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Des lois fortes pour des citoyens forts - Par Mohamed Guèye

Rédigé par leral.net le Lundi 29 Septembre 2014 à 12:43 | | 0 commentaire(s)|

Des lois fortes pour des citoyens forts - Par Mohamed Guèye
Le Colonel Abdoulaye Aziz Ndao, mis aux arrêts de rigueur, ou selon le jargon militaire, «aux arrêts de forteresse» depuis son retour de Rome en début du mois de septembre, a vu son incarcération prolongée officiellement d’un mois supplémentaire, le temps de permettre à la haute hiérarchie de la Gendarmerie sénégalaise de trancher son cas, et de débattre s’il fera l’objet de procès ou pas.

L’officier supérieur de la Gendarmerie sénégalaise, auquel il restait un peu moins de six mois de service, a décidé de sortir de la réserve de la fonction pour produire un livre qualifié d’explosif sur les trafics et les magouilles en tout genre dans la haute hiérarchie de la Gendarmerie sénégalaise, surtout lorsqu’elle était sous le commandement du Général de gendarmerie Abdoulaye Fall.

Au mépris de l’intérêt personnel

Beaucoup d’observateurs, même des mieux intentionnés, se sont posé la question de savoir ce que cherchait l’officier supérieur en se comportant de manière aussi suicidaire.

Ces personnes font remarquer qu’il lui aurait suffi d’attendre la fin de son service actif et de prendre sa retraite, pour faire son déballage sans aucune conséquence pour lui, donc sans aucun danger.

Or, Abdoulaye Aziz Ndaw a préféré publier les deux tomes de son ouvrage accusateur, «Pour l’honneur de la Gendarmerie sénégalaise», au moment où il était encore attaché militaire à l’ambassade du Sénégal à Rome, et que son principal accusé dans ses livres, le Général Abdoulaye Fall, était le chef de la mission diplomatique du Sénégal au Portugal.

Mais comme lui-même l’explique dans son livre, le colonel avait sans doute eu assez de se taire et a décidé de rompre le nœud gordien du silence obligatoire.

Ses nombreuses lettres aux autorités politiques, et surtout au chef de l’Etat Abdoulaye Wade étant restées sans suite, il voyait son ancien meilleur ami, qui avec le temps, était devenu son plus grand ennemi par la force des choses, jouir d’une reconnaissance qu’il considérait usurpée, et il lui fallait donc rompre le silence, et advienne que pourra !

C’est par cet acte que le Colonel Abdoulaye Aziz Ndao a gagné ses galons les plus dignes, ceux de «lanceur d’alerte», comme l’on traduit désormais le terme anglais whistle- blower. Il côtoie comme collègues, des figures aussi dignes que celles du célèbre commissaire de Police, Cheikhna Cheikh Keïta, ou du sociologue Malick Ndiaye.

Toutes proportions gardées, toutes ces personnes ont la particularité d’avoir renoncé à un certain confort matériel et moral, pour dénoncer des tares de la société ou de certains individus dans la société, dont elles estimaient qu’elles mettaient en danger les bases même sur lesquelles repose la force d’une société juste.

Pour rappel, le commissaire

Cheikhna Cheikh Saadbou Keïta s’est vu reprocher d’avoir dénoncé à tra- vers les colonnes du journal Le Quotidien, les accointances de son prédécesseur à la tête de l’Office de répression du trafic international de stupéfiants (Ocrtis), le commissaire Niang, avec les mêmes trafiquants internationaux qu’il était censé traquer et combattre.

Avant d’en parler à la presse, le policier avait fait un rapport à ses supérieurs hiérarchiques, en l’espèce, au ministre de l’Intérieur. Conséquence de sa dénonciation, le commissaire Keïta a été limogé de son poste à l’Ocrtis, et sa cible, Abdoulaye Niang, a été sanctionné par une nomination comme chef suprême de la Police nationale, à savoir Dgpn !

Ce fut l’élément déclencheur d’une révolte morale. Et Keïta a pris l’opinion publique nationale et internationale à témoin, pour obtenir le limogeage de celui qu’il dénonçait. Même si la chute de Niang entraînait également la sienne. Il a été mis à la retraite anticipée et sans sa pension, alors qu’une information judiciare était ouverte sur lui, pour dénonciation calomnieuse.

Il y a quelque temps, un autre officier à la retraite, M. Alioune Diop, expliquait dans une Opinion publiée dans ce journal qu’un lanceur d’alerte «est une personne qui apprend, dans le cadre de son exercice professionnel, une information à laquelle il est tenu au secret, mais qui est d’une importance pour la société, et qu’elle décide de rendre publique parce que ce secret correspond à un abus ou un crime».

