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Dr Abdoulaye Sidibé Wade : "10 à 12% des tuberculeux ont le Vih-Sida"

10 à 12 % de personnes ont la double infection au Sénégal. L’affirmation est du Dr Abdoulaye Sidibé Wade, chef de la Division de lutte contre le Sida et les infections sexuellement transmissibles. Car, pour lui, la première infection opportuniste qui survient chez les personnes infectées du vih-sida est la tuberculose. Mais la lutte contre ces infections nécessite une réelle volonté politique, au-delà des jeux de mots. Dans l’entretien qu’il a accordé à Sud Quotidien, ce spécialiste a développé plusieurs aspects de ce combat permanent aux multiples fronts et notamment l’étroite relation entre le sida et la tuberculose.


Rédigé par leral.net le Jeudi 1 Octobre 2015 à 14:58 | | 0 commentaire(s)|

Quelle est la liaison entre le Sida et la Tuberculose ?

Je pense que le lien entre la Tuberculose et le Vih Sida est un lien très étroit. On rappelle que la première infection opportuniste qui survient chez les personnes infectées du vih-sida est la tuberculose. Elle est la plus fréquente. L’Onusida les surnomme le couple maudit. Parce qu’à chaque fois qu’il y a une personne infectée par le virus du Sida, notre crainte première est que cette personne attrape la tuberculose. Car, malheureusement pour les personnes infectées par le virus du Sida, le terrain est très favorable parce son organisme est dépourvu de toute défense immunitaire. Du coup, cette personne peut être sujette à des infections dont particulièrement la tuberculose. Donc le lien est étroit; c’est presque une co-infection à la limite. Une fois qu’une personne est atteinte du vih Sida, c’est pourquoi on pense naturellement à le faire le dépistage pour voir si elle n’a pas la tuberculose. Egalement, lorsqu’une personne se présente avec une tuberculose, l’obligation pour tout médecin ou prestataire c’est de dépister le sida.

Une fois la personne atteinte par cette double infection, comment se passe sa prise en charge médicale ?

La prise en charge s’est beaucoup améliorée maintenant. Parce qu’auparavant les recommandations étaient de guérir la tuberculose avant de commencer le traitement anti rétroviral. Mais depuis 2012, les recommandations sont de les traiter concomitamment. Les molécules anti rétroviraux sont des associations faciles à prendre. Ce n’est plus beaucoup de médicaments qu’il faut prendre, il y a certains traitements où le malade n’a besoin que d’une molécule par jour et c’est facile. Donc, on recommande de traiter simultanément la tuberculose et le vih. Les études ont montré d’excellents résultats en termes d’observance parce que très tôt le malade retrouve une assez bonne santé qui lui permet de continuer le traitement de la tuberculose et le vih.

Quel est le taux de personnes ayant la tuberculose et le vih ?

La tuberculose versée dans le vih, on semble à peu près pencher vers un taux de 10 à 12 % de personnes qui ont la double infection. Cela peut sembler faible. En tout cas le Sénégal, comparé à d’autres pays, est globalement moins affecté si l’on est entre 10 à 12 % de personnes qui ont la tuberculose et le vih Sida.

Et la situation ailleurs en Afrique ?

Quand on parle de l’Afrique centrale pour ne pas nommer les pays en question, les taux de co-infections sont beaucoup plus élevés. C'est-à-dire que dans certains pays, chaque fois qu’on dépiste les personnes infectées par la tuberculose dans 50 à 60 % des cas, on trouve l’infection à Vih.

Est-ce qu’il y a des avancées dans la lutte contre la Tuberculose et Sida ?

Il y a énormément d’avancées. Et le premier défi qu’on a relevé, c’est de créer un comité qu’on appelle Comité de gestion de la co-infection tuberculose et VIH. Nous ne gérons plus les deux de façon séparée. Bien vrai qu’on a deux programmes distincts Sida et Tuberculose, mais nous avons une instance de gestion commune. Ce comité nous l’avons décentralisé dans toutes les régions du Sénégal. Chaque fois dans une région, quand on parle de Vih, on parle en même temps de tuberculose. La preuve est que les revues permettent d’apprécier l’avancement des performances dans nos différents programmes. On ne parle plus de revue de la tuberculose ni du vih. On parle de la revue de co-infectionvih TB. Dans une même revue, le médecin chef de région présente les informations sur la tuberculose et le vih. Donc voilà un genre de symbiose qui nous a permis de prendre en compte les préoccupations des programmes.

Quels sont les résultats actuels de cette collaboration ?

