leral.net | S'informer en temps réel

DENISE EPOTE : “Les femmes doivent savoir dire non”

Invitée d’honneur en février dernier de la 4ème édition de la Nuit des bâtisseurs à Abidjan, Denise Epoté a été honorée. Elle y a reçu un prix récompensant son dynamisme en tant que femme battante et journaliste émérite. Heureuse et flattée, comme elle dit, la Directrice du département Afrique de la chaîne française TV5 Monde se livre à Top Visages pour un entretien à bâtons rompus.


Rédigé par leral.net le Dimanche 11 Avril 2010 à 21:49 | | 0 commentaire(s)|

DENISE EPOTE  :  “Les femmes doivent savoir dire non”
• Si vous n’étiez pas Journaliste, quel autre métier auriez-vous
choisi ?


- J'aurais pu être avocate. Après mon Bac, je me suis inscrite en Faculté de Droit et deux ans après, j'ai présenté le concours de l'Ecole Supérieure Internationale de journalisme de Yaoundé. Au vu des résultats, mes parents se sont inclinés devant ma décision. Ils ne m'ont plus rien reproché. Mais, je pense qu'aujourd'hui, ils reconnaissent que mon entêtement a payé. Il faut avouer que petite, j'ai toujours écouté avec beaucoup d'assiduité la radio, je lisais tous les Jeune Afrique que mon père rapportait à la maison. La passion vient sans doute de là.

• Finalement, vous êtes entrée à la télévision camerounaise ?

- J'ai été la première présentatrice de la Cameroon Radio Télévision. L'aventure a commencé en 1985 à Bamenda au congrès de l'Union nationale camerounaise, l'ex-parti unique. Ce jour de mars 1985, les Camerounais découvraient le petit écran. Le journal télévisé que je présentais était en fait à 20H30. Car pour cause de bilinguisme, le journal en anglais avait lieu à 19H30.
A la fin du journal, mon confrère anglophone, Eric Chinjé et moi, avons été assaillis par la foule qui s'est précipitée pour voir qui étaient les personnes qu'ils avaient vues dans la petite lucarne. C’était émouvant !

• Et pendant combien d’années avez-vous présenté le Journal Télévisé au Cameroun ?

- J'ai présenté le journal de 1985 à 1993. Jusqu'en 1988, nous étions une toute petite équipe car la CRTV n'émettait que le week-end. L'ambiance était quasi familiale. A l'occasion d'évènements exceptionnels, tels que les visites d'etat, il y avait des diffusions exceptionnelles, voire des éditions spéciales.

• Quelles sont les visites d’Etat qui vous ont marquée à cette époque ?

- Je me souviens encore de la visite de la princesse de Galles, Lady Diana (Lady Di) et de celle du chancelier allemand, Helmut Kohl, dont le pays a financé la construction du siège de la CRTV. J'en profite pour souhaiter un joyeux anniversaire à cette chaîne sur laquelle j'ai fait mes premiers pas de journaliste.

• Quelles sont les raisons qui vous ont amenée à débarquer sur TV5 ?

- Débarquer n'est pas le mot que j'utiliserai. Mon mari (ndlr : Ingénieur du génie civil, Mr Durand et également Directeur Adjoint des Grands travaux du Cameroun à l’époque) étant en fin de contrat, il devait regagner la France. Je l'ai tout naturellement suivi. C'est un heureux concours de circonstance qui a fait qu'au moment où j'arrivais en France le projet de TV5 AFRIQUE venait d'être lancé. Mactar Silla, le directeur de l'époque avait besoin d'un responsable des programmes, alors, il m’a fait appel.

• Comment avez-vous été accueillie sur la chaîne ?

- J’ai été bien accueillie. Je n’ai pas eu de problème. Puisque Mactar Silla qui m’a sollicitée était une connaissance depuis l'époque où il était en charge du service juridique à la RTS, la télévision sénégalaise. Je n'étais donc pas dépaysée en arrivant à TV5. Là, également l'ambiance était familiale car il n'y avait pas grand monde. Et puis, quand il n'y a que trois africains dans une boîte, ils ne passent pas inaperçus.

• Cela fait un sacré temps que vous bossez à TV5 Monde Afrique.

- Je travaille à TV5 depuis 1994. Jusqu'en 1998, j'ai été responsable des programmes et depuis cette date, je suis Directrice Afrique.

• Pouvez-vous nous parler maintenant, des grandes innovations qui se sont opérées depuis que vous êtes sur cette chaîne ?

- Depuis 1994, il s'en est passé des choses pour TV5 AFRIQUE. Je suis fière d'avoir été témoin de toute cette évolution. La meilleure satisfaction, c'est celle de l'audience enregistrée par la chaîne sur le continent.

• Parlant toujours d’innovations, quelles sont celles qui vous ont le plus marquée personnellement ?

- Parmi les innovations que j'ai vécues à TV5, il y a pour commencer, le passage à la diffusion 24H sur 24 en 1998. La même année, il y a eu le lancement du Journal Afrique en 2001 et le passage au numérique en 2006. Ce qui a engendré une augmentation du volume de diffusion de films africains en 2008. Sans oublier le lancement d'un portail dédié à l'Afrique, sur le site de TV5 MONDE en 2009 avec l'apparition du sous-titrage en anglais destiné aux téléspectateurs de l'Afrique de l'Est et Australe. En 2010, deux projets importants verront le jour : la WebTV Afrique+ et un signal spécifique Afrique de l'Est qui tiendra compte des habitudes d'écoute de nos téléspectateurs dans cette partie du continent. Aujourd'hui, le signal Afrique a pour horaire de référence, Dakar.
C'est-à- dire TU+0. Quand il est 20H00 à Dakar, il est 22H00 ou 23 H00 sur la côte Est du continent.

