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Décision ou Avis : Le Conseil Constitutionnel est souverain ( Par Papa Khaly Niang)


Rédigé par leral.net le Mercredi 2 Mars 2016 à 20:42 | | 0 commentaire(s)|

Décision ou Avis : Le Conseil Constitutionnel est souverain ( Par Papa Khaly Niang)
Le Président de la République a choisi la voie du Conseil constitutionnel pour faire passer un référendum inédit dans l’histoire institutionnelle de notre pays.
L’option du Président de la République d’utiliser la procédure prévue à l’article 51 pour un projet de révision constitutionnelle comportant quinze points ne relève guère d’un subterfuge. Par cette voie, il a préféré solliciter l’éclairage du juge constitutionnel comme prévu par l’article 51 de la Constitution :«Le Président de la République peut soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel ».
Le subterfuge pour le président de la République aurait été de passer par l’article 103 de la Constitution, la voie parlementaire pour faire approuver la révision, à la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés. S’il avait opté de passer par cette voie, le projet de révision constitutionnelle aurait sans conteste reçu l’approbation de la représentation nationale où il dispose d’une majorité qualifiée. Sans doute, certains lui auraient reproché d’avoir emprunté cette voie de contournement pour faire réviser la Constitution.
Ainsi, le recours à l’article 51, avec la sollicitation de l’éclairage du Conseil constitutionnel, un organe souverain, apparaît comme la démarche la plus pertinente.En effet, l’article 51 de la Constitution fait obligation au Président de la République de passer par le Conseil constitutionnel. Il est notoirement admis des praticiens du droit que,la consultation du Conseil constitutionnel et de l’Assemblée nationale est obligatoire pour l’utilisation de l’article 51 de la Constitution.
Si le passage au Conseil constitutionnel est obligatoire, c’est parce que son avis est déterminant pour tout examen de projet de révision de la Constitution. Dire que le Président de la République pouvait passer par l’article 103 de la Constitution nous paraît moins conforme aux principes démocratiques tirant leur fondement de la Constitution, norme sacro-sainte, qui doit être protégée contre toute dérive.
En France, ce référendum dit législatif, prévu à l’article 11 de la constitution française, permet au Président de la République française, sur proposition du gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au peuple un projet de loi qui peut porter sur différents sujets (organisation des pouvoirs publics, la politique économique, sociale et environnementale de la nation et les services publics y concourant), ou l’autorisation de ratifier un traité international.


