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Dakar n’a pas brûlé ! - Par Madiambal Diagne

Pour la liberté de son fils Karim Wade, Abdoulaye Wade avait menacé de brûler Dakar. Il disait à qui voulait l’entendre que «le 23 mars, si Karim Wade est condamné, le Sénégal verra ce qu’il n’avait jamais vu !».


Rédigé par leral.net le Lundi 30 Mars 2015 à 23:22 | | 19 commentaire(s)|

Dakar n’a pas brûlé ! - Par Madiambal Diagne
Il ajoutait les poings fermés et les dents serrés : «je n’accepterai jamais la condamnation de Karim Wade» et hystérique, il disait encore : «Je donnerai ma vie pour ça.» Rendez-vous était donc pris pour ce jour fatidique. Tous les citoyens épris de paix et de liberté, tous les citoyens qui tiennent à notre idéal républicain, se demandaient de quel droit, de quelle puissance, de quelle emprise sur notre pays, ce Abdoulaye Wade peut-il avoir pour nous tenir en joug de la sorte. Certains avaient naturellement pris peur tandis que d’autres, et heureusement ce sont la plupart des Sénégalais, n’étaient point dérangés dans leur conviction que rien de grave ne se passerait.

Les Sénégalais ont bien pris la mesure de Abdoulaye Wade après lui avoir infligé une raclée électorale des plus cinglantes en 2012. Mais Abdoulaye Wade ne semblait pas, lui, avoir compris que le pays avait changé. Il n’était plus celui qui hantait le sommeil de Abdou Diouf au point de pousser le gouvernement à décréter l’Etat d’urgence. Me Wade a perdu toute conscience de la réalité politique. Abdoulaye Wade demeurait dans l’illusion qu’il était encore dans les années de braise du Sopi ; il semble ignorer que plus de 75% des Sénégalais sont nés après 1988. N’empêche, Il clamait, l’air amusé : «Parait-il que Macky Sall a perdu le sommeil !» (sic).

Le 23 mars 2015 est passé. Dakar n’a pas brûlé et c’était un jour tout ordinaire. Tout le monde a vaqué à ses activités normales, ordinaires. Pourtant, Abdoulaye Wade avait décidé de donner le ton en annonçant se rendre au Palais de justice pour assister au prononcé du verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite. La manœuvre était claire, lui qui avait snobé les audiences de la Crei, en décidant d’y aller pour une fois, chercher à mobiliser les foules. La grande foule qu’il attendait n’a pas été au rendez-vous. Les troubles et heurts ou à tout le moins les débordements de foules qu’il attendait n’ont point eu lieu, à part quelques escarmouches sur la Corniche.

Dans la salle d’audiences, il y avait pratiquement que le public de tous les jours. Il prendra alors un nouveau rendez-vous avec ses militants pour une déclaration le vendredi 27 mars 2015, à la place de l’Obélisque, histoire de mobiliser entre temps les foules. La mayonnaise n’a pas non plus pris. La demande fort opportune des guides de la communauté mouride de surseoir à ce rassemblement a été un bon prétexte pour reporter sine die un tel rendez-vous.

Abdoulaye Wade s’est véritablement senti seul car il a beau insister pour rencontrer certains leaders religieux avant le prononcé du verdict du procès de son fils que ces derniers lui maintenaient hermétiquement fermées leurs portes. Ses différents émissaires ont même essuyé des revers pour avoir été vertement tancés du fait de propos on ne peut plus désobligeants tenus par Abdoulaye Wade à l’encontre de son successeur Macky Sall.

Si depuis mars 2012 Abdoulaye Wade n’a pas compris que les Sénégalais ne sont plus avec lui, ces derniers jours auront été une bonne occasion pour lui de mesurer le degré de désaffection dont il fait l’objet. L’homme a détruit toute son œuvre. Partout en Afrique, la question demeure la même : comment Abdoulaye Wade a-t-il pu manquer d’autant de clairvoyance pour détruire tout le capital sympathie, toute son aura, pour avoir voulu, contre vents et marrées, dicter ses volontés au Peuple sénégalais ? Un confrère rencontré à Lomé porte un jugement accablant : «Plus il s’enfonce, plus il grandit Abdou Diouf. Abdoulaye Wade est en train de révéler Abdou Diouf sous des habits de lumière, de sagesse, de grand démocrate, de grand homme alors que je dois avouer que je n’aurais pas cité Abdou Diouf parmi mes références.»

Abdoulaye Wade travaille également pour Macky Sall. A force de rester stoïque devant ses insultes, à force de rester droit dans ses bottes en demeurant imperturbable, Macky Sall est en train de renforcer une stature d’homme d’Etat. Il ne cède pas à l’émotion et s’évertue à mettre les services de l’Etat dans des conditions d’assurer la paix et la sécurité publiques. De même, on ne le dira jamais assez, Abdoulaye Wade est en train de perdre davantage son fils Karim. Il le rend d’autant plus antipathique que par ses excès, Abdoulaye Wade suscite un sentiment de rejet, une véritable révulsion. On en en arrive à se demander si Karim Wade est-il mieux né que les autres 13 millions de Sénégalais.

Toute l’œuvre de Abdoulaye Wade, toute sa gloire se fracassent ou s’effondrent au crépuscule de sa vie alors que tout le prédisposait à s’installer sur un piédestal de sage, de grand homme reconnu par le Sénégal, l’Afrique et le monde. Dans l’optique de bâtir un destin au forceps pour Karim Wade, Abdoulaye Wade piétine et humilie même ses compagnons les plus fidèles. A y regarder de plus près, on réalise que l’homme est resté le même, c’est simplement que sa véritable nature se révèle au grand jour.

Dans ce pays, Abdoulaye Wade a commis tous les forfaits. Il a cherché à dresser des communautés religieuses et ethniques les unes contre les autres, il a maintes fois appelé les forces de sécurité à l’insurrection contre Abdou Diouf et contre Macky Sall, il a abusé des ressources publiques et a géré les affaires publiques comme ses biens personnels. Mais on peut encore être indulgent avec lui aujourd’hui, considérant, sans trop de conviction, qu’il n’a plus toute sa tête.

Il y a bien de quoi être triste pour cet homme et il revient donc à l‘esprit ces paroles de Don Diegue dans Le Cid de Corneille:
Ô rage ! Ô désespoir !
Ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? (...)
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Œuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d’où tombe mon honneur !

mdiagne@lequotidien.sn