• D’aucuns disent qu’il est plus facile pour les femmes d’évoluer dans le milieu des médias que les hommes. Qu’en pensez-vous ?

- Je n'ai jamais entendu dire cela et d'ailleurs, la réalité est toute autre. Il y a très peu de femmes à des postes de direction et au poste de Directeur Générale de chaîne. On les compte sur les doigts d'une main. Je constate aussi que les femmes sont plus victimes du jeunisme au sein des télévisions européennes que ne le sont les hommes. Sans doute pense-t-on que des rides au coin de l'œil, c'est moins gracieux que des tempes grisonnantes et qu'un début de calvitie...

• Quel est votre opinion sur le sexisme dans l’univers des médias ?

- Je ne peux pas en parler. Puisque je n'ai jamais été victime de sexisme.

• La discrimination raciale non plus ?

- C'est évident qu'elle existe. Il suffit de compter le nombre de présentateurs non européens qu'il y a sur les chaînes européennes. La seule exception, c'est la BBC.

• Votre réaction face aux phénomènes de droit de cuissage dans les milieux professionnels tels que celui des médias ?

- Le droit de cuissage n'est pas pro-pre au milieu de l'audiovisuel. C’est un travers masculin qui, hélas, s'exerce partout. Il appartient aux femmes de savoir dire NON. Cela dit, je n'ai jamais vécu cette situation.

• Malgré tout ce que l’on avance sur ce milieu, l’on a l’impression que tout cela n’a pas d’effet sur vous. Quel est votre secret ?

- Merci pour le compliment. La recette est simple, il faut préparer ses interviews et bien faire son travail.

• y a-t-il une motivation à votre présence de plus en plus régulière en Afrique, à la faveur des grands évènements culturels, sociopolitiques et économiques ?

- Depuis 1994, j'ai toujours sillonné l'Afrique pour le compte de TV5. Je n'étais certes pas revenue en Côte d'Ivoire depuis 2002, mais cela n'a pas empêché la chaîne d'être partenaire d'évènements qui ont eu lieu dans ce pays. Je pense notamment au Festival de la bande dessinée de Bassam, Coco Bulles, ou le Festival de Courts Métrages en cinéma (FICA) qu’a créé Hanny Tchelley.
Pour l'édition 2009, le prestigieux jury des Bâtisseurs de l'économie africaine m'a décerné un prix spécial. La moindre des choses, c'était de venir le chercher. C'est ce qui explique ma présence à Abidjan en ce début du mois de février, mais je n'attendrai pas de recevoir un autre prix pour revenir....

• Que représentent pour vous ces distinctions entre autres décorations et prix que vous glanez à ces évènements ?

- Quand on est honorée dans un pays qui n'est pas le sien, c'est toujours très flatteur. Car on se dit que les personnes qui vous décernent le prix ou la décoration ne l'ont pas fait par excès de nationalisme. Les distinctions que j'ai reçues du Sénégal, de la France, du Burkina Faso, du Cameroun et récemment de la Côte d'Ivoire m'ont profondément touchée.

• Quelle serait votre décision si on vous proposait un poste politique, par exemple, au Cameroun votre pays d’origine ?

- J'adore la politique. Mais, c’est juste pour l'analyser ou la commenter. Mais, je suis trop indépendante et surtout trop attachée à ma liberté de ton pour accepter de rentrer dans un gouvernement.

• Votre analyse sur les femmes africaines qui se déclarent de plus en plus comme candidates à la magistrature suprême dans leurs pays ?

- Pour moi, les femmes qui sont tentées par la magistrature suprême, ce n'est pas une révolution. C'est dans l'ordre normal des choses. Pourquoi avec le même parcours universitaire, les femmes s'interdiraient-elles certaines fonctions ? Il ne faut surtout pas attendre qu'un décret masculin les y autorise, il faut avoir le courage d'oser.

• comment réagissez-vous à la suite des évènements qui se sont déroulés en Guinée, au Niger et même en Côte d’Ivoire ?

- Au cours des émissions que j'anime sur TV5 MONDE, j'ai eu l'occasion de commenter largement les évènements en Côte d'Ivoire, en Guinée et récemment au Niger. Avec votre permission je ne reviendrai pas dessus, je dirai juste que 5O ans après les indépendances, c'est triste que le continent en soit encore là.

• Qu’attend en retour TV5 Monde Afrique, des pays africains par rapport, à toutes ces opérations de couverture satellitaire engagées sur le continent ?

- Ce que TV5 MONDE attend des gouvernements africains, c'est qu'ils soutiennent et accompagnent l'évolution de cette chaîne. C'est l'occasion pour moi de remercier les gouvernements du Togo et du Burkina Faso qui contribuent au budget de
TV5 MONDE AFRIQUE.

• Un mot sur la contribution des cinéastes africains ?

- Ce que TV5 MONDE attend des cinéastes africains, c'est que pour le plaisir de nos téléspectateurs, ils fassent de plus en plus de beaux films. Au dernier Fespaco, j'ai été émue aux larmes par Teza de l'Ethiopien Hailé Gerima. En parlant de cinéma j'ai une pensée pour Mahamat Johnson Traoré, un cinéaste sénégalais qui nous a quittés le 8 mars 2010. Pour plusieurs personnes à TV5 MONDE, il était et restera Tonton Johnson.



Par Tepson Dro
tepson_dro@yahoo.fr


leral .net