuis belle lurette, Abbas Jaber avait fini de révéler son impuissance à redonner à ce fleuron de l’industrie sénégalaise son lustre d’antan et il a conforté tous ceux qui dénonçaient ces autres privatisations naguère mal conduites au profit de certains amis de Karim Wade. Seulement, le Sénégal ne pouvait revenir sur sa signature sans de gros dommages financiers, encore que rompre de façon cavalière avec Abbas Jaber pouvait non seulement constituer un mauvais signal pour les investisseurs, mais aussi aurait été un comportement qui foulerait au pied tout respect des règles de droit et entacherait gravement l’image de l’environnement des affaires au Sénégal.


Rédigé par leral.net le Lundi 2 Novembre 2015 à 21:16 | | 0 commentaire(s)|

Comme s’ils avaient un pistolet sur la tempe ! - Par Madiambal Diagne
Il fallait donc négocier avec délicatesse pour pousser Abbas Jaber à la sortie. L’homme est plein d’entregent pour rallier du monde à sa cause en distribuant des broutilles comme payer par-ci et par-là des notes d’hôtels à Paris à des compatriotes de passage ou en les invitant autour d’un bol de «ceebu jën» à ses bureaux de l’avenue Victor Hugo. Abbas Jaber est bien sympathique et se veut être un Sénégalais authentique en plongeant systématiquement sa main dans le bol de riz. Le spectacle peut amuser, mais a le mérite de conquérir l’hôte. Abbas peut également vous menacer de vous faire un procès aujourd’hui et vous inviter pour un café le lendemain. Ça, c’est le côté visible de ses facettes. Il s’est vu «offrir» la Suneor pour 5 milliards et demi de francs Cfa pour une société dont le seul patrimoine immobilier valait plus de 100 milliards de francs Cfa. L’Etat du Sénégal, bonne fille, s’acquittait du passif social en payant plus de 6,5 milliards de francs Cfa.

Le Sénégal voudrait par exemple réhabiliter le rail en inscrivant 10 milliards de francs Cfa dans son budget 2016 et que des partenaires comme la Banque mondiale, l’Agence française de développement, l’Union européenne ou des investisseurs indiens et chinois entre autres sont prêts à financer la relance du chemin de fer, mais rien n’est encore possible faute de régler la situation de la société Transrail. Là aussi, il faudra amadouer Abbas Jaber pour qu’il parte sans faire de difficultés au Sénégal. On garde encore le mauvais souvenir de 2000, quand le Président Wade avait chassé les Canadiens de Hydro-Québec qui avaient signé avec le régime socialiste pour la gestion de la Senelec. Sur ce dossier Transrail, fera-t-il de la résistance ? Abbas Jaber a fait montre d’une certaine mansuétude à l’égard du Sénégal, cependant on soulignera qu’il a aussi beaucoup de choses à se faire pardonner par le Sénégal.

Abbas Jaber est l’arbre qui cache la forêt. Le Sénégal en est arrivé par se retrouver avec de nombreuses mauvaises privatisations pour ne pas dire le bradage de son patrimoine. Sans doute que tout n’était pas perdu pour tout le monde, mais notre pays en paie présentement le prix fort. En 2014, le Sénégal avait réussi à rediscuter avec les Indiens de la compagnie Indorama group pour corriger le schéma de cession des Industries chimiques du Sénégal (Ics). Depuis lors, les Ics sont redevenues un des tracteurs de la croissance économique du Sénégal. Le gouvernement peut être crédité du mérite d’avoir redressé ce fleuron qui sombrait. Qui ne se rappelle pas les péripéties sulfureuses de la privatisation des Ics, une opération conduite par Jérôme Godart, un ami proche de Karim Wade ? Il restera encore pour le gouvernement de Macky Sall d’autres gros dossiers d’un mauvais héritage lourd à porter. C’est notamment le cas de Senegal airlines qui croule sous le poids de dettes et de mauvais choix de gestion. Qui va accepter que le contribuable sénégalais paie la facture de tels errements ? Qui ne voit pas le bazar de l’aéroport Blaise Diagne de Diass, dont le projet de construction se trouve dans une impasse ? Le Sénégal avait signé n’importe quoi avec Saudi Bin Laden group pour qu’aujourd’hui le projet du nouvel aéroport se trouve bloqué. Que dire encore de la cession de la Société africaine de raffinage (Sar) à la même Saudi Bin Laden group ?

Les mêmes Saoudiens avaient bénéficié d’une cession d’actions sans bourse délier, contre la promesse d’investissements. Aucun investissement n’a été réalisé pour la Sar et quand le Sénégal proteste, Saudi Bin Laden group menace de prendre ses cliques et ses claques sans payer le moindre Rial et risque même de réclamer un dédommagement au Sénégal. On en oublierait encore ! Le Sénégal avait été obligé de casquer 75 milliards de francs Cfa pour réparer les dommages causés à Kumba Ressources du fait des turpitudes de la gouvernance de Wade dans la concession des mines de fer de la Falémé. La même désinvolture préjudiciable aux intérêts du Sénégal est retrouvée dans les concessions aurifères et de zircon.

On s’étrangle chaque fois qu’on paie le péage sur l’autoroute, avec des tarifs parmi les plus chers au monde. Cette concession a été faite à Eiffage sur 30 ans, avec des revenus escomptés estimés à plus de 400 milliards de francs Cfa, alors que cette entreprise n’a investi que 80 milliards dans les travaux. Pis, le Sénégal avait accepté de s’engager à ne pas réaliser l’élargissement du Boulevard du Centenaire de la commune de Dakar, sur l’axe route de Rufisque, jusqu’en 2018, pour ne pas réduire l’attractivité de l’autoroute à péage. Dire que même les terres ont été bradées ! La société Kharafi s’est vu offrir au franc symbolique des hectares de terres de l’ancien champ de tirs de l’Armée, sis au pied de la colline des Mamelles, pour y construire un hôtel. Ce chantier est à l’abandon. Quid des hôtels Baobabs sur la Corniche et au Cap Manuel ? Les promoteurs ont hypothéqué les terres qui leur étaient données gratuitement pour lever plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa auprès des banques de la place avant de se fondre dans la nature.

En signant, nos plénipotentiaires étaient-ils habités par un démon ou avaient-ils un pistolet sur la tempe pour ne pas veiller sur les intérêts du Sénégal ? On ne le dira jamais assez, il faudra apprendre et bien apprendre de nos erreurs. Le gouvernement du Sénégal n’a plus le droit de céder la société Suneor dans des conditions opaques. Si tôt le départ de Abbas Jaber annoncé, on voit déjà des candidats repreneurs qui débarquent à Dakar et qui prennent des rendez-vous. Il faudra une certaine vigilance de tous les acteurs, car le gouvernement n’aura pas d’excuses à remplacer une mauvaise privatisation par une autre mauvaise privatisation.