Le Général de Gaule l’a utilisé dans des moments très critiques pour la révision de la Constitution de 1962, concernant l’élection du Président de la République au suffrage universel et les français ont répondu « oui ». Il l’a réutilisé en 1969, pour réformer le Sénat et les régions et la réponse a été « non »
Dans ces domaines, vous conviendrez que la réforme de la Constitution n’y figure nullement, surtout dans un aspect aussi important que celui du mandat. Ce n’est pas pour rien que l’article 27 de la Constitution sénégalaise exige la voie référendaire pour toute modification de la durée du mandat présidentiel. Dans certains pays, comme l’Italie, la Suisse et l’Autriche, il existe le référendum d’initiative populaire, caractérisé par le fait que l’initiative appartient au peuple et qu’il peut porter sur différents domaines (législatif ou constituant). Les initiateurs du projet de référendum doivent réunir un nombre prédéfini de signatures soutenant le texte envisagé. Si le chiffre est atteint, les pouvoirs publics sont tenus d’organiser un référendum.
Un référendum de cette nature est également prévu par le Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 : un million de citoyens issus d’un nombre significatif d’Etats membres de l’Union Européenne peuvent demander à la Commission européenne de soumettre une proposition de textes européens sur une réforme qu’ils jugent nécessaire.
Cependant, le référendum constituant prévu par l’article 89 de la Constitution française, à l’initiative du Président de la République ou des assemblées, permet la révision de la Constitution. Le Président de la République a choisi cette voie, plus conforme à l’esprit républicain et à la démocratie, pour soumettre son désir de faire réduire la durée du mandat en cours à l’appréciation de la seule autorité habilitée à lui éclairer la lanterne et en conformité avec le droit. Entre son engagement personnel et le respect du droit, il est du ressort du Conseil constitutionnel de délibérer.
Cette analyse comparée fait ressortir, mutatis mutandis, que les pays préfèrent naturellement le référendum constituant ou d’initiative populaire. En l’absence de référendum d’initiative populaire au Sénégal, le Président de la République ne pouvait passer que par la voie du Conseil constitutionnel et de l’Assemblée nationale pour aboutir à l’expression populaire. Le Conseil constitutionnel a tranché. Le Président de la République ne peut que se conformer à sa décision d’autant plus que l’illustre Conseil rappelle que « les règles constitutionnelles adoptées dans les formes requises s’imposent à tous et, particulièrement, aux pouvoirs publics, lesquels ne peuvent en paralyser l’application par des dispositions qui, en raison de leur caractères individuel, méconnaissent, par cela seul, la constitution »
Décision ou Avis ?
Nous considérons que le Président de la République n’a fait que donner lecture des termes utilisés par le Conseil constitutionnel pour matérialiser son avis. Devrons- nous douter que cet avis revêt la forme d’une décision tel que mentionné dans l’acte qui lui a été adressé. Il suffit de prendre connaissance de la lettre de transmission ainsi libellée : « je vous fais parvenir, ci- joint la décision N° 1/C/2016 rendue par le Conseil constitutionnel avec, en annexe, des observations de forme sur l’exposé des motifs et différents articles du projet ».S’il est vrai que dans les motifs le conseil mentionne « est d’avis » il conclut son argumentaire par « En foi de quoi, la présente décision a été signée par le Président, le Vice-président, les autres membres du Conseil constitutionnel et le Greffier en chef »
Si le Conseil constitutionnel prend soin de donner son avis sous forme de décision rendue, c’est parce qu’il juge la question du mandat présidentiel comme une question substantielle par rapport aux valeurs démocratiques et à la sécurité juridique. Cette décision est opposable à tous et s’applique erga omnes.
Effectivement, même si l’on est d’accord que le caractère conforme d’un avis ne se présume pas, il l’est tout aussi pour le caractère consultatif. Comment peut-on ne pas admettre un tel raisonnement dans les deux sens ? Tout ce qui n’est pas écrit est exposé à l’interprétation. En l’absence d’une précision textuelle, seul le Conseil constitutionnel peut déterminer le caractère de l’avis. Garant d’examiner la conformité du projet de révision de la constitution, le Conseil constitutionnel a rendu son avis sous forme de décision, celle-ci est souveraine.
Le Conseil constitutionnel a voulu trancher définitivement la question en se prononçant dans le sens du caractère général, permanent, impératif et impersonnel de la règle de droit.Si l’on admet que la consultation du Conseil constitutionnel est obligatoire en empruntant la voie de l’article 51, on devrait naturellement accepter l’application à la lettre de l’avis qui en découle.
Les juristes connaissent bien le pouvoir créateur du juge pour trancher définitivement les débats de doctrines qui animent les milieux judiciaire et universitaire que nous connaissons tous. Parler de rupture totale avec les enseignements universitaires nous paraît abusif, d’autant plus que c’est la contradiction doctrinale et jurisprudentielle qui fait avancer le droit. Nos étudiants pourront simplement retenir que le Conseil constitutionnel a dit le droit en tenant compte des circonstances du moment et de la protection de notre constitution, que demain, les pouvoirs publics sont tenus de préciser expressément ce point de droit qui concerne le caractère de l’avis du Conseil constitutionnel.
Garant de notre Constitution, le Président de la République est tenu d’aller dans le sens du Conseil constitutionnel qui s’inscrit dans la logique d’un avis conforme pour toute modification de la durée du mandat présidentiel. Les Sénégalais ont toujours réclamé le respect de la sacralité de la Constitution. Il ne faudrait pas que la passion nous détourne de cette position nécessaire pour l’avancée de notre démocratie et la protection de notre Charte fondamentale.
Le Conseil constitutionnel ayant tranché, tout le monde doit s’y conformer et envisager maintenant le référendum. S’abstenir ou voter non, c’est se mettre en marge d’une dynamique d’avancée démocratique et institutionnelle pour le présent et l’avenir de notre pays.
Ce serait une méprise de réduire une révision constitutionnelle aussi importante à la seule question de la réduction du mandat en cours.
Le projet soumis au peuple sénégalais comporte quinze propositions de révision constitutionnelle ; propositions qui, si elles sont approuvées par le peuple, contribueraient à la consolidation de notre Etat de droit et de notre système démocratique, au renforcement du contrôle parlementaire et également à l’élargissement des droits des citoyens.
Dans cet esprit, saurions-nous défendre une position autre que celle de voter OUI au référendum du 20 mars 2016 ?

Me PAPA KHALY NIANG /Avocat
Docteur en Droit et Sciences Criminelles
Vice-Président du Comité International des Pénalistes francophones