Leral.net - S'informer en temps réel

Covid-19 : ces mots qui ne veulent plus rien dire

Rédigé par leral.net le Jeudi 23 Avril 2020 à 17:48 | | 0 commentaire(s)|

EDITO - En cinq semaines de crise, notre langage a déjà changé. Pas forcément pour le meilleur.


En France nous avons les mots pour le dire, faute d'autre chose.

 

"Nous sommes en guerre"  aussi avons tous d'un seul coup été gradés, en commençant par les éboueurs "les soldats du quotidien", les infirmières et les infirmiers sont des héros  "en première ligne", avec tous ceux qu'il convient d'admirer et même nous, les planqués du confinement sommes la dernière ligne du corps d'armée, c'est le général en chef qui l'a dit et" les "réservistes" désignent les membres du corps médical (médecins, infirmiers, retraités) qui reviennent pour aider leurs collègues.

 

Le terme de "confinement" qui rythme nos vies n'a pas été utilisé par le Président qui l'a laissé au Premier Ministre, peut-être parce qu'étymologiquement cela veut dire emprisonnement ? Il devient un mode de vie, une sorte de cocooning, la mode imagine des tenues adéquates dans la presse féminine, nous sommes abreuvés de recettes, la bouffe est devenue l'enjeu numéro 1 du moment (suivi de conseils pour ne pas prendre de poids) ainsi que les recettes de méditation. On se dé-confine sans enfreindre la loi avec des apéros virtuels entre soi sans se voir, mais en se voyant, "tu reprendras bien une coupette sur ordi ?" Les relations sociales et professionnelles de télétravail oscillent entre le cauchemar des "conf call" qui rythment nos journées de télétravail et le Skype apéro.

Car l'apéro virtuel rassurez-vous n'a rien de virtuel, c'est juste pour ne pas boire seul. Le confinement devient aussi sentimental : " ils confinent ensemble ". Les amoureuses dans l'intimité peuvent revisiter la chanson de Juliette Gréco : "déconfinez-moi, déconfinez-moi, oui mais pas tout de suite, pas trop vite...". Il y aura bientôt les divorces, non plus par consentement mutuel, mais par confinement mutuel.

 

Mais tout n'est pas si rose avec le "name and shame", on dénonce : " il a été jusqu'au jardin public deux fois ce matin", cela va bien avec la guerre de la dénonciation, conception bien française de la citoyenneté qui fait des signalements au commissariat ou aux gendarmes : Vive les amendes !

Le vocabulaire sublime tout, pour dire par exemple de vous écarter de l'autre apparition de la " distanciation sociale ", beau comme du Bourdieu. Attention ! J'y pense, on voit venir l'accusation de discrimination ? Un relent de lutte des classes pour la CGT ?

Les masques ? Moins on en a, plus on en parle…

Le "postillon" est devenu une " projection de gouttelettes " et la " gouttelette " l'ennemie numéro 1. C'est pourquoi nous avons développé une connaissance scientifique et technique du masque : moins on en a, plus on en parle ! Ils sont passés "d'inutiles" à "conseillés" puis à "obligatoires mais pas vraiment". Les masques  grand public dit aussi "masques alternatifs " (parce qu'on en a pas ??), les "masques anti-postillons", les "masques anti-projections non filtrants" qui absorbent juste le postillon sans le filtrer !? Les masques chirurgicaux : la classe ! (Cuvée réservée).

Un catalogue sans produits mais on rêve : ils sont "jetables" ou en "en tissu"(attention à bien coller une serviette hygiénique à l'intérieur pour qu'il soit aux normes AFNOR), un peu dégoûtant mais avec un joli liberty ou un bandana... Il existe les masques filtrants FFP2, à ne pas confondre avec le FFP3 anti-poussière, les " masques à filtre "), le "demi-masque" reste la norme par rapport au masque complet… de toute façon, on vous le dit : il n'y en a pas.

La mode du pronom possessif est insupportable de démagogie. On ne dit plus "les agriculteurs " mais "nos" agriculteurs, ce sont les nôtres bien à nous. On remercie à tour de phrases : nos élus locaux, nos pompiers, nos pharmaciens, nos chauffeurs routiers, nos caissiers et caissières, nos éboueurs (éboueuses?), nos livreurs, etc. J'ai la liste complète si vous voulez. Mais attention, on remercie les nôtres, pas les autres !

Nos "ainés" sont devenus un terme générique, on imagine que ce sont les personnes âgées dont on parle ? Mais à quel âge est-on âgé? " Nos ainés " dans la bouche d'un sexagénaire ne sont pas forcément les mêmes que pour votre fils de 14 ans, on est toujours l'ainé de quelqu'un ! Quant aux vieux, il n'y en a plus. Et le beau vieillard ?

Pour les soignants, plus de hiérarchie, "le soignant" est un saint (c'est vrai) mal payé mais très félicité, cela inclut le brancardier, l'infirmière, le chirurgien, l'urgentiste, le médecin de campagne, libéral ou hospitalier, public ou privé... La palme de la compassion revient "aux plus fragiles" comprenant les "plus de X années" cardiaques, dialysés, diabétiques, obèses et dans la foulée "les plus démunis", les chômeurs, les SDF, les handicapés, les gens seuls (heu! isolés).

Une nouvelle religion de l'apitoiement un peu dégoulinante qui donne une drôle d'image de mon pays. " Prenez soin de vous "", mais pas trop quand même : il faut une immunité collective !

decouverte.challenges.fr