Avant il y avait moins de 30 % de personnes qui avaient la tuberculose et qui faisaient le test vih sida alors que normalement cela doit être systématique. Actuellement près de 90 % des personnes infectées par la tuberculose sont diagnostiquées dans la structure et elles bénéficient d’un test de dépistage vih. Et vice versa. A toutes les personnes qui sont infectées par le vih Sida, on propose systématiquement un diagnostic de la tuberculose. On est à l’ordre de 60 à 70 %. Si on en est là, c’est parce que le diagnostic de la tuberculose n’est pas forcément décentralisé. Mais systématiquement la personne doit pouvoir bénéficier du diagnostic de ces deux maladies.

On dit que les bailleurs de fonds se retirent de plus en plus par rapport à la prise en charge du Sida et de la TB au plan international. Est-ce que le Sénégal qui prend en charge gratuitement le Sida et la Tuberculose n’est pas exposé à des risques ?

Les risques sont certains. On a tendance à dire qu’on vit une sorte de paradoxe de la part des partenaires au développement. Des pays qui sont efficaces et font de bons résultats, on a tendance à leur dire que vous n’étiez plus une préoccupation parce que vous n’avez pas beaucoup de malades. Est-ce que nous devons attendre avoir beaucoup de malades pour solliciter l’aide internationale ? Voilà ce que j’appelle entre guillemet le paradoxe des partenaires au développement. Il est vrai que les bailleurs commencent de plus en plus à minimiser les financements dans le sida et la tuberculose. En exemple le partenaire principal du Sida qui était le Fonds Mondial ne finance actuellement que le tiers de ce qu’il finançait auparavant. Au niveau de la tuberculose également, le Dr Marie Sarr, coordonnatrice du programme de lutte contre cette maladie vous dira qu’un certain nombre de partenaires financiers se sont déjà retirés. Mais cela interpelle les pays concernés. Nous devons trouver de plus en plus de financements à l’intérieur des pays. Parce que, quoi qu’on dise, il y a des domaines régaliens qui reviennent à chaque Etat : Acheter des médicaments pour ses populations. Pour cela nous devons faire augmenter le budget de nos Etats pour prendre le minimum vital à tous ces malades. Et ensuite, pour certaines activités, on peut solliciter de l’aide des bailleurs. L’intention des bailleurs de réduire leur financement est difficile à inverser. D’où il faut un important plaidoyer. Mieux, il faut une sorte de coalition dans la lutte contre la tuberculose. En termes d’intensité des plaidoyers, je sens que des efforts doivent être réalisés. Je ne parle pas du programme de la tuberculose qui se démerde mais d’investir dans la lutte contre la tuberculose. Au plus haut niveau, il faut une forte coalition pour trouver des financements innovants. Trouver une autre forme de financement de ces interventions soient par des taxes sur le tabac, l’alcool et sur un certain nombre de produits qui peuvent générer de l’argent pour le pays. Sinon, il risque d’y avoir une cassure et que malheureusement ce sont les maladies qui en subiront les conséquences. Ne soyons pas naïfs. Car ces pathologies existent et ont de beaux jours devant nous. Même si de part et d’autres, nous avons des résultats performants qui permettent d’augurer de bons lendemains.

Quelles sont les dispositions prises par rapport au Vih notamment vis-à-vis des groupes à risques ?

Les groupes vulnérables comme les travailleurs du sexe, les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, bientôt les utilisations de drogues intra veineuses sont des groupes où la prévalence du vih dépasse 10 % des fois. Et pour ces groupes, un focus est fait sur les personnes touchées. On a l’impression de dire qu’une bonne partie du financement va en direction de ces groupes. Si on ne maîtrise pas la propagande dans ce groupe-là, on compromet ce qu’on est en train de faire. C’est la même chose qui est en train de se passer au niveau de la tuberculose. Nous avons partagé récemment une réunion de la co-infectionVih sida-TB et justement le programme tuberculose n’avait pas les moyens d’intervenir sur la population carcérale qui constitue pourtant une cible vulnérable. Donc, Il y a la preuve de leur efficacité de leur intervention, mais ce qui reste c’est de trouver des moyens d’amplifier la réponse et de toucher tout le monde.

Quel est votre message à l’endroit aux décideurs ?

C’est juste, un appel à tout le monde, la société civile pour le financement des programmes et réduire le fardeau de la mortalité et de la morbidité. Je trouve à la limite aberrant qu’en 2015, on parle encore de tuberculose. Le Sénégal dispose d’un système de santé assez fort et assez robuste pour faire face à ces maladies. Lorsqu’Ebola est venu, le système de santé a réagi efficacement. Parce que nous avons une longueur d’avance par rapport aux autres pays, à leur système de santé. Mais ce qui manque souvent c’est le petit appui qui permet aux gens d’expérimenter les approches. L’intelligentsia théorique ne manque pas, les concepts sont bien connus et les modèles mathématiques sont bien maîtrisés. Mais pour les faire, il faut des moyens sinon on ne peut pas avoir la performance.

Sud Quotidien