L’ancien Colonel, qui s’est recyclé consultant des Nations Unies en matière de sécurité, a trouvé plein d’exemple de par le monde, d’émules de nos deux lanceurs d’alerte. Pourtant, il y a eu dernièrement une autre personne au Sénégal-même, qui mériterait de les rejoindre. Il s’agit du professeur d’université Malick Ndiaye.

Ce dernier a par sa dénonciation dans un ouvrage, du système de gouvernance mis en place par Macky Sall, encouru en toute connaissance de cause les foudres de ce dernier, avec pour conséquence immédiate son limogeage de son poste de ministre-conseiller du président de la République, et à un salaire conséquent.

Mais Malick Ndiaye est un récidiviste. A l’époque de Abdoulaye Wade déjà, il a été l’un des rares universitaires à être mis au placard, et privés d’enseignement.

Tout le corps enseignant savait que ce sont ses positions politiques qui en étaient la cause, même si l’on a voulu invoquer des vagues raisons d’absentéisme. Quelque part, Macky n’aura fait qu’achever l’œuvre de son père spirituel...

Des lois pour protéger

Mais la vraie question qui se pose, au regard de la manière dont ont été traités ces différents personnages, de la sécurité à offrir à ses personnes qui sont prêtes à s’oublier elles-mêmes pour dénoncer une situation dont parfois les conséquences néfastes ne les touchent pas directement, mais qui peuvent avoir une ampleur négative dans la société prise dans sa globalité. Ceci n’est pas un cas de figure, comme on peut le voir avec des cas plus fortement médiatisés à l’étranger.

Le monde entier a suivi le cas symbolique de l’Américain Edward Snowden, obligé de trouver réfuge chez un grand négateur des libertés publiques, le Russe Vladimir Poutine.

Ce dernier n’a été que très heureux, en lui offrant l’asile provisoire, de faire la leçon à son pays les Etats- Unis, qui se présentent comme le champion de la liberté d’opinion, et qui poursuit de sa vindicte l’un de ses citoyens, qui a osé dénoncer les structures mises en place par l’Etat, pour réduire cette même liberté d’opinion et s’en prendre à la vie privée des individus.

Son cas n’a pour parallèle que celui du fondateur du site wikileaks.org, l’australien Julian Assange, obligé de s’enfermer dans l’enceinte de la chancellerie du Costa Rica à Londres, pour échapper à la colère de la justice de trois pays, la Suède, les Etats-Unis et la Grande Bretagne, qui voudraient bien le voir croupir en prison. Officiellement pour agression sexuelle – ce qu’il nie formellement – et officieusement pour divulgation de secrets d’Etats.

Si des pays reconnus pour leur pratique démocratiques que ceux-là, ou l’Autriche, qui n’a pas hésité à faire atterrir de force l’avion du Président bolivien Morales, pour vérifier s’il ne transportait pas clandestinement Edward Snowden depuis Moscou peuvent avoir des réactions de ce type à l’encontre de lanceurs d’alerte, quelles garanties un pays comme le Sénégal pourrait-il offrir à ses citoyens qui voudraient en dénoncer certains ?

Pourrait-on encore pour longtemps, se contenter des articles de presse et de leur écho dans la société civile, pour espérer faire reculer les tenants de l’arbitraire ?

Des textes de loi ne devraient-ils pas être envisagés, qui garantissent qu’un citoyen lambda, qui ne serait pas revêtu de la notoriété d’un Professeur d’université, d’un commissaire de police ou d’un Officier supérieur de la gendarmerie, pourrait sans se soucier de perdre sa liberté ou sa vie, dénoncer une situation arrivée à un niveau intenable ?

Le colonel à la retraite Alioune Diop dont nous avions cité l’excellente publication d’il y a quelques semaines dans Le Quotidien, a cité l’existence de plusieurs textes régissant la protection de ces whistleblowers au niveau international.

Malheureusement, c’est leur plus grande faiblesse aussi. Ces textes ne sont pas suffisamment connus des Sénégalais moyens. Notre arsenal législatif national a donc besoin d’être enrichi pour mieux protéger ceux qui protègent l’intérêt national.

Car au-delà de nos libertés et de notre démocratie qu’ils défendent, ils aident également à asseoir une culture de débat dans l’opinion de ce pays.


Le Quotidien